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Rivarol n°3518 du 11/5/2022 (Papier)

Editorial

Mélenchon unit son camp, Le Pen le désunit

ON LE SAIT, la gauche, même lorsque ses différentes composantes se détestent cordialement, sait s’unir lorsque ses intérêts le commandent et qu’il s’agit de sauver ou de conquérir des sièges et de battre qui la droite, qui la réaction, qui le fascisme. On en a eu encore une démonstration grandeur nature ces derniers jours avec l’union de la quasi-totalité de la gauche réalisée au forceps en moins de deux semaines sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon. La France insoumise qu’il dirige a réussi à nouer un accord électoral pour les législatives de juin dès le premier tour avec Europe Ecologie-Les Verts (qui a eu droit à cent circonscriptions sur 577), le Parti communiste (à qui ont été attribuées 50 circonscriptions, dont les onze de ses députés sortants), le Parti socialiste (qui a eu droit à 70 circonscriptions). L’alliance électorale englobe également le petit mouvement de l’ancien candidat socialiste à la présidentielle de 2017, Benoît Hamon, Génération-s. La nouvelle entité créée par Mélenchon et ses alliés s’appelle la NUPES, Nouvelle Union populaire écologique et sociale. Elle présente des candidatures unitaires partout (même s’il y aura quelques dissidences inévitables ici ou là), affirme qu’en cas de victoire Mélenchon serait Premier ministre et réserve à chaque parti en son sein une certaine indépendance : chaque parti de la coalition aura son groupe parlementaire et sa propre association de financement. C’est un moyen pour chacun des mouvements de continuer à exister politiquement et financièrement pendant les cinq ans à venir.
Quoi qu’on pense de Mélenchon, auquel tout ou presque nous oppose, on ne peut nier son sens politique et son habileté manœuvrière. C’est objectivement la candidature du communiste Fabien Roussel qui l’a fait perdre à la présidentielle de 2022, qui l’a empêché pour 421 000 voix d’accéder au second tour. Il aurait pu lui en vouloir mortellement, par vengeance présenter des candidatures des Insoumis dans toutes les circonscriptions où se représentaient des députés communistes et, du fait de son actuelle force de frappe, il aurait sans doute fait mordre la poussière à la plupart. Il eût pu pareillement décidé de liquider le Parti socialiste qu’il a quitté en 2008, avec une certaine prescience, pour parachever son triomphe sur toute la gauche et faire payer aux socialistes ce qu’il estime être leurs trahisons. Il aurait pu également traiter les Verts avec mépris, considérant que c’était lui le véritable candidat écologiste qui avait placé les thématiques environnementalistes au cœur de sa campagne présidentielle. Or, il n’en a rien fait. Bien au contraire. En fin tacticien, en stratège éprouvé, en politicien expérimenté, il a eu la sagesse et l’habileté de comprendre qu’il ne fallait pas humilier des concurrents qui pourraient lui être utiles pour l’accomplissement de son destin, que vouloir les terrasser, les tuer, c’était s’en faire des ennemis mortels qui, même affaiblis, pourraient lui nuire, qui, précisément parce qu’ils sont affaiblis, pourraient se montrer d’autant moins loyaux et dociles s’ils se sentent méprisés et humiliés.
MACRON, de son côté, a agi pareillement. Bien qu’il ait des relations désormais exécrables sur un plan personnel et politique avec son ex-Premier ministre Edouard Philippe, il a œuvré pour un accord, là aussi dès le premier tour, avec une répartition des circonscriptions entre Horizons, le mouvement de Philippe qui obtient 58 circonscriptions, le Modem de Bayrou qui en récolte 101, et la République en marche — qui s’appelle désormais Renaissance (comme c’était déjà le cas de la liste macroniste dirigée par la fade Nathalie Loiseau aux européennes de mai 2019) — et qui en obtient plus de 400. L’alliance entre ses partis a donné naissance à une confédération qui s’appelle Ensemble. Une dizaine de députés sortants LR ont rejoint cette confédération dans l’espoir de se faire réélire. La Macronie en attendait un nombre supérieur, surtout après les manœuvres de l’ancien président Nicolas Sarkozy en faveur de ce ralliement des LR à Macron, mais beaucoup de députés LR sortants, qui ont le vague à l’âme, après le score de Valérie Pécresse à la présidentielle (4,78 %), ont décidé de ne pas se représenter et d’autres hésitent à franchir le Rubicon, de crainte d’être traités de traîtres par leurs électeurs. Pécresse, manifestement remontée contre Sarkozy qui a brillé par son absence pendant toute la campagne avant le premier tour, avant de soutenir activement Macron pendant l’entre-deux-tours, a immédiatement réexpédié à son envoyeur, en recréditant son compte, le virement bancaire de 2000 euros de l’ancien président destiné à soutenir les frais de campagne impayés (cinq millions au bas mot) de la candidate des Républicains.
La droite dite parlementaire est décidément dans un état de quasi-mort cérébrale, et ce n’est pas la condamnation ce lundi 9 mai de l’ancien Premier ministre de Sarkozy, François Fillon (qui s’est aussitôt pourvu en cassation), par la cour d’appel de Paris à 4 ans de prison dont un ferme (sous bracelet électronique, comme Sarkozy avant lui), dix ans d’inéligibilité et 375 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics, complicité d’abus de biens sociaux et recel de ces deux délits dans le cadre des emplois fictifs de son épouse Pénélope Fillon (elle aussi condamnée, mais moins lourdement) qui va contribuer à lui remonter le moral. La mort de Chirac (en 2019), puis de Giscard (en 2020), la retraite politique obligée de Sarkozy et de Fillon à cause de leurs affaires judicaires (les deux hommes ont été condamnés à de la prison ferme), le grand âge de Balladur (93 ans) qui a lui-même été mis en cause dans une affaire peu reluisante de rétro-commissions sur vente d’armes, même s’il n’a pas été condamné, ont frappé à la tête les dirigeants historiques de cette famille politique et personne aujourd’hui ne semble s’imposer. Le giscardisme, le chiraquisme, le balladurisme, le sarkozysme et le fillonnisme se diluent et se dissolvent assez logiquement dans le macronisme qui réunit la gauche et la droite dites de gouvernement, la bourgeoisie de gauche et celle dite de droite.

SI MÉLENCHON ET MACRON savent unir leur camp respectif pour obtenir le maximum de poids, d’élus et donc de financement public pendant cinq ans, il n’en va pas de même du bloc qui se situe à leur droite. Guy Mollet parlait déjà à son époque de la « droite la plus bête du monde ». Que dirait-il avec ce qui en tient lieu aujourd’hui ? A la “droite” de Mélenchon et de Macron, il y aura en effet quatre candidatures au premier tour dans la quasi-totalité des 577 circonscriptions : celle des LR non ralliés à Macron mais refusant tout rapprochement avec Reconquête ou le Rassemblement national, celle du RN de Marine Le Pen, celle de Reconquête d’Eric Zemmour et celle enfin de Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan allié avec les Patriotes de Florian Philippot et Génération Frexit de Charles-Henri Gallois, un cadre dissident de l’UPR d’Asselineau. On le sait, nous sommes plus que réservés sur l’électoralisme et nous ne croyons pas que le salut de la France, s’il doit se réaliser un jour, se fera par les urnes qui débouchent toujours sur des désillusions, des trahisons, des déceptions voire des impostures. Mais à partir du moment où d’aucuns font le choix de jouer la carte électorale, à leurs risques et périls, il ne leur est pas interdit de faire preuve d’intelligence tactique et de volonté de rassemblement. Car comment prétendre rassembler et diriger la France et les Français lorsqu’on n’est même pas capable d’unir son propre camp, de mettre son mouchoir sur son ego, sur sa susceptibilité, sur son orgueil, sur sa vanité blessée, au nom de l’intérêt général, du bien commun ? Le marxiste Mélenchon a su le faire, le mondialiste Macron lui aussi pour son camp. Mais ceux qui s’autoproclament nationaux, patriotes, amoureux de la France, souverainistes, en sont parfaitement incapables, et cela en dit long sur leur degré de conviction, de désintéressement, de dépassement de soi et des intérêts sordides de leur petite boutique.
De même que Mélenchon a tendu la main (et non le bras !) à ses alliés naturels alors qu’il était en position de force et qu’il eût pu faire le choix de les mépriser voire de les écraser, de même, dans une logique arithmétique mais aussi psychologique bien comprise car l’union fait la force et galvanise les troupes et les énergies (et réduit également l’abstention car les électeurs ont besoin d’y croire, au moins un peu, pour participer aux scrutins), c’était à Marine Le Pen, arrivée en tête des candidats dits de “droite” (même s’il y aurait beaucoup à dire et à redire sur cette notion de droite s’agissant des partis et politiciens actuels), d’ouvrir des discussions avec Dupont-Aignan, Philippot, Zemmour voire Lassalle. Il n’en a évidemment rien été. C’est tout pour elle, rien pour les autres. Cela a d’ailleurs toujours été ainsi et cela continuera à l’être, fût-ce au détriment de l’ardeur militante, de la pertinence du programme, de la radicalité des propositions et des compétences de nombreuses personnalités ainsi sacrifiées. Elle a joué, on le sait, un rôle de pousse-au-crime en amont de la scission avec Mégret en 1998, par la suite elle fait capoter l’union patriotique entre son père et le même Mégret en 2006 et 2007, humiliant volontairement ce dernier, à qui la parole était refusée dans les meetings et qui n’avait même pas droit aux premiers rangs dans la salle pour bien montrer que sa présence était jugée non seulement inutile mais indésirable (Le Pen père avait d’ailleurs agi de même, en présentant aux législatives de juin 2007 son propre majordome contre Mégret dans la circonscription de Vitrolles, drôle de façon de faire vivre l’union patriotique !). Marine Le Pen agit de même avec les historiques du FN, les poussant au départ ou les faisant exclure (Marie-France Stirbois, Carl Lang, Martial Bild, Roger Holeindre, Jean-Pierre Reveau…) ou les marginalisant complètement et les humiliant comme Bruno Gollnisch. Il n’est donc pas étonnant que la benjamine de Jean-Marie Le Pen refuse toute main tendue. Ce qu’elle veut, ce n’est pas tendre la main (et encore moins le bras), c’est qu’on mange dans sa main. Et même qu’on aille à la niche tel un petit chien-chien bien sage et bien docile. Mais ce n’est pas ainsi qu’on fait de la grande politique et ce n’est pas ainsi qu’on prouve qu’on a l’étoffe, la stature et la carrure d’une « femme d’Etat » comme elle se qualifiait très modestement sur ses affiches et ses professions de foi lors de cette présidentielle. Encore une fois, on le voit, plus que de son géniteur, c’est de Régine, qui vient de décéder, que Marine Le Pen aurait dû briguer la succession. Elle eût été là parfaitement à sa place et en conformité avec ses capacités.

RIVAROL, <jeromebourbon@yahoo.fr>. 

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Billet hebdomadaire

La crise ukrainienne mènera-t-elle à l’éclatement de l’Union européenne ?

Chaque crise européenne, depuis le krack boursier de 2008, déchire un peu plus la pseudo-unité de l’Union européenne. La crise russo-européenne écartèle certaines nations du Vieux Continent qui sont sommées de choisir un camp. Les intérêts nationaux primant pour les pays dirigés par des souverainistes, l’unité de façade au sein de l’UE apparaît au grand jour. Des pays membres ou candidats à l’entrée dans l’Union européenne font le choix de la nation contre la Commission européenne.

LE CAS HONGROIS

Les vagues de sanctions contre la Russie décidées par Washington et exécutées par l’Union européenne ont mis en exergue à la fois la dimension autoritaire de la Commission européenne présidée par la non-élue Ursula von der Leyen, la copine du PDG de Pfizer, Albert Bourla, mais également les fortes dissensions entre les Etats européens.
Schématiquement, s’opposent en Europe les pays qui obéissent aveuglément aux Etats-Unis en sacrifiant leur propre population, et ceux qui placent leurs intérêts nationaux dans les priorités de leur politique.
La Hongrie offre un exemple net. Le 4 mai dernier, elle a clairement refusé de suivre la Commission européenne qui propose une sixième vague de sanctions contre la Russie, plus précisément l’embargo sur le pétrole russe. La Commission préconise « une interdiction de tout le pétrole russe, brut et raffiné, transporté par mer et par oléoduc », a expliqué Ursula von der Leyen.
La Hongrie a annoncé qu’elle opposerait son veto à l’embargo sur le gaz ou le pétrole russe, du moins « dans sa forme actuelle », jugeant  qu’une telle mesure « détruirait complètement la sécurité énergétique » du pays. Le projet de la Commission européenne « ne peut pas être soutenu dans sa forme actuelle. En toute responsabilité, nous ne pouvons pas voter pour », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, dans un message vidéo diffusé sur sa page Facebook.
Une dérogation est proposée pour permettre à la Hongrie et à la Slovaquie de poursuivre leurs achats à la Russie pendant un certain temps, car ces deux pays sont enclavés et totalement dépendants des livraisons par l’oléoduc Droujba faute de connexions avec le reste de l’UE, ont précisé à l’AFP deux responsables européens.
Mais ce délai d’un an ne suffit pas, a insisté Peter Szijjarto. « La livraison de pétrole russe, nécessaire pour faire fonctionner la Hongrie, serait interdite à partir de la fin de l’année prochaine ». Et le ministre hongrois d’ajouter : « ce n’est pas une question de manque de volonté politique ou de calendrier, mais simplement la réalité physique, géographique et d’infrastructures ».
La réalité matérielle est claire : selon le porte-parole du gouvernement hongrois, Zoltan Kovacs, 65 % du pétrole et 85 % du gaz utilisés par la Hongrie proviennent de Russie.
S’affrontent là, en Europe, les réalistes et les idéologues au service de Washington.
De plus, l’entrée en vigueur de ces sanctions nécessite l’unanimité des 27 pays membres de l’UE. Un veto de la Hongrie empêcherait l’embargo sur le gaz et le pétrole russe.
La Commission européenne, en structure supra-étatique autoritaire, a besoin de cet unanimisme pour exister. Le veto de telle ou telle nation mettrait à nu le roi, affaiblirait l’Union européenne, montrerait à certains pays la voie de l’indépendance et ferait à terme éclater l’UE.
Et cela aurait pour conséquence de faire basculer certains pays européens dans le giron russe.

LA SERBIE RÉCALCITRANTE

La Serbie, qui est candidate à l’entrée dans l’UE et qui doit en principe s’aligner sur la politique euro-atlantiste, est sur la même position que la Hongrie. Belgrade estime que l’Union européenne n’a pas le droit moral d’exiger de la Serbie qu’elle participe aux sanctions contre la Russie. « Les pays qui nous ont bombardés, je ne dirais pas qu’ils ont le droit moral de nous demander de nous rallier à leur propre politique  », a déclaré le ministre serbe de l’Intérieur, Aleksandar Vulin, dans un entretien accordé à EURACTIV Grèce.
Faisant référence à l’Ukraine, le ministre serbe a déclaré que son pays respecte l’intégrité territoriale de tous les pays, c’est pourquoi il exige que sa propre intégrité territoriale soit respectée. « Nous ne devons pas oublier que l’Europe n’a pas résolu le problème de Chypre et qu’elle croit pouvoir résoudre d’autres problèmes. Pour nous, le respect du droit international doit commencer par la Serbie. Et le principe du respect des frontières et de l’intégrité territoriale doit être respecté  », a-t-il déclaré.
Compte tenu de la situation géopolitique et économique, à quoi s’ajoute la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, la Serbie pourrait renoncer à terme à entrer dans l’Union européenne qui est un trou noir économique.
La Serbie a obtenu le statut de candidat à l’UE en mars 2012. Interrogé sur les aspirations de la Serbie à l’UE et sur le processus “accéléré” proposé pour l’Ukraine, il a déclaré que Belgrade ne s’attendait pas à ce que ce processus soit “fairplay” et que si la justice prévalait dans les relations internationales, « la Serbie serait beaucoup plus grande  ».
« La Serbie doit s’efforcer de renforcer la Serbie elle-même pour être forte et pouvoir répondre aux défis. Tout le reste a moins d’importance  ».
Évoquant ses relations avec la Grèce, le ministre a déclaré que la Serbie applique la politique de neutralité afin de pouvoir choisir ses amis et « non les ennemis qui surgissent sans être invités, sans notre accord  ».
« Si devenir membre de l’UE a quelque chose à voir avec ce que nous appelons “l’ennemi de mon ennemi est mon ami”, la Serbie ne veut vraiment pas jouer à ce jeu  », a ajouté le ministre serbe.

L’AMBIGUÏTÉ ALLEMANDE

Dans ce contexte, il faut observer attentivement l’attitude de l’Allemagne, première puissance économique et industrielle de l’Europe et pilier central de l’UE. La position allemande est ambiguë. Elle est partagée entre sa domination sur l’Europe qu’elle exerce avec l’autorisation et sous les conditions américaines, et ses intérêts nationaux qui divergent de plus en plus avec les objectifs géopolitiques de Washington.[…]

Jean TERRIEN.