Rivarol n°3454 du 13/1/2021
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Rivarol n°3454 du 13/1/2021 (Papier)

Editorial

Reconfinement, contrôle de la pensée :

La tyrannie en marche forcée

Le 20 janvier, le chef de l’Etat devrait annoncer un troisième confinement en France en moins d’un an, à en croire le restaurateur Stéphane Manigold, généralement bien informé depuis le début de la crise. La décision serait déjà prise en haut lieu. Ce reconfinement se ferait à l’anglaise et serait donc très strict, comme celui du printemps dernier, avec notamment la fermeture des écoles. Récapitulons ce que nous avons subi en dix mois seulement : un premier confinement strict du 17 mars au 11 mai 2020, un premier couvre-feu qui eut lieu du 17 au 29 octobre, puis un deuxième confinement, quelque peu allégé, du 30 octobre au 15 décembre, puis un second couvre-feu du 15 décembre 2020 au 20 janvier 2021, et enfin très probablement un troisième confinement autour du 20 janvier, et ce, pour une durée peut-être de deux mois comme en Angleterre (février et mars). La phase de destruction des classes moyennes et entrepreneuriales s’accélère. La France, et toute l’Europe avec elle, risque de ressembler bientôt à un immense champ de ruines. Rien ne justifie des décisions aussi liberticides, aussi destructrices, aussi mortifères. Le nombre de décès quotidien dû au covid-19 reste faible, et le nombre des personnes sous respirateurs artificiels est loin d’atteindre en l’état le maximum des possibilités. On peut à cet égard s’étonner que l’on n’ait pas profité de la crise du printemps dernier pour augmenter considérablement le nombre de respirateurs et de lits dans les hôpitaux. S’agit-il d’incompétence, d’imprévoyance ou est-ce parfaitement délibéré ? 

On peut également être surpris que l’on ait, semble-t-il, décidé d’un troisième confinement alors que les premiers vaccins sont arrivés et qu’on encourage la population à se faire vacciner massivement, le gouvernement français souhaitant faire piquer au moins 26 millions de personnes. On nous avait pourtant expliqué jusque-là que la seule solution pour pouvoir recouvrer ses libertés de circulation, de réunion, de culte, de travail, reprendre une vie normale, était l’arrivée du sacro-saint vaccin. Or, maintenant que le vaccin est là, sans que l’on ne sache d’ailleurs rien de son efficacité ni de son innocuité puisque nous n’avons pas le recul nécessaire, voilà qu’on repousse aux calendes grecques notre délivrance, pis, l’on veut nous emprisonner davantage, nous assigner à résidence. Comme cela est étrange ! C’est que, nous explique-t-on, le virus aurait muté. Un mutant britannique rendrait la situation incontrôlable. Vous avez aimé la première vague, puis la seconde, vous allez adorer la troisième ! 

On dirait un feuilleton, mais hélas c’est un film-catastrophe car les conséquences économiques, sociales, mentales, spirituelles de ces privations de liberté, de cette claustration forcée (qui curieusement touche essentiellement l’Europe et bientôt l’Amérique du Nord avec Biden, comme si c’était bel et bien l’économie occidentale qui était visée) seront cataclysmiques. Et on peut légitimement se demander si ce n’est pas le but recherché. Car sauf à croire que les dirigeants occidentaux sont bêtes à manger du foin, on ne peut arriver à croire qu’il n’y a pas une volonté de procéder à un Grand Reset, à une réinitialisation qui passe par la destruction, peut-être définitive, irréversible, au moins à vue humaine, de nos libertés. Le principe de précaution ne suffit pas en effet à expliquer une telle politique dévastatrice. Rappelons que le “prophète” Jacques Attali avait annoncé dès mars dernier, avant même le début du premier confinement, que rien ne serait plus jamais comme avant, bref qu’il fallait du passé faire table rase, comme le clame l’Internationale.  

Comment dès lors séparer la tyrannie sanitaire de la tyrannie technologique et numérique qui sont concomitantes et parallèles ? Une tyrannie qui atteint de plein fouet le président des Etats-Unis en exercice, ce qui est inouï. Après la brève irruption dans le Capitole de ses partisans les plus galvanisés, Donald Trump a vu sa capacité d’expression sur les réseaux sociaux brusquement et totalement anéantie. Il a perdu d’abord temporairement (pendant douze heures), puis définitivement son compte Twitter qui disposait de plus de 88 millions d’abonnés et qui lui avait permis en grande partie de conquérir la Maison-Blanche en 2016 tant ses tweets étaient populaires et touchaient un très large public. Il a également perdu ses comptes et pages Facebook, Instagram, Snapchat. Ses vidéos ne sont plus sur YouTube. Les plateformes Spotify, Reddit, Twitch, TikTok, Pinterest, Shopify ont également suspendu, ou considérablement restreint, Donald Trump. 

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) qui dominent le marché du numérique ont décidé de se coordonner et de frapper un grand coup. Cette purge qui concerne Trump et ses partisans, et plus généralement tous les milieux populistes, nationaux et nationalistes aux Etats-Unis, va évidemment s’étendre à l’Europe. Tous les opposants au projet néo-communiste global seront impitoyablement écrasés. Cela a déjà largement commencé en France : Dieudonné et Soral ont été chassés des principales plateformes numériques. Quant à nous, nous avons perdu définitivement nos deux comptes Twitter, puis tout récemment notre chaîne Youtube. Et rien ne dit que les choses s’arrêteront là. A preuve les plateformes alternatives, comme Parler, fréquentées par les partisans de Trump, viennent d’être atomisées par Apple, Google et Amazon. Comme le réseau social Parler n’a pas ses propres serveurs, il sous-traitait avec Amazon. Lequel géant du web a décidé de suspendre le compte de Parler. Reste le réseau Gab, mais comme le note le site Démocratie participative, Gab « sera tôt ou tard éliminé par le système car il reste un réseau centralisé ». C’est dire que l’avenir s’annonce bien sombre pour les combattants de la liberté, de la nation, de la famille et de la tradition. Il s’agit pour l’Etat profond de contrôler la pensée des masses et, par conséquent, de les empêcher d’accéder à des contenus dissidents, qui leur proposent une autre vision du monde, de l’homme et de la vie, d’autres convictions, d’autres certitudes, d’autres analyses et commentaires. 

Le règne de Trump se finit de la pire façon qui soit. La révolution Black Lives Matter, LGBTiste et climatiste va pouvoir se donner libre cours. Et on peut compter sur les Démocrates pour enclencher toutes affaires cessantes une procédure de destitution, afin que Donald Trump ne puisse pas se représenter en 2024, ni briguer quelque fonction élective que ce soit. Les événements du Capitole sont le prétexte rêvé pour eux. On peut regretter que Trump, très narcissique, soit tombé dans ce piège. Comme on peut déplorer que, pendant sa présidence, il n’ait pas tenté de casser le monopole des GAFAM en faisant fonctionner la concurrence, en créant des réseaux sociaux alternatifs. Il avait alors la possibilité de le faire. On peut aussi regretter qu’il ait cru bon, pour arriver et se maintenir au pouvoir, de donner de nombreux gages au lobby juif et à l’entité sioniste. L’expérience prouve que cela finit toujours mal et que l’on en est bien mal récompensé. Netanyahou l’a lâché dès la proclamation des résultats par la télévision américaine et a condamné les événements du Capitole. 75 % des juifs ont voté pour Biden à la présidentielle. Et les organisations juives, comme l’Anti-Defamation League, exigent son départ immédiat, ou à défaut sa destitution. La fin de Trump ressemble un peu hélas à celle du général Boulanger. Comme si le destin des chefs populistes était de finir dans ce qui ressemble à une triste pantalonnade. Que l’on pense au débat calamiteux de Marine Le Pen en 2017, aux palinodies de Haider, à la trahison de Fini, aux illusions de Salvini. Nous n’avons plus de chefs — ou prétendus tels — qui soient à la hauteur des événements, mais la société actuelle est-elle à même d’en sécréter encore ? 

Le plus dramatique, au-delà de Trump, c’est que toute la mouvance populiste et nationaliste subit une cruelle désillusion et se trouve aujourd’hui affaiblie, endeuillée, démotivée, démobilisée. D’où l’impérieuse nécessité de défendre les principes avant les princes, la doctrine avant les hommes. Et de se confier de toutes ses forces, de tout son cœur, de tout son esprit au Soleil de Justice qui, Lui, ne peut ni se tromper ni nous tromper, ni errer, ni manipuler, ni duper, ni fourvoyer.

Jérôme BOURBON, RIVAROL.

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Billet hebdomadaire

Requiem pour l’Amérique de Trump

Dans la Chambre des représentants qui réunissait en session exceptionnelle députés et sénateurs, une simple prière s’éleva dans les travées où une lumière presque cendrée, une vague odeur de fumée témoignaient de moments dramatiques. Il était 3h44 du matin le jeudi 7 janvier. Une heure et un jour que retiendra l’Histoire. Le vice-président Mike Pence, dans ses fonctions de chef de la chambre haute, venait de terminer l’appel des cinquante États de la fédération afin d’obtenir de chacun son aval ou son rejet de Joe Biden comme 46e président. Un rite, une formalité d’ordinaire sans accrocs. Pas dans ce décor blafard où les élus se réduisaient à des ombres, pas sous ces ténébreux lambris où les réponses se muèrent en ordre. Pas dans ce Washington de cris et de fureur enchâssé dans un couvre-feu. Cette litanie matinale hâtive, fiévreuse, permit pourtant d’ouvrir la Maison-Blanche au rival du président Donald Trump, et à une écrasante majorité. Les démocrates firent bloc derrière Biden comme un seul homme. Chez les républicains, 138 députés sur 200 et 7 sénateurs sur 50 s’élevèrent avec véhémence contre la fraude électorale avérée dans six États qui avait permis cette imposture. Pour ce dernier carré de fidèles refusant toute concession, Biden n’est qu’un personnage fabriqué dans l’illégalité. Et lorsque s’éleva la prière familière à ce genre de cérémonie qu’elle clôturait, on crut entendre une double imploration : les vainqueurs comptèrent sur elle pour ouvrir à leur champion les meilleurs auspices ; les vaincus, humblement, limitèrent leur supplique à une équitable justice pour un déchu calomnié. Car c’est ce que fut Trump durant toute la journée du 6 janvier, date charnière retenue par la Constitution pour officialiser le nombre de Grands électeurs obtenu par chaque candidat. En tout, il y en a 540. Il en faut la moitié, 270, pour devenir président. Selon le compte officiel, Biden en a obtenu 306 et Trump, 232. Depuis le 3 novembre, date des élections, Trump clame que les 38 Grands électeurs qui lui manquent lui ont été volés. C’est en homme blessé, déçu, en plein désarroi, que ce national-populiste a vécu ces deux derniers mois. Il a frappé à toutes les portes du pouvoir judiciaire ; aucune ne s’est ouverte. Il a sollicité l’aide des meilleurs avocats ; aucun n’a pu convaincre un seul juge. Il a montré d’innombrables preuves de la corruption ; aucune ne s’est imposée comme base d’un grand procès. Durant deux mois, Trump fut un homme traqué, un solitaire se cognant aux murs, un désespéré qui hurlait sans pouvoir se faire entendre. Jusqu’à la Cour suprême qui lui rit au nez. Cette Cour, il l’a choyée, il l’a transformée en cénacle conservateur par l’adjonction de trois juges — fait rarissime — qu’il avait lui-même choisis. Eh bien ces trois juges, au moment le plus crucial de toute cette affaire — une plainte déposée par le Texas et 17 autres États pour irrégularités flagrantes — ont préféré rejoindre les libéraux, ses ennemis. Le choc de l’ingratitude fut terrible pour Trump. A quoi ont-elles donc servi, ces 1 500 pages expliquant les multiples mécanismes de la fraude, ces descriptions de la tromperie apportées par des centaines de témoignages sous serment, ces autopsies de machines à voter prouvant qu’elles furent manipulées au bénéfice de Biden ?

Toute cette bile recuite qui macéra durant des semaines remonta à la surface lorsque Trump, dans la matinée du 6 janvier, rassembla autour de lui, sur une vaste esplanade, à 500 mètres du Congrès, plus d’un demi-million de personnes. Presque toutes s’étaient déplacées de l’Amérique profonde pour réaffirmer, sous les murs des mandataires du peuple, leur droit de s’élever contre le détournement de votes lors d’élections truquées. Mais, quelques centaines parmi elles, apparemment aveuglées par la rage et les frustrations, ne semblaient être venues que pour franchir par effraction les frontières de la manifestation pacifique et afficher haut et fort leur tenace révolte. Ainsi, Trump eut en face de lui deux spécimens de ses partisans enflammés : celui qui conserve son calme et celui qui souhaite en découdre. Situation impossible : comment prononcer deux types de discours dans la même envolée oratoire ? Comment applaudir à l’enthousiasme d’une foule et en même temps mettre en garde ses marginaux ? Trump, l’homme d’une seule pulsion, s’en montra incapable. Il s’adressa d’abord à la foule sans prendre totalement conscience qu’elle recelait une bombe à retardement. Puis, une fois la bombe explosée, il apostropha — assez piteusement, d’ailleurs — ses radicaux par Twitter pour condamner leurs “inadmissibles”, leur “atroce” viol de la loi tout en avouant qu’il comprenait leur ressentiment. Ce double message parut désarticulé et ambigu. Les médias et l’establishment s’appliquèrent à ne retenir dans cette confusion que le clin d’œil appuyé dont Trump aurait gratifié l’auditoire vibrant qu’il tenait dans ses bras. Un clin d’œil qui signifiait : allez-y, montrez-leur que les patriotes savent réagir lorsqu’on les a vicieusement battus en bourrant les urnes. C’est exactement ce que l’on pouvait conclure en écoutant son discours. Une fois terminé, une double conclusion s’imposa : il serait abusif de prétendre que Trump versa de l’huile sur le feu qui couvait, et injuste de le rendre responsable de la prise d’assaut du Congrès par des éléments déchaînés. Mais on tomberait dans les mêmes égarements si, à l’inverse, on prétendait qu’il a mis son autorité au service d’un apaisement relatif, tenté de désamorcer la bombe qu’il avait devant lui. Pris entre l’écœurement du battu et les obligations de sa charge, Trump est resté flou, sans se rendre compte qu’il risquait de voir classer son flottement dans la catégorie des pantalonnades : farce burlesque d’un goût douteux, manifestation hypocrite de regret. Voilà Trump dans ses mauvais jours. En fait, les pires de ses quatre ans de présidence. Trump a prouvé qu’il savait déployer une énergie féroce qui fonce dans le brouillard sans souci des nuances. L’épreuve qui l’a désarçonné n’est pas de celles qu’il connaît, qu’il accepte, qu’il regarde dans les yeux. Elle est sournoise, ficelée dans l’ombre d’un complot, mise en place par les coupe-jarrets du globalisme. C’est la dernière d’une longue suite de batailles qui mobilisa l’essentiel de sa combativité depuis son entrée en politique. La dernière, c’est-à-dire celle qu’il ne fallait pas perdre.

TRUMP A ÉTÉ PIÉGÉ

Mais comment ne pas la perdre ? Au cœur du Congrès, le parti de l’étranger avait commencé dans l’après-midi du 6 janvier une opération exigée par la Constitution mais condamnée par le nationalisme : l’avenir du pays, reposant sur une vox populi falsifiée, était soumis au jeu démocratique. Le pire. L’arithmétique, appuyée sur des démocrates plus nombreux que leurs adversaires, officialisa sans complexes ni scrupules l’“honnêteté” des élections du 3 novembre. Cette aberration mit le feu aux poudres. Ils n’eurent pas besoin de se sentir une vocation de casseurs, ceux qui franchirent en les brisant les portes et les fenêtres du Congrès : l’écœurement a suffi. C’est lorsque Pence, suivant l’ordre alphabétique, appela les représentants de la Californie, que le souffle de la fureur envahit l’hémicycle. Les intrus étaient passés sans encombre des fenêtres aux couloirs, puis des couloirs aux bureaux des élus, et enfin de ces bureaux aux élus eux-mêmes qu’ils chassèrent comme des renégats. Pence ne termina pas sa phrase. Elle disparut dans l’indescriptible cohue d’une évacuation précipitée de tout le personnel législatif. Pour la première fois dans l’histoire américaine, le Congrès se trouva investi par une force hostile. Le Congrès, garant de la liberté du peuple, pris d’assaut par ce même peuple au nom de la liberté qui, dans ce cas, s’assimile à la justice. L’image a de quoi troubler. Elle parut insupportable à l’establishment qui l’expliqua par l’implication décisive de Trump, ce tordu, ce galeux. Mais sous l’odeur âcre des torches incendiaires, derrière le spectacle d’un mobilier malmené et au-delà d’insolents graffitis, quelques vidéos habilement tournées et récupérées n’en finissent pas de poser d’intéressantes questions. Et d’abord, celles-ci : pourquoi les démocrates qui règnent sans partage à Washington ont-ils allégé le dispositif policier dans et autour du Congrès le jour précis où d’imprévisibles opposants étaient massés à proximité ? Comment expliquer, autrement que par la complicité, l’attitude débonnaire des rares forces de l’ordre allant à la rencontre des émeutiers ? Pour quelles raisons les responsables de la police ont-ils refusé à plusieurs reprises l’aide que leur offraient les autorités fédérales ? D’autres questions proviennent d’incroyables images. Deux autocars arrivent dans le centre de Washington et se garent le long d’une large avenue. En descendent une cinquantaine de jeunes gars sanglés dans des uniformes noirs, un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux ou une cagoule leur dévorant le visage. Le lendemain, les mêmes individus sont filmés dans les groupes grimpant le long des façades du Congrès ou dans ceux qui l’occupent. Ces Antifas étaient dépourvus de leur attirail de casseurs patentés — la provocation aurait paru trop énorme — mais leur présence agissante servit parfois à stimuler l’énergie des trumpistes. Lorsqu’on rassemble toutes ces vidéos enrichies de témoignages sur le vif, une conclusion surgit qui paraît évidente : le nouveau régime avait tout intérêt à voir le Congrès se transformer en brûlot. La culpabilité de Trump coulerait de source et l’indignation générale qu’elle ne manquerait pas de susciter masquerait comme derrière un rideau de fumée les sombres manœuvres des tireurs de ficelles. Trump s’est fait piéger. L’erreur était-elle évitable ? Pas sûr. En revanche, deux autres l’étaient, qui lui auraient permis de ne pas rater complètement sa sortie.

Ce qu’il y a de remarquable dans ces deux erreurs, c’est qu’elles définissent parfaitement le personnage. On serait même tenté de dire que seul Trump, dans le contexte où il se trouvait, risquait de les commettre. Trump avec son narcissisme, ses outrances, son impulsion, cette façon à la fois fascinante et absurde de vivre à l’instinct sans chercher à donner sa part à l’analyse. On retrouve là l’impénitent fonceur, le joueur forcené qui se dit que la chance ne l’abandonnera pas, qui se lance à chaque fois comme un défi : ça passe ou ça casse. Avec Mike Pence, il y eut de la casse. A première vue, on se demande comment il est possible de se fâcher publiquement et d’une manière cinglante avec un personnage aussi calme, courtois et scrupuleux. Chrétien sincère, catholique devenu protestant évangélique, Pence assura durant quatre ans une vice-présidence sans faute, toute en finesse et en subtilité. Un tour de force qui n’a pas dû être facile sous la coupe d’un Trump autoritaire, exigeant et ombrageux. Pence a su s’adapter, accepter quand il le fallait, résister pour la forme lorsque c’était indispensable. Périlleux exercice d’équilibre que seul Pence pouvait accepter sans broncher. Seulement, cet exercice connaît des limites. Et ces limites furent écrites en lettres rouges dans le ciel de Washington ce fameux 6 janvier. C’est là où les choses se gâtèrent. Lors de l’opération qui consista au Congrès à répartir les Grands électeurs entre les deux candidats, les fonctions de Pence se bornaient à vérifier la validité des documents. Rien d’autre. Il devait annoncer que tel État avait voté pour Trump ou Biden et s’assurer que le vainqueur recevrait bien le nombre correct de Grands électeurs. Rôle important mais passif, symbolique, sans initiative. Le problème a surgi lorsque Trump a voulu imposer à son second un rôle actif. Savoir que celui qui fut sous ses ordres pendant si longtemps allait occuper une place centrale dans le dispositif devant sceller son destin a dû l’électriser et, en même temps, l’inquiéter. Pence serait-il à la hauteur des circonstances ? Trump se paya d’audace. Il demanda à Pence de changer de casquette. Au lieu de se contenter d’être un poinçonneur, il lui proposa de devenir un putschiste. Au lieu de claironner sagement des chiffres collés sans surprise aux États correspondants, il lui suggéra la possibilité de refuser carrément certains chiffres destinés à certains États. Ce que Trump voulait, c’est une falsification de dernière minute afin, dans son esprit, de “corriger” la fraude du 3 novembre. Autrement dit, Pence, le putschiste d’occasion, devait refuser net les Grands électeurs attribués à Biden dans chacun des six États incriminés et les remettre loyalement à Trump. Ainsi, le tour était joué : Trump aurait pu être déclaré vainqueur à la place de Biden. Pence refusa net la combine en expliquant que la Constitution et les leçons de l’Histoire ne lui permettaient nullement une telle manipulation. Trump s’entêta, revint plusieurs fois à la charge. Vainement. Il conclut que Pence n’avait « aucun courage ». L’effet fut désastreux. L’autre erreur est aussi sinistre. Elle touche les élections partielles en Géorgie, qui devait pourvoir ses deux sièges au sénat de Washington. On y vota le 5 janvier, veille des événements dont il est question ici. Les chances des candidats républicains apparaissaient bonnes, sans plus. Trump voulut les augmenter. Accumulant les maladresses, il satura l’atmosphère de ses plaintes contre les « corrupteurs électoraux » et, en se mettant à dos le gouverneur et son bras droit, tous deux républicains, ouvrit au niveau local une véritable guerre civile. Le verdict fut sans appel : les deux candidats, trumpistes jusqu’au bout des ongles, laissèrent la place à leurs adversaires démocrates. Du coup, le sénat tout entier, divisé 50-50 ce qui laissera l’arbitrage à la vice-présidente Kamala Harris, est passé de facto à la gauche. Autre effet désastreux, celui-là à long terme.

LE TEMPS DES SANCTIONS

Ces trois erreurs au pire moment ont enfermé Trump dans une sorte de camisole de force. Le chaos au Congrès fut l’occasion rêvée pour ceux qui avaient juré sa perte de clamer à tous vents qu’il était décidément prêt à tout pour refuser de reconnaître sa défaite : d’abord cette fraude électorale montée de toutes pièces par un esprit obsédé par une variété infinie de prédateurs plus ou moins mythiques. Et maintenant cette marche obscène sur une vénérable institution à laquelle seuls des voyous sont capables de manquer de respect. Le matin du 7 janvier, le dossier Trump aurait rebuté le plus grand ténor du barreau. Il n’y avait plus rien à défendre, sauf le passé. Mais le passé, il était trop tôt, ou trop tard, pour en parler. Seul comptait le présent. Un présent cruel, impitoyable. Cette fois, Trump n’avait pas seulement fléchi. Il était tombé. Et comme il fit trembler l’establishment durant quatre ans, ils furent nombreux à vouloir se venger. D’abord les démocrates qui lui reprochent tout : l’aventurisme de ses militants, les cinq morts du Congrès, les insultes adressées aux institutions, les réserves concernant le mécanisme électoral, ces deux mois de gâchis pendant lesquels il joua la victime avec un art consommé de l’affabulation. Les sanctions tombèrent comme un couperet. Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, s’organise activement pour rassembler une grosse majorité de ses troupes afin d’engager un second processus de destitution contre Trump, au motif qu’il aurait inspiré une « insurrection armée » contre l’une des principales colonnes de l’Amérique et, de ce fait, menacé la sécurité nationale, la démocratie et la Constitution. De leur côté, une vingtaine de députés démocrates ont écrit à Pence afin qu’il utilise ses prérogatives pour invoquer le 25e amendement constitutionnel qui prévoit l’éviction d’un président ayant montré une incapacité à assurer ses responsabilités, à gouverner le pays et à protéger la démocratie. Malgré le camouflet que lui a asséné Trump, Pence eut la dignité de refuser la venimeuse proposition. Car l’idée du nouveau pouvoir consiste non seulement à décrédibiliser Trump mais à le salir, à l’humilier. Et pour cela, son éjection de la Maison-Blanche avant le 20 janvier, terme officiel de son mandat, serait une mesure hautement significative. Elle ternirait à jamais son image dans les esprits et devant l’Histoire. La déchéance de Trump dépasserait dans ce cas le domaine strictement électoral pour atteindre celui de la morale, de la décence. Quoi qu’il en soit, Trump terminera sa météorique trajectoire comme un banni, un solitaire et un isolé car, n’ayant plus accès à Twitter — ultime cruauté —, il ne peut même plus communiquer avec ceux qui lui sont encore fidèles. Les chefs républicains à la Chambre et au sénat, beaucoup de ministres, certains conseillers l’ont vite lâché. Leur carrière, ils l’ont senti, serait mieux assurée en prétendant que la fraude électorale n’avait jamais été prouvée plutôt qu’en étayant les arguments contraires. Pour se donner bonne conscience et camoufler sa traîtrise, la majorité du parti républicain claironne maintenant que 34 % seulement des Américains croient fermement à des irrégularités électorales. D’où sort ce pourcentage si commode, si opportun ? La droite honteuse et ambiguë passée frileusement à l’opposition s’en gargarise en espérant se refaire une virginité. Pathétique et grotesque. […]

Paul SIGAUD.