Rivarol n°3532 du 14/9/2022
Version papier

Rivarol n°3532 du 14/9/2022 (Papier)

Editorial

La canonisation médiatique d’Elisabeth II

HABITUELLEMENT les media n’ont guère de sympathie pour la royauté. Mais lorsqu’il s’agit de monarchies constitutionnelles et que les monarques sont dépourvus de tout pouvoir et semblent avaliser la révolution arc-en-ciel en cours, ne s’opposent nullement à la décomposition et à la subversion de la nation, de la famille, de la morale, du corps social, alors ils deviennent des héros voire des saints canonisés médiatiquement. C’est le cas d’Elisabeth II depuis sa disparition à 96 ans le jeudi 8 septembre, fête de la Nativité de la Sainte Vierge. On ne peut nier bien sûr les qualités personnelles et réelles de la Reine défunte : c’était incontestablement une femme de devoir, élégante et réservée, qui a rempli consciencieusement sa charge, au moins sur le plan protocolaire, jusqu’à son dernier soupir malgré son grand âge et la maladie. La photo où elle reçoit le salut de son quinzième et dernier Premier ministre, Liz Truss, deux jours avant sa mort au château de Balmoral en Ecosse, donne à voir une main totalement noircie, signe sans doute d’une très mauvaise circulation sanguine. Il est probable que la souveraine a beaucoup souffert les derniers mois de son règne où ses apparitions étaient rares, où elle avait des problèmes de mobilité (on la voyait avec une canne) et probablement des soucis de santé plus graves (des problèmes cardiaques ? un cancer ?). Jusqu’au bout, elle est restée à son poste. D’autres, à sa place, auraient démissionné par confort, par facilité. Ce souci de sa charge est indubitablement à mettre à son crédit. On ne lui a pas non plus connu d’amant, elle ne s’est pas compromise dans des frasques sordides, elle est, semble-t-il, restée fidèle à son époux le prince d’Edimbourg, Philippe Mounbatten, auquel elle a été mariée plus de 73 ans et qui est mort à quelques semaines de son centième anniversaire le 9 avril 2021. Par ses qualités personnelles, elle a réussi à rehausser le prestige de la monarchie britannique largement écorné par la vie dissolue de ses enfants, leurs divorces et leurs séparations et, pire encore, par le comportement ignoble voire criminel du Prince Andrew gravement compromis dans l’affaire du pédomane et violeur Epstein et de son île aux esclaves sexuelles.
Le fait enfin qu’Elisabeth II ne se soit jamais publiquement exprimé  personnellement sur le plan politique, qu’elle n’ait jamais voté (la famille royale a l’interdiction de le faire) lui a permis d’assurer autour de sa personne l’unité et la continuité du peuple et de la nation britanniques. C’est une des grandes forces de la monarchie : même constitutionnelle, même en partie dévoyée, par sa stabilité, par sa durée, par son prestige, elle incarne beaucoup mieux que n’importe quelle République ou régime parlementaire la nation. La mort d’aucun chef de gouvernement n’aura occasionné un tel chagrin au peuple britannique parce que précisément la Reine le représentait avec dignité, élégance, discrétion, sans jamais s’abîmer dans les luttes de partis ou de factions. Et les Anglais de moins de 75 ou 80 ans n’ont dans les faits connu qu’elle comme souveraine puisque son règne aura duré 70 ans 7 mois et 2 jours, du 6 février 1952 au 8 septembre 2022, et il est rare qu’on ait des souvenirs précis lorsqu’on est un jeune enfant.

ELISABETH II a connu la fin de l’ancien monde (princesse héritière, elle a même rencontré le pape Pie XII en 1951) et l’avènement du nouveau. Las, elle n’a rien fait, rien tenté pour empêcher ou freiner la décadence et la décomposition politique, morale et spirituelle de son royaume, non plus que l’effondrement et la dislocation de l’empire britannique qui, il n’y a pas si longtemps encore, disposait de la première flotte au monde et possédait des territoires immenses sur les cinq continents. Certes, les institutions britanniques ne donnent pas le droit à la Reine de faire connaître publiquement son avis mais elle eût pu au moins manifester en privé son opposition à la politique d’immigration de masse, à la légalisation de l’avortement et du “mariage” homosexuel, au triomphe du lobby LGBT et du wokisme. Elle n’en a rien fait. Au contraire les seules fois où elle a fait connaître en privé son opinion, c’était toujours pour défendre des positions des plus conformistes et très politiquement correctes. Elle s’est ainsi opposée en privé à Margaret Thatcher qui tenait à garder des relations diplomatiques et économiques avec le régime blanc d’Afrique du Sud, elle a reçu plusieurs fois en grandes pompes Mandela et elle s’est opposée à la tentative de pouvoir blanc en Rhodésie. Et en 2002, quand Jean-Marie Le Pen a été qualifié en France au second tour de l’élection présidentielle, elle a fait part discrètement mais réellement de son inquiétude.
Chef de l’Eglise anglicane, une confession hérético-schismatique pour un catholique, elle n’a rien fait non plus pour en freiner les dérives sociétales et doctrinales. Que des femmes anglicanes deviennent évêques, que des homosexuels notoires soient ordonnés et sacrés, certes dans un rite invalide pour l’Eglise catholique, ne l’a, semble-t-il, pas choquée. En tant que chef de cette confession, elle pouvait donner son avis, exprimer son opposition à ces évolutions destructrices et immorales, elle s’est bien gardé de le faire.
C’EST D’AILLEURS un terrible enseignement à tirer : comment toutes ces personnalités qui ont connu dans leur enfance et leur jeunesse un monde qui tenait encore à peu près debout avec des structures solides (au moins apparemment) ont-elles tout lâché ? Comment se fait-il qu’elles aient accompagné sans mot dire ce long fleuve destructeur renversant tout sur son passage, la foi, la morale, les traditions, la famille, la politesse, la civilisation ? La famille britannique est magnifiquement vêtue, ses palais sont superbes, l’apparat est unique, les décors somptueux, mais à quoi cela sert-il si tout ce luxe, toute cette magnificence ne sont pas mis au service de la vérité et de la justice, du beau, du bien, du vrai ? La monarchie n’a de légitimité que si elle défend vraiment les intérêts de Dieu, de la nation, du peuple. Or force est de reconnaître que les monarchies européennes subsistantes sont au service de l’Etat profond, qu’elles tiennent les mêmes discours que les cénacles mondialistes et que les gouvernements occidentaux dégénérés.
Et de ce point de vue Charles III, fils aîné de la Reine défunte, pourrait être pire encore que sa mère. On connaît ses discours apocalyptiques sur le climat, ses positions écologauchistes, ses inclinations sionistes. Si Elisabeth II a reçu des « survivants de la Shoah » et a tenu sur le sujet des discours convenus, elle ne s’est toutefois jamais rendue dans l’entité sioniste. Il pourrait en aller différemment avec Charles III. La subversion est aujourd’hui tellement universelle, le mal est tellement profond que même les monarchies ne protègent plus contre le processus actuel de lobotomisation des esprits, d’inversion des valeurs, d’abdication des principes et d’asservissement des âmes mais y participent activement. Et le prestige qui y est encore attaché a ceci de pernicieux qu’il rend encore plus efficace auprès des masses le triomphe de l’actuelle idéologie mortifère et contre-nature. Si la Reine qui présente si bien et qui est gardienne des traditions ne s’oppose pas à tous les désordres ambiants, comment un quidam pourrait s’y opposer ? C’est un des drames actuels. Ceux qui devraient dire le beau, le bien, le vrai ne le font pas, bien au contraire.
Par conséquent, plus que jamais, dans ces temps enténébrés, si l’on veut tenir debout et y voir clair, il vaut mieux se confier à la vérité qui illumine plutôt qu’aux mensonges qui leurrent, aux principes qui gardent plutôt qu’aux princes qui dissipent, à Dieu qui sauve plutôt qu’aux hommes qui corrompent.

RIVAROL, <jeromebourbon@yahoo.fr>. 

6,00 €
TTC
Quantité
6,00 €

Billet hebdomadaire

La guerre économique des États-Unis contre l’Europe

La politique de sanctions économiques contre la Russie, dictées par Washington, est en train de détruire l’Europe. Nous savions déjà que l’activisme de l’OTAN en Europe de l’Est avait pour objectif d’utiliser les pays du Vieux continent comme tête de pont anti-russe, afin qu’ils mènent la guerre contre la Russie à la place des États-Unis. Aujourd’hui, apparaît un objectif stratégique de l’agenda états-unien : la destruction pure et simple de l’économie européenne.
Cette guerre économique menée par les États-Unis contre l’Europe ne date pas de la crise ukrainienne ni du Covid. Elle s’inscrit dans un mouvement historique bien plus vaste qui est celui de la transformation d’un capitalisme financier, débridé, qui a détruit l’économie américaine comme une sangsue et qui s’attaque maintenant au tissu économique européen.
Ce néo-capitalisme apatride, dont l’un des sièges est aux États-Unis, utilise l’armée américaine et ses réseaux d’influence pour s’accaparer des richesses de l’Europe. Et la guerre en Ukraine, provoquée par les Américains, a été un formidable moyen d’accélérer et d’étendre ce processus de spoliation.

LE DÉCLIN ÉCONOMIQUE DES ÉTATS-UNIS

Le déclin économique des États-Unis a démarré dans les années 1970. On percevait depuis 1973 une diminution continue du taux de salaire horaire dans l’industrie (très supérieur à celui des services) américaine. Pour ce qui est de la productivité globale, celle des États-Unis était, en 1994, inférieure de 25 % à celle du Japon et de 20 % à celle de l’Allemagne.
L’économie états-unienne est, au début des années 1990, déjà majoritairement basée sur les services. En 1993, les services représentaient 72,1 % du PIB contre 64,7 % en Allemagne, 57,5 % au Japon, et 65,6 % en Italie. La France qui avait bien entamé sa désindustrialisation avait 70,5 % de son PIB produit par les services. La Grande-Bretagne, mère des États-Unis à qui elle a offert le modèle anthropo-économique, était à 71,3 % de la part tertiaire de son PIB.
« Vers 1994, au moment même où les sociétés souches entre en crise, la productivité des actifs américains représente 75 % de celle des Japonais et 80 % de celle des Allemands (si l’on exclut du calcul le territoire sinistré de la RDA). Plus frappante encore est la contre-performance de l’ensemble du monde anglo-saxon, si l’on définit un échantillon constitué par les États-Unis, le Royaume-Uni et ses anciens dominions. Aux 71 000 dollars par actif occupé au Japon, aux 67 000 dollars de l’Allemagne répondent modestement les 54 000 dollars des États-Unis, les 40 000 dollars du Royaume-Uni, du Canada ou de l’Australie et les 32 000 dollars de la Nouvelle-Zélande. La diversité des histoires et des spécialisations économiques nationales révèle la généralité anthropologique du problème anglo-saxon. »
Les causes de cet effondrement économique sont à chercher du côté idéologique et de la financiarisation du capitalisme.
Ainsi que l’a démontré l’économiste James Kenneth Galbraith, le contrôle de l’économie américaine est passé des mains des industriels à celles des banquiers, conduisant à une destruction du tissu industriel et à une financiarisation de l’économie américaine et occidentale.
C’est dans les années 1980 qu’il y a eu ce basculement aux États-Unis comme en Grande-Bretagne.
« Au cours des années 1970 deux mouvements conservateurs distincts s’étaient développés : l’économie de l’offre et le monétarisme — des extrémistes des réductions d’impôts et de la déréglementation d’un côté, des apôtres du strict contrôle de la masse monétaire de l’autre. Leur apogée a été la révolution Reagan de 1980, qui les a propulsés, les uns et les autres, aux plus hautes fonctions…
Les reaganiens proposaient une combinaison bien connue de politiques issues, pour l’essentiel, de graines plantées à l’université pendant de longues années de règne ‘‘libéral’’ (NDA : le mot à, aux États-Unis, le sens ‘‘de gauche’’, une politique sociale avancée et de l’État providence). L’élément central était une réduction des impôts des riches, censée libérer les énergies productives du capital en stimulant l’épargne et l’investissement. Une politique monétaire restrictive devait éliminer l’inflation rapidement, brutalement si nécessaire. Tout cela s’accompagnerait d’un assaut généralisé contre l’État, les réglementations, les syndicats, afin de laisser les forces du marché — et les capitalistes privés — gouverner. »
Ceux qui ont piloté cette politique reaganienne ont tous des noms à consonance non anglaise. Murray Weidenbaum et Martin Feldstein ont été les premiers présidents du Comité des conseillers économiques de l’administration Reagan. Lawrence Summers et Paul Krugman, jeunes à l’époque, ont passé chacun un an sous la direction de Feldstein.
On retrouve les mêmes à la manœuvre de la destruction économique des États-Unis dans les années et décennies suivantes. Le Glass-Steagall Act de 1933 qui avait séparé les activités bancaires entre le crédit et la spéculation fut aboli par Robert Rubin qui a poussé à l’adoption de la Gramm-Leach-Bliley Financial Service Modernization Act de 1999 faisant sauter la digue séparant les banques de dépôt et les banques d’investissement. Ce Rubin, d’origine juive, vient de la banque judéo-américaine Goldman Sachs et il a été, de 2007 à 2017, co-président émérite du CFR (Council on Foreign Relations). Et Larry Summers, issue de la même communauté, lui succéda au poste de secrétaire au Trésor sous Clinton avant de devenir président du Conseil économique national sous Obama.
L’Angleterre à suivi le mouvement de financiarisation de l’économie, de même que la France sous les gouvernements de gauche (Bérégovoy, ministre des Finances, 1988-1992) et de “droite” en 1993 (Balladur Premier ministre). Le tout consolidé par les directives européennes.
Au milieu des années Reagan, de nombreuses grandes entreprises qui jouaient un rôle central dans l’économie industrielle ont été mises en difficulté par cette politique. « Beaucoup avaient été acculées à la faillite par les taux d’intérêt élevés, la récession qu’ils avaient provoquée en 1981 et 1982, et l’énorme avantage de compétitivité que le dollar fort apportait aux industries concurrentes, celles du Japon et de l’Europe. Telles étaient les conséquences immédiates, et d’autres allaient suivre. On allait assister notamment à une réorganisation des secteurs de pointe dans les années 1980, en particulier à une migration des cerveaux : les experts en technologie ont quitté les grandes firmes intégrées pour créer leur propre entreprise dans la Silicon Valley ou à Seattle. Enfin, dans les années 1990 et plus tard, les derniers vestiges de certaines firmes industrielles et techniques américaines autrefois très puissantes allaient sombrer, victimes de nouvelles vagues d’escroqueries financières. Manifestement, la grande entreprise n’était ni permanente ni invincible ; la politique macroéconomique, en particulier, pouvait déchaîner des forces qui la détruisaient. »
Le résultat de cela a été, non pas la stimulation de l’économie, mais sa vampirisation par les banquiers spéculateurs et les multinationales profitant du libre-échange pour délocaliser leurs usines vers l’Asie et mettre au chômage les ouvriers américains.
L’Amérique est alors sortie de l’ère du capitalisme industriel et productiviste pour entrer dans celle du capitalisme financier, d’une économie fictive dominée par les services.
La conséquence inéluctable ressort des chiffres de la balance commerciale américaine qui a gravement penché en défaveur des États-Unis à partir de 1984 : -102 milliards en 1984 ; -162 milliards en 1998 ; -770 milliards en 2006 ; -521 milliards en 2016 ; -651 milliards en 2020.
Les mêmes causes ont produit les mêmes effet en Grande-Bretagne. Sa balance commerciale a fait une chute libre à partir de 1986 : -3 milliards de dollars en 1986 ; -29 milliards en 1988 ; -49 milliards en 2002 ; -82 milliards en 2008 ; -54 milliards en 2016 ; il y a eu une remontée importante en 2020 avec une balance positive à 8 milliards de dollars, puis une rechute vertigineuse à -40 milliards en 2021.
Quant à la France, sa balance commerciale était généralement positive (entre 9 et 43 milliards de dollars d’excédent commercial entre 1992 et 2004). Mais après que l’euro fut instauré, la courbe de la balance commerciale française a amorcé une descente à partir de 2003 : 26 milliards en 2003 ; 21 milliards en 2004 ; 1,8 milliard en 2005 ; -5,4 milliards en 2006 ; -18,9 milliards en 2007 ; -55 milliards en 2011 ; -28 milliards en 2017, et -60 milliards de dollars en 2021.

LA PRÉDATION COMME MODÈLE ÉCONOMIQUE

Pour résorber cette difficulté, les États-Unis, entrés dans un mode économique « bête de proie », ont cherché à mettre la main sur les richesses produites par les Européens.
« Si nous admettons que l’économie américaine est, dans sa réalité physique, faiblement productive, ainsi qu’en témoigne l’importation massive et croissante de biens de consommation, nous devons considérer que la capitalisation boursière est une masse fictive et que l’argent dirigé vers les États-Unis entre, littéralement, dans un mirage. »[…]

Jean TERRIEN.