Rivarol n°3561 du 12/4/2023
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Rivarol n°3561 du 12/4/2023 (Papier)

Editorial

Le ministre Isabelle Rome compare Playboy à RIVAROL !

C’EST L’HOMMAGE DU VICE à la vertu : dans un entretien au quotidien libéral Le Figaro, en date du 6 avril 2023, Isabelle Rome, ministre chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes (sic !), pour contester le choix de sa collègue Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargé de l’économie sociale et solidaire et de la vie associative, de s’afficher dans le magazine pornocrate Playboy, s’exclame : « Pourquoi avoir choisi Playboy pour faire avancer le droit des femmes alors que ce magazine est un condensé de tous les stéréotypes sexistes ? Nous sommes en plein dans la culture de la femme-objet. Défendre les droits des femmes dans Playboy reviendrait à lutter contre l’antisémitisme en accordant un entretien à RIVAROL. » Nous remercions Madame le ministre pour cette publicité gratuite, et certainement involontaire, pour l’hebdomadaire de l’opposition nationale et européenne. Cette comparaison hardie entre Playboy et RIVAROL a en tout cas fait jaser dans le Landernau politico-médiatique. Ainsi l’avocat ultra-sioniste et très antipathique, Gilles-William Goldnadel, a jugé, la bave aux lèvres, sur Cnews, dans l’Heure des Pros 2 de Pascal Praud, que cette comparaison d’Isabelle Rome était “stupide”, tandis que, sur le même plateau, l’actuel directeur de Playboy, devenu un trimestriel de luxe à quinze euros le numéro, pas moins, a estimé, quant à lui, que cette assimilation de son magazine à une publication aussi controversée que RIVAROL était “diffamatoire”. La direction de Playboy va-t-elle intenter un procès en diffamation au ministre ? Cela ne manquerait pas de sel.
Quant au fond de l’affaire, cette interview sur douze pages de Marlène Schiappa au magazine pornocrate, qui a paru le Jeudi saint (encore une fois, rien n’est laissé au hasard, ni les propos de Macron annonçant un projet de loi visant à dépénaliser l’euthanasie et le suicide assisté le lundi saint, ni cette interview de Schiappa à Playboy trois jours plus tard, la volonté de profaner, de souiller et de blasphémer ne fait aucun doute) avec des photos d’elle très déplacées et impudiques, surtout quand on songe qu’il s’agit d’un membre du gouvernement en exercice, et des propos qui ne le sont pas moins (Schiappa parle ainsi ouvertement dans son interview-fleuve de la possibilité, qu’elle ne trouve nullement choquante, de « plans (sexuels) à trois », mais qu’attendre d’une femme qui a écrit naguère un roman pornographique ?) montre à quel point les pouvoirs publics ont perdu tout sens de la retenue, de la pudeur, de la bienséance, des convenances, du respect et de la dignité dus en principe à la fonction ministérielle.

DE CE POINT DE VUE-là, l’accession de Macron à la magistrature suprême en mai 2017 a été un brusque accélérateur. Que l’on se souvienne de la Fête de la musique en juin 2018 où l’Elysée avait été transformé en vaste lupanar pédérastique avec des danseurs de couleur affichant ouvertement sur leur maillot la mention « Fier d’être immigré et pédé » ou encore du voyage de Macron aux Antilles où il s’était fait ostensiblement prendre en photo fortement enlacé par un prisonnier noir au torse nu. Dans le même ordre d’idées, la présidence de la République publie chaque année un communiqué officiel pour apporter son soutien enthousiaste et chaleureux à la Gay Pride organisée le dernier samedi de juin dans la capitale, aux alentours de la Fête de la Nativité de Saint Jean-Baptiste, martyrisé pour sa défense héroïque face à Hérode et Hérodiade de l’unité et de l’indissolubilité du mariage (ce ne sont pas les feux de la Saint-Jean mais les feux de l’Enfer qui se donnent alors libre cours à Paris !) Et l’on se souvient que le Palais-Bourbon lui-même a été entièrement recouvert, en marge d’une Gay-Pride, du drapeau arc-en-ciel, symbole de la “communauté” LGBTQI+. Enfin, un organisme gouvernemental officiel défend ouvertement et sans réserve toutes les revendications homosexualistes et transsexualistes et poursuit pénalement les personnes physiques et morales s’opposant à la tyrannie LGBTiste. Nous en avons nous-mêmes été victimes à plusieurs reprises. Cet organisme est bien connu de nos lecteurs, il s’agit de la DILCRAH, la Délégation interministérielle de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Ce qu’ils appellent « la haine anti-LGBT » n’est en réalité rien d’autre que l’adhésion à la morale naturelle, que la défense de la pudeur et des bonnes mœurs, que l’attachement à la famille traditionnelle composée d’un père, d’une mère et d’enfants conçus par voie naturelle et élevés chrétiennement dans la fidélité aux mœurs et aux traditions de notre pays et de notre civilisation.
Il est donc clair que nous sommes gouvernés, dominés et asservis par des forces, des puissances et des personnes totalement étrangères à l’âme de la France, hostiles à son être historique, à sa civilisation bimillénaire, à ses traditions et coutumes séculaires. La diabolisation du maréchal Pétain fait partie au premier chef de cette haine rabique (voire rabbinique) contre notre pays et ses racines chrétiennes. Ce que l’on reproche au vainqueur de Verdun, au-delà bien sûr du statut des Juifs, c’est la devise de l’Etat français : Travail Famille Patrie, alors que s’organisent et s’intensifient précisément depuis plusieurs décennies maintenant la dislocation de la nation (avec l’immigration de masse, l’inféodation à l’Union européenne et les multiples repentances au plus haut niveau quant au passé de la France), la disparition progressive du travail et la décomposition de l’institution et de la cellule familiales.

NOUS SOMMES aujourd’hui dans une situation où il n’y a plus aucune espèce de retenue devant l’avancée du vice, du mal, de la laideur, de ce qui est affreux, bestial, contre-nature, abject, immonde, d’autant que toutes les forces qui pouvaient résister à cette évolution mortifère ont été neutralisées, paralysées, gangrenées, subverties, annihilées. On a désormais renoncé à toute forme de morale, de pudeur et de bienséance et les ministres macroniens n’hésitent plus aujourd’hui à afficher publiquement leur homosexualité. Les deux benjamins du gouvernement d’Elisabeth Borne, tous deux âgés de 33 ans (ils sont nés le même jour), ont ainsi fait leur « coming out », selon l’expression anglo-saxonne désormais consacrée et consistant à révéler publiquement ses mœurs contre-nature. Il s’agit d’une part du communautaire Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, qui a révélé qu’il était pacsé avec l’eurodéputé macronien Stéphane Séjourné et qu’il était désireux d’avoir des enfants par GPA (gestation pour autrui), mais, s’empresse-t-il d’ajouter sans rire, « une GPA éthique », ce qui est un oxymoron, et d’autre part de l’actuel ministre de la Jeunesse, la Franco-Marocaine Sarah El Haïry, qui, dans un entretien daté du 8 avril 2023 au magazine Forbes, évoque sans vergogne sa “compagne”. Par ailleurs, avant eux, Clément Beaune, l’actuel ministre délégué chargé des Transports, avait lui aussi affiché son homosexualité. Le 9 décembre 2020, dans le magazine pornographique LGBT Têtu, il avait ainsi déclaré : « Je suis gay et je l’assume ». Franck Riester, l’actuel ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, avait rendu publique neuf ans plus tôt (en décembre 2011) sa pratique de ce que l’on appelait naguère le vice italien. Et il a voté en 2013, bien qu’étant à l’époque député de l’UMP, opposée alors (mais pour bien peu de temps) au “mariage” homosexuel, en faveur du projet de loi Taubira instaurant le « mariage pour tous ».
Comment espérer que des politiciens défendent la famille et la morale traditionnelles quand ils revendiquent ouvertement et sans vergogne des mœurs contre-nature ? Certes, il y a toujours eu des invertis depuis que le monde est monde, mais autrefois ces derniers restaient discrets et ne s’affichaient pas, ne se mettaient pas en avant. Le vice demeurait caché. C’est tout le contraire aujourd’hui où de grandes parades sont régulièrement organisées dans la quasi-totalité des métropoles de l’Occident jadis chrétien pour célébrer la fierté d’être homosexuel (Gay Pride). Ou d’être transexuel car c’est actuellement la grande mode. On va toujours plus loin en effet dans la transgression et dans l’horreur. Et ce sont désormais nos enfants et nos petits-enfants qui sont les premières cibles et les principales victimes de ce matraquage dans les media et plus encore dans l’Education nationale où des groupes affirmant lutter « contre l’homophobie et la transphobie » encouragent nos jeunes têtes blondes et crépues, avec la bénédiction du ministère de l’Education nationale qui organise et promeut de telles ignominies, au changement de genre, à la “transidentité” avec toutes les conséquences physiologiques et psychologiques irréversibles et effrayantes que cela induit. Au nom de la liberté et des droits de l’individu qui peut sans cesse changer, se transformer, se réinventer, changer de prénom, de nom, d’apparence physique, de genre, de sexe ou d’orientation sexuelle, comme ils disent.

ON NE LE DIRA jamais assez mais la perte quasiment totale de la foi, l’affaissement des convictions religieuses (mais aussi, et c’est lié, la dénaturation, l’adultération du christianisme par le modernisme depuis Vatican II) ont des conséquences incommensurables à moyen et à long terme pour les individus, les familles, les cités et les sociétés. Chesterton le prophétisait déjà au XIXe siècle : « Chassez le surnaturel, et il ne restera plus que ce qui n’est pas naturel ». C’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui. En grandeur nature, un peu partout en Occident. Nous sommes gouvernés par des démons qui nous conduisent à l’abîme.
Face à cela, il n’est d’autre solution qu’une résistance intellectuelle, spirituelle et morale totale, absolue et permanente. Nourrie par de saines et saintes lectures, une existence simple et droite et une solide vie intérieure dont le monde moderne ne veut pas et qui est pourtant plus que jamais d’une impérieuse nécessité. […]


RIVAROL, <jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

Une guerre pour Taïwan : les Etats-Unis y sont-ils prêts ?

886 milliards de dollars ! Chiffre colossal, ahurissant. C’est le budget de la défense des Etats-Unis pour l’année fiscale 2024 que le président Joe Biden doit soumettre à l’approbation du Congrès. Pour le ministre concerné, Lloyd Austin, il représente une augmentation de 26 milliards de dollars, soit 3,2 % par rapport à celui de l’an dernier et « constitue, dans toute l’histoire du pays, la meilleure riposte à une menace potentielle ». Propos enthousiastes et même enflammés que l’on peut traduire par un slogan que les officiels se plaisent à répéter dans les couloirs du Pentagone : « Du “sur mesure” pour dissuader Xi Jinping d’attaquer Taïwan ». Cette autosatisfaction fiévreuse mêlée à une aveugle confiance en l’avenir irrite et navre l’opposition républicaine et notamment le sénateur Roger Wicker, membre influent de la commission des Services Armés. « Budget inadéquat, décevant et, de plus, dangereux », lance-t-il avant d’ajouter : « Les 886 milliards de dollars ne doivent pas impressionner les Américains. Ils signifient que le président Biden est incapable de placer la défense nationale en tête des priorités alors que partout dans le monde les menaces se multiplient et que la Chine s’équipe d’un arsenal chaque année plus fantastique. » Diatribe issue de ressentiment et de frustration ? Offensive d’une droite méprisant le pacifisme gauchiste ? Même pas. Aucun artifice dans le trait de Wicker ; simplement un calcul. La tenace inflation de 6,5 % (plus près de 50 % pour certains produits alimentaires) écorche gravement le mirobolant tableau à vocation protectrice présenté par les démocrates. L’augmentation du budget du Pentagone n’est pas de 3,2 % par rapport à 2023, comme ils le clament, mais de 0,8 % — le quart. C’est donc un tout autre scénario sur lequel les experts indépendants du pouvoir invitent les Américains à se pencher. Un scénario qui dit deux choses importantes : d’une part, la machine de guerre des Etats-Unis serait actuellement incapable de se mesurer à l’appareil militaire chinois avec une victoire assurée à 100 %. D’autre part, les projections dans le temps montrent qu’au fil des budgets annuels, si Washington n’inverse pas radicalement et très bientôt sa politique, le retard accumulé par l’Amérique deviendra finalement irrattrapable. Par comparaison, la Chine a doté pour 2024 ses fantassins, aviateurs et marins, d’un budget de 1,55 trillion de yuan, soit 224 milliards de dollars — une hausse de 7,2 % par rapport à l’an dernier. A première vue, on pourrait se demander les raisons de cet affolement chez certains Américains, car le budget de Pékin n’est, en définitive, que le quart du budget de Washington. Fausse perspective : les deux pays ne comptabilisent pas exactement les mêmes domaines dans les mêmes colonnes. Sous l’étiquette “Défense”, l’Amérique regroupe absolument tout ce qui concerne la défense, directement ou indirectement. La Chine, à l’inverse, sélectionne avec rigueur et refuse l’étiquette “Défense” à tout ce qui peut intéresser également d’autres secteurs comme l’intelligence artificielle, les engins hypersoniques et l’exploration de l’espace. Sans ce jeu d’écriture, l’abîme qui sépare les deux budgets serait, sans doute, en partie comblé. Au-delà de ces chiffres globaux, un fait illustre le dérapage officiel : pour inciter la Chine à réfléchir deux fois avant de se lancer dans un conflit armé, le Pentagone a cru bien faire en prévoyant 10 milliards de dollars d’infrastructures dissuasives dans l’océan Pacifique. Les experts affirment qu’il en aurait fallu cinq fois plus pour être efficace.

TROIS ATOUTS CHINOIS

Ce qui déconcerte, lorsqu’on examine l’arsenal défensif et offensif chinois, c’est non seulement son envergure mais aussi la rapidité avec laquelle il fut édifié. En moins de dix ans, sous l’impulsion de Xi qui s’installa au pouvoir en 2013, cet arsenal a réussi à dépasser tous ses rivaux et à concurrencer directement celui des Etats-Unis par le nombre de ses engins et sa puissance de feu. Trois fleurons surtout inquiètent le Pentagone. D’abord, les missiles DF-21D et DF 26. Dans les cénacles militaires on les appelle les « tueurs de porte-avions ». Des tests récents l’ont prouvé : ils peuvent être redoutables dans un rayon de 2 000 kilomètres et, par exemple, interdire l’accès à tout bâtiment américain à l’intérieur d’un vaste périmètre autour de Taïwan pendant son invasion. Certes, les porte-avions de l’US Navy sont toujours accompagnés de frégates « tueuses de missiles ». En principe, elles devraient faire barrage aux DF-21D et DF 26. Mais un sérieux doute persiste. Le genre de doute qui désigne parfois le vainqueur d’une bataille ou même d’une guerre. Ensuite, les innombrables Yuchao type 071 et Yushen type 075. Ils sont peut-être des centaines cachés sous des hangars, enfouis dans des grottes le long des côtes chinoises face à l’objectif. Trapus, rapides, ceinturés de forts blindages, ils combinent à la fois la sophistication du porte-hélicoptère et la rusticité d’une péniche de débarquement. Ils représentent la pièce maîtresse du dispositif, l’outil-clé de cette ambition guerrière. Les Yuchao et les Yushen seraient chargés de transporter plus d’un million de soldats communistes afin d’envahir et de submerger Taïwan, d’y détruire, maison par maison, toute forme de résistance et de s’y incruster le plus longtemps possible, car dans ce genre de conflit le camp vainqueur est celui dont les fantassins contrôlent le terrain conquis par l’aviation et l’artillerie. Enfin, dernier fleuron à la disposition de Xi : le Chengdu J-20. C’est un chasseur de bonne race qui sait se montrer invisible quand il le doit et adroit quand il le faut. Les Chinois comptent sur lui pour se moquer des radars ennemis, détruire les plus rageuses des batteries de missiles et tenter d’obtenir la maîtrise du ciel. Sans cette maîtrise, ne serait-ce que de quelques jours, l’objectif obsessionnel de Xi ne serait qu’un rêve. Mais, au-delà de cet arsenal qui est, en quelque sorte, la partie immergée d’un iceberg terriblement destructeur, la Chine investit dans les engins hypersoniques, poursuit la fabrication d’un vaste système de communications destiné à gérer les mouvements de sa flotte, installe des « barrages stratégiques » devant interdire aux sous-marins américains l’accès aux zones de combat et termine dans le plus grand mystère la construction de silos nucléaires (la CIA en aurait déjà dénombrés 350) dans les régions centrales et occidentales du pays.
La Chine possède trois atouts : l’un est naturel, géographique, tandis que les deux autres ont été cousus pièce par pièce avec patience et méthode. La logique de cet embrasement en gestation veut que la Chine combatte chez elle, dans son cadre familier, dans un environnement qu’elle a modelé et apprivoisé depuis plusieurs générations. C’est un énorme avantage. Ses lignes d’approvisionnement sont les plus courtes que l’on puisse imaginer ; le maillage de sa logistique est le plus proche que l’on puisse trouver. Le champ de bataille serait à sa porte alors que l’ennemi aurait à parcourir des milliers de kilomètres avant de tirer le premier coup de feu. Ce genre de handicap fut souligné par tous les généraux depuis l’Antiquité. Et l’histoire retient que ceux qui l’ont négligé en ont été les victimes. Les deux autres atouts de la Chine échappent à la nature et doivent tout au cérébralisme céleste. Le premier part d’un problème simple : comment défendre une grande zone océanique ? En utilisant à sa périphérie des postes de garde, autrement dit des îles, que l’on prend soin de bétonner. Et si ces îles appartiennent à d’autres pays ? On les leur vole. Et si ces îles n’existent que sur le papier ? On en construit. C’est ce que fait la Chine. Dans la partie méridionale de la mer qui porte son nom et que Pékin considère comme son domaine réservé, l’Armée populaire s’est carrément installée sur des îles que le Vietnam et les Philippines contrôlaient depuis toujours et s’est audacieusement accrochée à des rochers sous-marins pour bâtir sept îles représentant près de 1 500 kilomètres carrés. Sur ce double point d’appui, la Chine a installé des bases aériennes et maritimes, des missiles sol-air et sol-mer, des radars et tout un système d’écoutes. D’une pierre trois coups : elle verrouille sa chasse gardée ; elle muscle sa logistique ; elle amplifie ses moyens de surveillance. Ces îles, réelles ou artificielles, sont un véritable trésor pour Xi. Il en détient un autre qu’il a également tenu à peaufiner : la marine. En tonnage et en nombre de bâtiments, la marine chinoise dépasse actuellement celle des Etats-Unis : 348 contre 296. Il est prévu que le nombre de navires chinois grimpe jusqu’à 420 en 2025 et 460 en 2030. Sans un spectaculaire sursaut, le Pentagone serait incapable d’atteindre ces chiffres. Cependant, trois types d’ombres s’étendent sur ce tableau flatteur et devraient contribuer à tempérer les espérances annexionnistes.
1. Les Chinois n’ont aucune expérience de la guerre conduite par la plus acérée des technologies et en particulier ils savent peu de choses dans un secteur ultra-sensible : l’indispensable, la souveraine coordination des forces maritimes, aériennes et terrestres.
2. Beaucoup d’éléments de l’équipement militaire chinois proviennent du piratage de l’électronique occidental — essentiellement américain. Or, en copiant, on apprend moins que lorsqu’on découvre soi-même. On peut s’attendre à des surprises dans la délicate intégration des ordinateurs et des téléphones portables.
3. La matière industrielle chinoise laisse à désirer. Manque de tenue, de solidité, de durabilité. La courte vie des gadgets dont elle inonde l’Occident est devenue proverbiale. Elle possède sans doute son reflet : il n’y a aucune raison pour que cette tare n’ait pas également infiltré l’univers militaire.

UNE GUERRE DANS QUATRE ANS ?

Ainsi, une nouvelle guerre froide a commencé. Il est clair que son principal ressort réside dans le fondamental désaccord entre les Etats-Unis et la Chine concernant les principes structurels d’une sécurité asiatique. Quant à son point d’incandescence, il ne se situe plus, comme au temps de l’URSS, quelque part le long de la frontière entre les deux Allemagne, mais quelque part à l’intérieur du détroit de Luzon qui relie la mer des Philippines à la mer de Chine. Durant près d’un demi-siècle, les Européens ont vécu avec l’angoisse de voir un jour surgir sur les grandes plaines de Prusse orientale les 30 000 blindés que Moscou gardait en réserve pour le Grand Jour. Combien de temps l’Occident et ses alliés locaux vont-ils désormais devoir attendre dans l’inquiétude avant d’apercevoir dans les brumes matinales les mâts du navire amiral conduisant dans son sillage l’armada des « Fils du ciel » à la conquête de ce fameux détroit, clé de toutes ces passions ? La plupart des projections répondent : quatre ans. Car à Washington circule une date : 2027. Il fallait bien en fixer une pour donner plus de vraisemblance à l’oppression qui s’installe, au suspense qui s’incruste. Une date comme un horizon : ce que l’on n’avait pas pu faire entre 1945 et 1989. A cette époque, l’antagonisme ayant embrasé l’originale guerre froide se nourrissait de l’insistance du Kremlin à exiger de la Maison-Blanche qu’elle retirât toutes ses forces stationnées en Europe. Un ultimatum mais sans échéance précise, sans compte à rebours. Xi a repris cette impossible exigence aux allures de principe. Il estime “intolérable” la présence de bases américaines dans la région Indo-Pacifique et “inadmissible” l’accès de l’US Navy aux eaux internationales qui la baignent. Moscou voulait détruire l’OTAN et dissoudre la mainmise de Washington sur l’Europe ; Pékin veut capturer Taïwan, disloquer les alliés locaux de l’Amérique pour les transformer en esclaves commerciaux. Les deux objectifs sont parallèles, avec en plus pour la Chine, une forte odeur de mercantilisme. Car les élans patriotiques et les velléités de grande puissance qui bruissent dans la Cité interdite ne doivent pas faire illusion. Le culte des échanges de richesses a aussi son rôle. Et un règne par la force peut très bien s’accompagner d’une autorité par l’argent. Elles vont ensemble. Or, 85 % du commerce mondial se fait par bateau. La Chine, « atelier de l’univers », a émergé comme le pays champion des porte-conteneurs dont presque toute son économie dépend. Quand on sait également que 70 % du pétrole et du gaz sont transportés par mer et que, dans une large proportion, ils remplissent les réservoirs de ports asiatiques, on comprend les calculs de Xi. Ce sont les mêmes que ceux des dirigeants anglais du XVIIIe siècle : l’industrie enfante la richesse, qui exige du commerce, c’est-à-dire des bateaux, autrement dit liberté de navigation et ouverture des détroits. Londres voulait cette liberté et cette ouverture pour son seul profit. Dans ce but, elle a mené une guerre contre l’Europe entière, mais seule la France de Louis XVI lui a tenu tête — avec bonheur. Pékin se trouve maintenant dans la même situation, mais contre les Etats-Unis. Il est des moments dans l’histoire mondiale de la marine où les navires marchands et les navires de guerre ne font qu’un. […]

De notre correspondant permanent aux Etats-Unis,
Paul SIGAUD.