n°3516 du 27/4/2022
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Rivarol n°3516 du 27/4/2022 (Papier)

Editorial

Nouvelle cinglante défaite du clan Le Pen : c’est reparti pour 5 ans de Macronie !

FINALEMENT il n’y a pas eu de surprise. Celui que quasiment tous les sondages depuis cinq ans annonçaient comme devant être réélu au terme de son premier quinquennat l’a logiquement été dimanche soir. Et qui plus est dans un fauteuil. Avec 58,54 % des suffrages exprimés et cinq millions et demi de voix de plus que l’autre finaliste. Il y a au total 17 points d’écart entre les deux candidats, c’est certes moins que les 32 points d’il il y a cinq ans (66 % contre 34 %) mais cela reste un écart considérable. A 44 ans, Emmanuel Macron est le premier président de la Ve République à être réélu au suffrage universel direct hors cohabitation. Car si François Mitterrand et Jacques Chirac avaient été réélus, le premier en 1988, le second en 2002, c’est parce qu’ils avaient bénéficié de la cohabitation avec un Premier ministre d’une majorité opposée (Chirac de 1986 à 1988, Jospin de 1997 à 2002) et avaient pu se refaire une santé, n’étant pas jugés comptables de la situation du pays par des électeurs indulgents et amnésiques qui rejetaient exclusivement la faute sur le chef du gouvernement sortant (Chirac en 1988, Jospin en 2002).
Cette fois-ci rien de tel : Macron a disposé d’une majorité absolue à l’Assemblée tout au long de son premier mandat présidentiel et il a été pendant cinq ans en première ligne, jouant même le rôle de super-Premier ministre. Plus stupéfiant encore, c’est la première fois depuis l’instauration du quinquennat en septembre 2000 qu’un chef de l’Etat sortant parvient à se faire réélire au suffrage universel. Macron réussit là où ses deux prédécesseurs avaient échoué, Sarkozy qui s’inclina au second tour de la présidentielle de 2012 face au candidat socialiste François Hollande, puis ce même Hollande, ce qui est encore pire, qui ne put se représenter en 2017, bien malgré lui, à cause de sondages unanimement catastrophiques qui le plaçaient tous en-dessous de 10 % des suffrages exprimés et donc incapable de se qualifier pour la finale de la compétition.
Le score obtenu par Macron est même plus élevé que ce qu’annonçaient les sondages de l’entre-deux-tours qui, selon les études et les instituts, situaient son score entre 51 et 57 % des voix. Le dernier sondage Odoxa le plaçait à 53 % et la plupart des autres sondeurs le situait autour de 55 %. Il a donc dans les urnes fait sensiblement plus que ce qui lui était attribué. Il a même obtenu un score légèrement supérieur à celui de Georges Pompidou (58,21 %) face à Alain Poher (41,79 %) lors du second tour de l’élection présidentielle, le 15 juin 1969, une finale où l’abstention avait atteint le record inégalé jusque-là de 31,15 %, contre 28,01 % ce 24 avril, le candidat communiste Jacques Duclos, éliminé de justesse au premier tour, avec un score voisin de celui de Mélenchon (21,27 % contre 21,95 % pour le chef de la France insoumise), ayant alors appelé ses électeurs à ne pas choisir « entre bonnet blanc et blanc bonnet », une consigne massivement suivie par l’électorat communiste.
On notera que, depuis quelques scrutins, la majorité des électeurs votent pour les sortants et ne pratiquent plus le fameux dégagisme. Aux municipales de 2020, la plupart des maires ont ainsi été réélus. En 2021, il en alla de même pour les exécutifs départementaux et régionaux. Et en 2022 le président sortant est lui aussi largement réélu, même si le score est un peu moins massif qu’il n’y paraît si on tient compte de la forte abstention (28,01 %, le deuxième chiffre le plus élevé pour un second tour de présidentielle après 1969) et des trois millions de bulletins blancs et nuls. Macron a réuni 58,54 % des suffrages exprimés mais seulement 38,52 % des inscrits. Reste que cette présidence de crises diverses (gilets jaunes, covid, guerre en Ukraine) aura paradoxalement servi l’Elyséen. A l’instar des président hongrois et tchèque, qui ont été récemment réélus brillamment, Macron a donc manifestement bénéficié à son tour de cette succession de crises, l’électeur ayant tendance à se regrouper autour de l’Exécutif en cas de danger ou de perception du danger. C’est la première leçon de cette réélection.

PAR AILLEURS, le score au final très confortable de Macron prouve que la stratégie du Front républicain reste toujours aussi efficace dans les urnes. Cela rappelle le scénario qui avait eu lieu, en juin dernier, lors des régionales, en Provence-Alpes-Côte d’Azur : le président sortant de la région PACA, Renaud Muselier, était annoncé au second tour au coude-à-coude avec le candidat du Rassemblement national, l’ex-LR Thierry Mariani, ci-devant ministricule de Nicolas Sarkozy chargé des Transports. Les sondages indiquaient un duel très serré autour de 50-50, et au final Muselier l’a emporté très largement, avec treize points d’avance (56,48 % contre 43,52 % pour la liste RN de Mariani). La gauche qui n’avait plus de représentant officiel s’était en effet massivement reportée sur Muselier au nom du front républicain.
Et manifestement c’est encore ce qui s’est produit dans les urnes le dimanche de Quasimodo. Si certains des électeurs de gauche se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul (plus de trois millions de bulletins blancs et nuls, mais curieusement un de moins qu’en 2017 !), la plupart se sont résignés, au nom de l’antifascisme, au nom de la lutte contre la prétendue extrême droite, à glisser dans l’urne un bulletin au nom du président sortant, bien que généralement ils le détestassent. Mais la peur et la haine de « l’extrême droite » ont sans surprise étaient beaucoup plus fortes, beaucoup plus puissantes, beaucoup plus viscérales que le rejet qu’ils pouvaient éprouver à l’égard de Macron. C’est là une nouvelle fois un enseignement majeur du scrutin qui est lourd de conséquences car il interdit mathématiquement toute victoire électorale majeure dans le cadre d’un scrutin majoritaire à deux tours à un candidat qualifié par les media d’« extrême droite ». L’emploi de l’expression sert à diaboliser et à disqualifier, à délégitimer et à effrayer. Le président sortant le sait mieux qu’un autre, c’est pourquoi, tout au long de la quinzaine, il n’a quasiment jamais appelé Marine Le Pen par son nom, sauf pendant le débat télévisé où elle a été d’une grande fadeur et d’une grande médiocrité, sur la défensive, face à un président offensif et incisif (on l’avait l’impression que c’était elle la sortante, c’est consternant !), mais il parlait sans cesse de la « candidate d’extrême droite » ou, de manière encore plus abstraite, de « l’extrême droite » tout simplement. Une stratégie qui ne repose pas sur la rigueur scientifique d’une analyse objective de science politique (Marine Le Pen n’a en effet rien qui puisse la rattacher à ce courant, non plus d’ailleurs, à la vérité, qu’à la droite, la droite traditionnelle et authentique) mais qui est manifestement très efficace dans un but de racolage électoral des sympathisants et militants de gauche voire d’extrême gauche.
Les électeurs d’Anne Hidalgo, de Yannick Jadot se sont ainsi très majoritairement reportés au second tour sur le président sortant. Et même les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont-ils été nombreux (plus de 40 % d’entre eux d’après les différentes enquêtes) à voter pour Macron, alors qu’ils étaient bien peu à avoir glissé un bulletin Marine Le Pen dans l’urne (on estime cette frange de 10 à 18 % de l’ensemble des mélenchonistes du premier tour). Toutes les œillades de la candidate du Rassemblement national en faveur de la gauche, comme en 2017, se sont soldées par un large insuccès. Car, quelle que soit la normalisation de Marine Le Pen, quels que soient ses abandons programmatiques, ses inflexions stratégiques, ses revirements incessants, ses efforts pour paraître mesurée, pondérée, apaisée, républicaine, démocrate, respectueuse des institutions, l’évolution de son discours et de ses thématiques, la volonté d’adoucir son image avec son statut d’éleveuse de chats, de femme divorcée plaidant pour aider davantage les cellules monoparentales, elle ne peut dans les urnes obtenir la majorité des suffrages exprimés. Le plafond de verre est toujours là, aussi solide que jamais. Ce qui ôte toute perspective électorale gagnante à vue humaine dans les années et décennies à venir à tout candidat populiste affublé de l’étiquette volontairement infamante d’extrême droite.
 
EN POLITIQUE, comme dans la vie, il faut voir la vérité en face, ne pas se bercer de je ne sais quelle illusion électorale : un candidat populiste, quel qu’il soit, je le répète, dès qu’il est relié à l’extrême droite, ne peut remporter une élection majeure. L’histoire contemporaine le prouve, l’expérience l’atteste depuis plusieurs décennies. Le seuil de 50 % des suffrages exprimés n’est pas atteignable sur la France entière. C’est ainsi. Et contrairement à ce qu’on lit et ce qu’on entend ici et là, il n’y a objectivement aucune raison pour que cela change à vue humaine. Les raisons psychologiques, sociologiques et géographiques s’opposent à une arrivée d’un représentant dit d’extrême droite à la tête de la France.
Il est frappant de constater que les tranches d’âge qui ont assuré la très confortable réélection de Macron sont d’une part les jeunes de moins de 25 ans, qui incarnent l’avenir du pays (et ce n’est donc pas une bonne nouvelle pour le camp dit populiste) et également les plus de 60 ans qui ont voté à plus de 65 % pour le président sortant. Et plus les électeurs sont âgés, plus ils votent massivement pour Macron. Ce qui fait du monde, surtout avec l’allongement de la durée de la vie. Manifestement le « quoi qu’il en coûte » de Macron au moment de la crise du covid lui a été bénéfique électoralement.
Beaucoup d’électeurs du troisième et du quatrième âge se sont sentis protégés et choyés par ce président jeune, dynamique et souriant, qu’ils regardaient régulièrement à la télévision et qui donnait le sentiment de bien s’occuper d’eux. Evidemment tout cela est une imposture. Il n’est que de se souvenir des milliers de morts dans des conditions indignes dans les Ehpads et les hôpitaux, des pensionnaires privés du droit de visite de leur famille, des euthanasies déguisées à base de Rivotril. Mais qu’importe en politique, n’existe que ce qui apparaît. Et manifestement la grande majorité des seniors a été satisfaite de la façon dont la crise a été gérée, ainsi que celle des gilets jaunes, et a donné son quitus au président quadragénaire. Sauf remarquables exceptions, la personne âgée a tendance à voir le court terme, et non le long terme, à craindre toute forme d’aventurisme, de saut dans l’inconnu, de radicalité, et il n’est donc pas étonnant que les mouvements populistes rencontrent en général un écho limité dans cette tranche de la population. Un peuple vieillissant, et ce n’est nullement là un jugement de valeur, a tendance à être conservateur (dans le mauvais sens du terme), à juger très négativement toute forme de changement ou d’évolution et à privilégier l’immédiateté sur le long terme. C’est pourquoi un peuple qui n’a pas en lui une grande vitalité démographique, qui ne dispose pas en son sein d’une jeunesse nombreuse, dynamique et entreprenante, s’affaiblit, se sclérose, se racornit, est moins à même de réagir et de résister aux phénomènes de submersion externe et de subversion interne, d’agression extérieure et de dilution intérieure.

MACRON a également réussi à réunir sur son nom la bourgeoisie de droite et de gauche. On ne le dira jamais assez, la conscience de classe joue un rôle déterminant dans un scrutin. Les foyers bénéficiant d’un certain niveau de vie, même s’ils sont loin d’être richissimes, et de certains diplômes de l’enseignement supérieur, même s’ils ne valent pas forcément grand-chose et n’indiquent rien de fondamental sur la valeur réelle du récipiendaire, si ce n’est qu’il a su se conformer à ce que l’on attendait de lui, n’aiment pas voter de la même manière que le “populo”. Le mépris de classe, la lutte des classes, l’égoïsme de classe, cela existe bel et bien, et ce n’est pas être marxiste que de le constater. Je me souviens, lorsque j’étais plus jeune, avoir discuté avec des fils d’une bonne bourgeoisie provinciale, catholique et de droite, qui, tout en étant d’accord avec l’essentiel du programme du Front national des années 1980 et 1990, et étant notamment très hostiles à l’immigration de masse, refusaient absolument, quels que soient les scrutins et les circonstances, de voter pour Jean-Marie Le Pen et son parti parce que, me confiaient-ils sans rire (j’en étais effaré à l’époque, tant j’étais encore jeune et naïf !), leur femme de ménage, leur couturière, leur chauffeur votaient Le Pen ! Et comme m’avait dit l’un d’entre eux : « tu as vu qui vote Le Pen ? Je ne vais pas m’abaisser à voter comme cette populace ! » Et le même de voter invariablement Chirac puis Balladur, même s’il reconnaissait que l’un et l’autre ne faisaient rien pour freiner ou arrêter l’immigration de masse !
Et ce n’est pas là une exception. J’avais connu la même mésaventure dans les années 1990 quand j’encourageais un jeune bourgeois d’une vingtaine d’années à voter pour Le Pen plutôt que pour Villiers en lui faisant valoir que le programme était pour l’essentiel le même et qu’il valait mieux se prononcer pour l’original plutôt que pour la copie. Il n’y avait rien à faire, il n’avait aucun argument politique rationnel à opposer mais c’était imaginable pour lui de voter FN. Le vote Villiers était simplement pour lui un vote de classe, beaucoup plus qu’un vote de convictions. Dans son milieu social on pouvait se permettre de glisser dans l’urne un bulletin au nom du vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon mais pas celui de Jean-Marie Le Pen. Je relate ces quelques anecdotes simplement pour dire que la conscience de classe existe puissamment et qu’elle joue un rôle essentiel dans les choix électoraux. Je dis bien conscience de classe car on peut parfaitement ne pas être fortuné, mais simplement se considérer socialement et intellectuellement supérieur à l’ouvrière ou à l’épicière qui vote Le Pen. C’est l’idée que l’on se fait de soi-même et des autres, de sa position, de son statut social et intellectuel, qui est au final plus importante, plus prégnante, plus décisive que la réalité. Et qui influe fortement dans les comportements, singulièrement sur le plan électoral.

LE CAMP de Marine Le Pen, essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et cherchant surtout à mobiliser ses électeurs pour le scrutin suivant (allons de défaites en défaites, de déroutes en déroutes, jusqu’à la victoire !) affirme que le score de la candidate du Rassemblement national est en réalité un succès. Lors de sa brève allocution dimanche soir peu après 20 heures, Marine Le Pen a même osé parler d’une « éclatante victoire ». Nous ignorions qu’elle avait à ce point le sens de l’humour. Depuis un demi-siècle (le Front national a été fondé le 5 octobre 1972), le FN n’a connu que des échecs. En dehors de quelques élus lors d’élections pour l’essentiel à la proportionnelle, il n’a jamais conquis aucun exécutif sur le plan départemental, régional ou national. Comment peut-on n’offrir pendant cinquante ans que des échecs à ses troupes, avec son lot inévitable de déception, d’amertume, de tristesse, de rancœur, de démobilisation, de découragement et ne jamais se remettre en question, ne jamais s’interroger pour savoir si la voie qui a été choisie est la bonne ? Mais cela importe peu à Marine Le Pen dont le but est de maintenir, et si possible, de faire fructifier le magot électoral et financier que son père lui a confié et de continuer ainsi jusqu’à l’âge où elle pourra bénéficier d’une retraite à taux plein. C’est pourquoi, contrairement à ce qu’elle avait laissé entendre pendant la campagne, tout laisse à penser qu’elle se représentera dans cinq ans en 2027, puis dans dix ans en 2032. C’est vrai, après tout, elle n’a que 53 ans. Comme son père l’a dit : « J’ai 94 ans et je continue toujours, Marine Le Pen ne va pas s’arrêter à 53 ans ». Vous n’avez pas compris : c’est l’amour de la France qui guide cette famille désintéressée, c’est cela qui la motive et la fait vibrer. D’ailleurs, tiens, il ne faut pas se décourager, il faut continuer le combat électoral : après l’échec de la présidentielle et celui, inévitable, des législatives, dans deux ans il y a les européennes, en mai 2024. Et c’est l’occasion, comme en 2014 et en 2019, d’arriver en tête de toutes les listes. Même si cela ne sert à rien et que les eurodéputés n’ont aucun pouvoir, mais qu’importe, en avant la victoire ! Maître chez nous ! Et puis attention en mars 2026, il y a les élections municipales. C’est important, l’implantation locale ! C’est le premier étage de la fusée RN qui propulsera vers un nouvel échec présidentiel retentissant en 2027 et en 2032 ! Et en 2028 ce sont les régionales et les départementales, le deuxième étage de la fusée RN avant la grande bataille présidentielle de 2032. Voilà un demi-siècle qu’on nous fait le coup, et le pire, c’est que ça marche à chaque fois !
Cette nouvelle défaite de Marine Le Pen est pourtant sans appel, plus lourde même que ce qu’annonçaient les différents instituts de sondage. Si elle obtient 7,5 points de plus qu’en 2017 et 2,5 millions de suffrages supplémentaires, l’écart reste toutefois gigantesque avec le président sortant : plus de 17 points d’écart, 5 millions et demi de bulletins de différence ! En métropole, elle est battue partout, souvent très nettement, sauf dans trois régions : la Corse, les Hauts-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est certes mieux qu’il y a cinq ans où elle n’avait mis dans son escarcelle que deux départements (l’Aisne et le Pas-de-Calais) — elle est arrivée en tête ce dimanche soir dans 23 départements métropolitains sur 95 —, mais elle reste loin du compte. Dans les trente plus grandes villes de France, la candidate du Rassemblement national est largement dominée par Macron qui obtient souvent des scores de maréchal : 85 % à Paris (l’Ile-de-France votant à plus de 73 % pour le président sortant), 80 % à Lyon et à Bordeaux, 77,5 % à Toulouse et à Strasbourg, 84 % à Rennes, 81 % à Nantes, 78,5 % à Grenoble, 76,5 % à Lille et même 60 % à Marseille et plus de 55 % à Nice !

LA FRANCE est manifestement coupée en deux : entre les classes populaires d’une part (les ouvriers et les chômeurs ont voté pour plus des deux tiers d’entre eux pour Marine Le Pen) et les classes moyennes et supérieures d’autre part, entre les actifs et les seniors, entre les villes et les campagnes, entre les grandes et moyennes métropoles et la ruralité. Ce sont en effet dans les zones rurales et généralement pauvres que Marine Le Pen obtient ses meilleurs scores, pour l’essentiel à l’est d’une ligne Le Havre-Valence-Perpignan. Les villes et la façade Atlantique résistent toujours massivement à Marine Le Pen. Ce sont les métropoles et les banlieues d’une part, et l’Ouest de la France d’autre part qui assurent sa défaite. En revanche, elle obtient des scores canon dans ce qu’il est convenu d’appeler la France périphérique, celle des gilets jaunes qui étaient sur les ronds-points fin 2018 et début 2019, dans des terres contestataires comme la Corse au sud, avec plus de 58 % des suffrages, l’ancien bassin minier au Nord, et de manière a priori plus étonnante, dans beaucoup de territoires ultra-marins où elle réalise des performances aussi inattendues qu’impressionnantes : près de 70 % en Guadeloupe, plus de 60 % en Guyane et en Martinique, près de 60 % à Mayotte et à La Réunion. Elle semble là avoir fait quasiment le plein de l’électorat qui s’était porté sur Mélenchon au premier tour. L’électorat mélenchoniste s’est donc comporté très différemment entre l’outre-mer et la France métropolitaine. Ce qui laisserait à penser que les Français de couleur sont paradoxalement moins sensibles désormais aux accusations de racisme et de fascisme qui sont portées contre Marine Le Pen que les Français leucodermes. Un comble quand on se souvient des scores microscopiques que faisait dans les Antilles dans les années 1980 à 2000 Jean-Marie Le Pen, lequel ayant même connu des déboires, ne pouvant faire atterrir son avion en Martinique à cause de manifestants locaux remontés contre lui et son “racisme” et l’attendant avec des hachettes !
Même le paisible et modeste archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon a étonnamment apporté la majorité de ses suffrages exprimés à la benjamine de Jean-Marie Le Pen. Preuve que ces populations du bout du monde sont finalement plus contestataires, moins loyalistes à l’égard du pouvoir sortant que la population française de l’Hexagone ! Dans le cas de Mayotte, Marine Le Pen a certainement bénéficié des inquiétudes de la population locale face à une immigration massive et incontrôlée qui ne cesse de déferler. Le fort mouvement de contestation aux Antilles contre les mesures drastiques de confinement et contre la mise à pied des soignants refusant de se faire vacciner lui a également été favorable, même si le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas été spécialement en pointe contre la tyrannie sanitaire depuis deux ans ! Il est enfin possible que ses propositions en faveur du pouvoir d’achat, sa volonté de maintenir la retraite à 62 ans, voire dans certains cas de la ramener à 60 ans, de soutenir davantage les cellules monoparentales, de mettre en œuvre beaucoup plus d’aides sociales ont été jugés sympathiques dans des territoires vivant beaucoup du tourisme mais aussi et surtout de l’assistanat. En revanche, les Français de l’étranger, généralement libéraux et mondialisés, ont voté massivement et sans surprise pour Macron, à plus de 86 %.

RESTE maintenant la question des législatives. Mélenchon souhaite imposer une cohabitation à Macron et demande aux Français de « l’élire Premier ministre » en accordant à l’Union populaire qu’il anime et à ses alliés communistes, Verts et NPA, une majorité à l’Assemblée les 12 et 19 juin. Marine Le Pen, pareillement, souhaite obtenir une majorité au Palais-Bourbon mais, contrairement à Mélenchon qui est favorable à des alliances avec les autres partis de gauche et même d’extrême gauche puisqu’il inclut dans sa proposition d’accord législatif le Nouveau Parti Anticapitaliste de Poutou, elle est hostile à toute forme d’alliance avec le parti Reconquête de Zemmour. De sorte que, dans la plupart des circonscriptions, la « droite nationale et populiste » (ou plutôt ce qui en tient lieu) sera scindée entre trois candidatures : celle du Rassemblement national, qui a d’ores et déjà annoncé sa présence dans les 577 circonscriptions, celle de Reconquête et celle de Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan allié avec les Patriotes de Florian Philippot et Génération Frexit de Charles-Henri Gallois, une dissidence souverainiste de l’UPR d’Asselineau consécutive aux affaires de mœurs touchant ce dernier. C’est dire à quel point l’autoproclamé « camp national » est bien parti !
En réalité, disons-le franchement : de même que nous avions annoncé depuis plusieurs mois la victoire de Macron, encore plus certaine après le déclenchement de la guerre en Ukraine, il ne fait pour nous aucun doute que le président bénéficiera d’une majorité à l’Assemblée en juin prochain. Non seulement parce que tous les présidents élus ou réélus ont toujours obtenu une majorité, le plus souvent absolue, et une seule fois relative (en juin 1988) lorsque les législatives ont suivi de quelques semaines, comme c’est le cas encore cette fois-ci, l’élection présidentielle. Mais aussi parce que le scrutin majoritaire à deux tours, qui fonctionne comme un laminoir, favorise davantage encore la majorité présidentielle qui compte beaucoup de sortants et qui bénéficie par rapport à ses concurrents d’une certaine dynamique. Macron ayant de surcroît l’habileté manœuvrière de proposer des alliances avec des députés sortants LR, socialistes voire écologistes, en s’engageant, s’ils le soutiennent clairement à l’Assemblée à ne pas présenter contre eux de candidats de la République en marche aux législatives, on voit mal comment la Macronie et ses alliés ne disposeraient pas, par l’effet mécanique du scrutin à deux tours, d’une large majorité, et peut-être même d’une majorité introuvable. Car les deux seules oppositions parlementaires à Macron, du fait de l’effondrement du PS et de LR et de la migration de beaucoup de leurs députés sortants vers la Macronie, sont d’une part la France insoumise de Mélenchon et d’autre part le Rassemblement national de Marine Le Pen. Les Insoumis comptent actuellement 17 députés sortants, le RN 7 (huit si l’on compte Emmanuelle Ménard mais vu comme le maire de Béziers lorgne de plus en plus vers Macron et étrille régulièrement Marine Le Pen et Eric Zemmour, il nous paraît prudent de ne pas intégrer sa moitié dans le contingent RN et apparentés).
Comment imaginer alors qu’ils disposent de peu de municipalités et d’élus locaux, et dans un contexte de forte abstention où les jeunes et les classes populaires déserteront massivement les urnes, comme on peut aisément le prévoir (les législatives de 2017 avaient été marquées par 50 % d’abstention), que ces deux mouvements puissent, l’un ou l’autre, obtenir une majorité, même relative, au Palais-Bourbon ? C’est tout simplement impensable. S’ils gagnent l’un et l’autre une dizaine de députés, ce serait déjà une performance non négligeable dans le contexte actuel. Et puis les Insoumis et le RN ne pourront bénéficier aux législatives de l’effet de locomotive de Mélenchon et de Marine Le Pen qui, par leur notoriété pour les deux et le talent pour le premier, engrangeaient des voix en grand nombre à la présidentielle. Il n’est même pas certain du tout que le Rassemblement national obtienne un groupe à l’Assemblée. Il faut pour ce faire au moins quinze députés. C’est possible sur le papier, mais c’est loin d’être gagné. D’autant que, avec la forte abstention qui se profile, il n’y aura quasiment pas de triangulaires (il faut avoir réuni au moins 12,5 % des inscrits pour se maintenir au second tour ou alors arriver dans les deux premiers) le 19 juin prochain, et l’on sait par expérience qu’il est beaucoup plus difficile pour le RN de gagner en duel qu’en triangulaire. Enfin, la division avec Reconquête, les accusations portées de part et d’autre, les noms d’oiseau échangés risquent de décourager une partie de l’électorat dit national, déjà déçu voire sonné par le score de Marine Le Pen le 24 avril au soir. Le RN sera en effet inflexible comme nous l’avions prévu et ne fera aucun cadeau aux zemmouriens. L’ancien polémiste de Cnews devait en avoir conscience. Sinon il se serait probablement gardé de déclarer dans son allocution au soir du second tour que « c’est la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen », de la présidentielle de 1974 à celle de 2022 inclusivement (sauf celle de 1981 où Jean-Marie Le Pen n’avait pu se présenter, faute d’obtenir les cinq cents précieux paraphes). Et le chef de Reconquête d’ajouter, ce qui apparaissait comme un lourd reproche envers le clan Le Pen : « Sommes-nous condamnés à perdre ? Y a-t-il une fatalité pour que les défenseurs des idées nationales perdent toutes les élections ? » Une remarque en soi pertinente mais qui est quelque peu gênante quand on n’a soi-même obtenu que 7 % au premier tour après avoir assuré pendant toute la campagne qu’on serait au second tour et que, contrairement à Marine Le Pen, on s’engageait dans cette élection pour gagner !
S’il a demandé, ainsi que Marion Maréchal, à Marine Le Pen une alliance pour les législatives, il sait très bien que le refus sera net et définitif. C’est une façon de faire porter au RN le mistigri de la division. Mais cette stratégie sera-t-elle suffisante pour redonner des couleurs au jeune parti de Zemmour ? Il est permis d’en douter. Son échec retentissant, et qu’il n’avait nullement anticipé, au premier tour, est naturellement de nature à démobiliser, à décourager une grande partie de son électorat qui sait de surcroît qu’il n’a pas la moindre chance de faire élire des parlementaires dans le cadre d’un scrutin majoritaire à deux tours. D’autant que le nom et le sigle de son parti sont peu connus du grand public, la quasi-totalité des candidats qu’il va présenter sont également de parfaits inconnus ne disposant pas d’implantation locale. Par conséquent, on voit mal comment Reconquête pourrait ne pas à nouveau boire la tasse cette fois, et sans doute dans de plus grandes proportions encore qu’en avril.
Mais le RN lui-même, dont la situation est évidemment moins critique, aura également du mal non seulement, on l’a dit, à faire élire un grand nombre de députés, mais également à obtenir un score aussi élevé que les 23,15 % récoltés par Marine Le Pen le dimanche des Rameaux. En général, lorsque les législatives suivent de quelques semaines la présidentielle, le FN perd systématiquement de 5 à 8 points (près de 5 en 1988 et en 2012, 6 en 2002 et en 2007, 8 en 2017). S’il en va de même cette fois-ci, le RN pourrait se retrouver avec un score de premier tour situé entre 15 et 18 %. Ce qui devrait légèrement augmenter le montant de son financement public annuel pendant cinq ans (il avait obtenu 13,2 % aux législatives de juin 2017), à condition toutefois que l’abstention ne soit pas beaucoup plus élevée qu’il y a cinq ans, la dotation de l’Etat pour un parti politique donné étant calculée au premier tour sur le nombre de suffrages recueillis (1,42 euro par voix) et au second sur le nombre de parlementaires élus.

LA RÉÉLECTION de Macron est évidemment une très mauvaise nouvelle pour le pays. Pendant cinq ans il va poursuivre son œuvre de destruction, légalisera la GPA, l’euthanasie, le suicide assisté, s’en prendra aux écoles hors contrat, après avoir interdit de facto d’ici 2024 l’école à la maison, favorisera l’immigration de masse et les transitions de genre à l’école, limitera encore davantage la liberté de l’esprit, persécutera fortement les contestataires dont nous sommes. Il continuera à détricoter et à détruire le pays. S’il peut sans doute obtenir une large majorité en juin au Parlement, il pourrait toutefois se heurter à des mouvements de contestation violents et récurrents dans le pays. Car la politique qu’il met en œuvre aux ordres des cénacles mondialistes et de la finance anonyme et vagabonde dont il est un laquais nuit fortement à des catégories entières du peuple français. Il faut donc espérer qu’il y ait dans la rue des réactions un jour suffisamment fortes et vigoureuses pour faire changer les choses. S’il en est encore temps. Car si ce n’est pas le cas, la dissolution et l’effacement du pays iront inexorablement à leur terme.

RIVAROL, <jeromebourbon@yahoo.fr>. 

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La seule chose que je suis en droit d’attendre de la part d’un candidat qui se targue de patriotisme est qu’il se serve du piédestal médiatique que lui apporte la kermesse électorale pour diffuser un message radical et pour galvaniser une minorité active qui, elle seule, en temps et en heure, s’emparera du pouvoir à la force du poignet. Je peux donc me montrer indulgent envers un candidat qui se veut un défenseur solide de la nation s’il ne sert pas exclusivement à perdre mais s’il possède également l’honnêteté, le courage et certainement l’esprit de sacrifice nécessaire à l’irrigation et à l’oxygénation d’une mouvance nationaliste qui constitue la seule chance de prise du pouvoir.

TOUS LES CANDIDATS SONT LES ENFANTS DU SYSTÈME

Je ne suis pas dupe. Je sais que les candidats, hier outsiders, aujourd’hui challengers issus ou représentants du courant dit national ont un grand rôle à jouer dans le Système, pour le Système. Il est vrai qu’il est difficile d’appréhender la fonction organique de ces nationaux-là quand on suit chaque campagne électorale comme on suit chaque année le championnat de France de football où toute équipe peut briller et influer sur le classement ou à la manière dont on joue au loto en espérant à chaque fois gagner le gros lot, même au bout de quarante ans de pratique infertile. Les années passent, les décennies s’enchaînent, tout change autour des parieurs, la révolution sociétale a fait son effet et se poursuit, la nation devient toujours plus poreuse, le peuple change, principes et sacré disparaissent, mais qu’est-ce que cela peut-il bien faire aux parieurs et aux supporters ? Le problème, le sérieux problème, c’est que l’électeur se comporte très objectivement de la même façon que ces derniers. Grisé avant son vote, il sue, fébrile, avant les résultats qu’il vit en direct comme il vit en direct le tirage du loto et le match phare de la saison. Puis le verdict des urnes, car c’est un verdict, nul ne saurait le remettre en question, nul n’aurait l’outrecuidance de le contester. Vox populi, vox dei. La règle du jeu est trop claire pour l’électeur fatigué par toutes ses émotions, son stress, ses crispations, son impatience, ses “prières”, vaudoues, ses incantations précédant le grand affichage du 20 heures. Ce soir, l’électeur a perdu.

LA RÉSILIENCE DE L’ÉLECTEUR EST UNE DROGUE

Las, dégoûté, désespéré, parfois anéanti, l’électeur est cependant résilient. On ne fait d’ailleurs pas plus résilient que lui. En effet, après les bonnes résolutions suivant sa gueule de bois, en premier lieu celle de ne plus participer au grand cirque électoral, grosse foire qui lui aura coûté une énergie considérable pour rien (les illusions et les désillusions ont un coût psychologique non négligeable), l’électeur se remet doucement de sa déception et, tel un sportif blessé mais en voie de guérison, il reprend le chemin de sa gymnastique habituelle après la disparition de “son” bleu à l’âme. Progressivement, le goût du jeu revient en lui, et on peut encore comparer l’homo electus au joueur malade d’addiction qui, après une énième ruine engendrée en une nuit sur tapis vert, reprend goût, avec le temps, à l’ivresse des dés et des cartes qui décident ou non d’un destin qu’il veut doré. L’homo electus est le fruit d’un Système, le fruit du Système qui écrase tout ce que nous sommes. Quoi de plus logique qu’il soit formé pour le perpétuer via l’urne consacrée dans un geste sacrificiel si évident qu’il ne le voit absolument pas. En votant, en choisissant non une autorité conforme à sa vision du monde mais une malheureuse planche de salut, l’électeur n’accorde pas seulement à l’Etat le monopole de la violence en échange de sa très relative sécurité mais concède tout au Système. Il lui accorde ainsi le droit de penser pour lui, de concevoir des lois toujours plus éloignées de ses aspirations, en fonction d’une philosophie toujours plus vaporeuse autorisant le Système à organiser toujours davantage la société contre les intérêts de l’homme transformé en électeur hors sol. Tous les cinq ans des échéances, majeures dans l’esprit de l’électeur, se déroulent. Là, l’homo electus donne tout, son bulletin pèse des tonnes puisqu’il est imbibé de toutes ses colères, de toutes ses frustrations, de toutes ses peurs et de toutes ses attentes. L’électoralisme est une maladie mentale, une drogue infernale quand il touche l’homme de principes. (Les autres, tous ceux se laissant porter par le vent, vivent pour vivre en jouissant, en attendant tranquillement la mort sans se préoccuper véritablement du sort de leurs descendants, qui n’auront qu’à s’adapter, comme eux, à l’évolution de la société, quelle qu’elle soit.) Il est une maladie mentale puisqu’il empêche l’homme transformé en électeur d’être lucide quant aux effets de son action sur la société dans son ensemble. Sous l’empire de cette République mortelle, l’effet du vote de l’homme de bien transformé en électeur est infect.
L’élection a d’abord pour effet de stériliser l’homme de bien en lui donnant l’impression qu’il peut en dehors des kermesses électorales vivre paisiblement en faisant fi de toute radicalité. L’homo electus, par le verbe, les grognements et des commentaires dans les bocaux des réseaux sociaux, se donne l’image gratuite de l’homme de convictions, mais il n’agit sur rien, ne prépare rien, pis se croit insensible à la révolution sociétale et cosmopolite qui s’accomplit continûment, chaque jour passant. Il voit son bulletin de vote comme un bouclier qui le protégerait des mauvaises pensées et comme une partie essentielle de son identité alors qu’il ne recouvre quasiment rien, et de moins en moins de chose. Combien de fois avons-nous entendu tel ou tel s’enorgueillir de son vote qui n’aurait pas fluctué depuis ses 18 ans ? Et combien sont-ils ces fiers votants inflexibles privilégiant le contenant au contenu ? Combien sont-ils ces votants fidèles au flacon, chérissant la marque bien plus que ce qu’elle enrobe ? […]

François-Xavier ROCHETTE.