Rivarol n°3571 du 21/6/2023
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Rivarol n°3571 du 21/6/2023 (Papier)

Editorial

Euthanasie : voici l’horreur qui nous attend !

EMMANUEL MACRON ne perd pas de temps : après avoir annoncé avant la fin de l’année la constitutionnalisation du « droit à l’avortement », qui sera en principe adoptée sans surprise à une très large majorité par les députés et les sénateurs réunis en Congrès à Versailles, car cette novation criminelle nécessite une modification de la loi fondamentale, il a déclaré qu’une « loi sur la fin de vie » serait présentée en Conseil des ministres « avant la fin de l’été ». On parle du mois de septembre. Ce que le chef de l’Etat appelle pudiquement une « loi sur la fin de la vie » n’est rien d’autre en réalité qu’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Ce projet mortifère, voulu depuis longtemps par les loges maçonniques (déjà en pointe dans la dépénalisation de l’avortement, l’abolition de la peine de mort et l’adoption du Pacte civil de solidarité (Pacs) et du “mariage” homosexuel), n’est pas né du hasard et correspond à une revendication déjà ancienne. Dans son livre L’Avenir de la vie, publié aux éditions Seghers en 1981, il y a déjà quarante-deux ans, Jacques Attali, qui souffle cette année ces quatre-vingts bougies (car l’euthanasie ne saurait s’appliquer à lui !) et qui murmure à l’oreille des présidents français depuis 1981, écrivait ainsi : « Dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte cher à la société. Je crois que dans la logique même de la société industrielle, l’objectif ne va plus être d’allonger l’espérance de vie, mais de faire en sorte qu’à l’intérieur même d’une vie déterminée, l’homme vive le mieux possible mais de telle sorte que les dépenses de santé soient les plus réduites possible en termes de coût pour la collectivité. Il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle se détériore progressivement. L’euthanasie sera un instrument essentiel de nos sociétés futures. »
Et c’est bien ce qui se passe désormais. Pour des raisons à la fois économiques (réduire le nombre des retraités pour résoudre le problème des retraites et diminuer fortement les dépenses liées à la maladie et au grand âge) et idéologiques (s’en prendre au Créateur qui seul donne la vie et la retire et usurper sa place en décidant soi-même de donner la mort à autrui — par l’avortement — ou de se donner la mort — par l’euthanasie et le suicide assisté), l’euthanasie où un tiers enclenche la mort d’autrui dans un cadre législatif normé est progressivement légalisée dans les pays européens et occidentaux. Les pays du Benelux (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) ont dépénalisé l’euthanasie depuis déjà une vingtaine d’années. L’Espagne, autrefois si catholique, a adopté une loi allant dans le même sens en 2020. Le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Espagne autorisent par ailleurs le recours au suicide assisté. D’autres pays d’Europe, qui interdisent encore officiellement l’euthanasie, ont toutefois légalisé l’assistance au suicide (ou suicide assisté). Ils sont aujourd’hui au nombre de trois : le Portugal (que doit en penser Salazar là où il est ?), la Suisse et l’Autriche. Dans ces pays, la personne demandeuse exécute elle-même les gestes qui donneront la mort, mais, tenez-vous bien, avec un « protocole pour le maintien de la dignité tout au long du parcours de la fin de vie ». Lorsqu’aujourd’hui on parle de dignité et de protocole, le pire est à craindre !
Cette société est non seulement mortifère et contre-nature mais de plus elle est d’une hypocrisie écœurante. Même l’Italie a récemment légalisé sous conditions le suicide assisté. L’euthanasie active est légale au Canada et le Québec, si catholique jusqu’à la fin des années 1950, fut même la première province canadienne à légiférer sur le sujet, dès 2014. Le Parlement du Victoria en Australie a légalisé l’euthanasie active en 2019. La Colombie l’a dépénalisée en 2015 faisant de ce pays le premier d’Amérique latine à légaliser cette pratique. L’euthanasie passive est assez largement pratiquée en Allemagne, elle est légale en Finlande, en Norvège, en Suède (où elle a été légalisée en 2010), pratiquée au Danemark, en Hongrie (ce qui relativise fortement le prétendu conservatisme sociétal d’Orban !), au Mexique. Aux Etats-Unis, l’euthanasie passive a été acceptée par la Cour suprême. Cinq Etats américains (sur cinquante) ont légalisé à ce jour le suicide assisté. Il s’agit de l’Oregon, de l’Etat de Washington, du Montana, du Vermont et de la Californie.

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE a promis un « modèle français » de l’euthanasie et des « lignes rouges » pour l’enserrer mais on sait ce que vaut ce genre de promesses. A partir du moment où une balise morale a été détruite, méprisée, piétinée, tout y passe et on va toujours plus loin dans l’horreur. Souvenons-nous de la dépénalisation de l’avortement en 1974-1975. La loi Veil fixait des « conditions de détresse » (nullement définies, et pour cause !), un entretien préalable, un délai de dix semaines de grossesse. On sait ce qu’il est advenu de tout cela : la condition de détresse a été supprimée, l’entretien préalable également, les dix semaines ont été étendues à douze (en 2001) puis à quatorze (en 2022) et la France s’apprête à constitutionnaliser cette année ce « droit fondamental et inaliénable » qui consiste à fracasser, à couper en morceaux le crâne d’un bébé à naître parfaitement viable. Il en sera de même de l’euthanasie qui ne connaîtra très vite aucune limite. Il n’est pour s’en convaincre que d’étudier attentivement ce qui se passe dans les pays qui ont dépénalisé cette pratique mortifère depuis quelques années. Les demandes explosent (plus 51 % au Québec entre 2021 et 2022), le nombre de décès par euthanasie active ou suicide assisté se démultiplient. Et ce ne sont plus seulement les personnes âgées ou très âgées ou gravement malades qui y ont recours. On euthanasie même des enfants, des adolescents, des jeunes gens et jeunes filles d’une vingtaine d’années. Des personnes étant en dépression, ayant du vague à l’âme, souffrant de solitude, de tristesse, de mélancolie, d’un chagrin d’amour, d’un revers professionnel, d’un échec scolaire ou sentimental s’y adonnent de plus en plus. Sans aucun frein.
Notre confrère Le Figaro, dans sa version papier, a consacré une enquête, dans son édition du 15 juin, à ces pays où l’euthanasie est légalisée et où la situation s’aggrave considérablement d’année en année. Le reportage est poignant autant que terrifiant. Désormais il y a un véritable marché de l’euthanasie avec des forfaits « tout compris », une intense promotion sur les réseaux sociaux. « Partout où elle a été légalisée, écrit notre confrère, l’euthanasie est sans cesse plus utilisée, dans un cadre qui va toujours plus s’élargissant. Aux Pays-Bas, elle est accessible aux enfants ; en Belgique, elle vise, en outre, les personnes déclarant une “souffrance psychique insupportable” (ce qui permet tout et n’importe quoi). Le critère de “fin de vie imminente” a été remis en cause au Canada, qui a fait entrer il y a quelques jours à peine le handicap et les maladies neurodégénératives dans son champ. Injection létale pour le partant et madeleines pour la famille, le pack “tout en un” proposé par un funérarium au Québec symbolise à lui seul la banalisation à l’œuvre dans les pays qui ont ouvert la voie. Les médecins ont pu toucher du doigt, avec une bien légitime inquiétude, un basculement du sens de leur mission : dans certains pays, les unités de soins palliatifs se voient contraintes de proposer l’aide active à mourir comme un “soin” ». La réalité est donc effrayante et dépasse la fiction. Il ne faut toutefois pas se faire trop d’illusions sur la résistance à long terme des unités de soins palliatifs en France. De même que Simone Veil avait revalorisé le statut et favorisé les gains des gynécologues et obstétriciens pour neutraliser leur opposition à la légalisation de l’avortement et la trahison du serment d’Hippocrate au milieu des années 1970, ainsi que l’expliquait l’ami Rochette dans son article de la semaine dernière consacrée à cette question, on peut compter sur le gouvernement Borne pour donner des moyens supplémentaires, en espèces sonnantes et trébuchantes, aux unités de soins palliatifs pour acheter leur silence et leur complicité dans ce qui n’est ni plus ni moins qu’un crime, fût-il silencieux et masqué par des considérations pseudo-humanitaires et prétendument compassionnelles.
La situation au Québec, province autrefois si pieuse, si dynamique par ses familles nombreuses et caractérisée par une vie paroissiale très soudée et fort intense, est dramatique, apocalyptique. Le Québec se place aujourd’hui au premier rang mondial dans la pratique de « l’aide active à mourir », devant les Pays-Bas et la Belgique. En un an, la pratique a augmenté de 51 % pour atteindre 3663 morts administrées, soit 5,1 % des décès enregistrés en 2021-2022. Ce pourcentage dépasserait actuellement les 7 %. « Plus de 5000 personnes pourraient y avoir recours cette année, contre moins de 1000 il y a cinq ans » avance Radio Canada. « Le système est aujourd’hui structuré pour faciliter l’euthanasie. Il n’y a aucune balise pour l’arrêter et la pratique se banalise sous le prétexte d’une fausse compassion. Les médias en parlent comme d’une liberté. On commence à voir des faire-part de décès où les familles évoquent la chance de leur proche d’avoir pu accéder à l’aide active à mourir. C’est une nouvelle manière de déguiser la mort en la présentant comme une fin plus digne » s’émeut dans le Figaro la gériatre Catherine Ferrier, membre d’un collectif des médecins contre l’euthanasie.

ON ASSISTE à une marchandisation de la mort : une euthanasie « clé en main » est ainsi proposée au Québec contre un forfait d’environ 700 dollars. « Accueil avec des viennoiseries pour la famille, diffusion de photos sur grand écran et fauteuil blanc confortable pour recevoir l’injection létale du médecin », écrit notre confrère. La nouvelle loi québécoise datée du 7 juin 2023 va encore plus loin : elle oblige les hôpitaux et les unités de soins palliatifs, dont certaines étaient jusque-là réticentes, à inclure « l’aide médicale à mourir » dans leur « offre de soins » (sic !). Autrement dit faire mourir, c’est soigner. Les mots n’ont décidément plus de sens dans leur univers ubuesque et satanique. Et que dire de la vidéo postée sur TikTok en mai 2023 par le mannequin américain Ali Tate Cutler où l’on voit la jeune femme, fortement maquillée, interroger sa grand-mère sur le point d’être euthanasiée au Canada : « Es-tu nerveuse ? Es-tu excitée » lui demande-t-elle avec une décontraction déconcertante. Comme si elle partait pour un voyage d’agrément, pour des vacances. Mais là il s’agit d’un aller sans retour.
Les cas les plus sordides se multiplient et ne feront hélas que se démultiplier : en Belgique, la loi a autorisé l’euthanasie aux mineurs en 2014. Des frères jumeaux, nés sourds, ont obtenu le droit de recevoir l’injection létale en 2012. Nathan, un transsexuel de 44 ans, a obtenu le droit d’écourter ses jours en 2013, après une opération de « changement de sexe » qu’il jugeait ratée ! Une sexagénaire de 64 ans souffrant de dépression a été euthanasiée outre-Quiévrain à l’insu de ses deux enfants adultes qui ont porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme ! Shanti de Corte, une jeune femme de 23 ans, rescapée des attentats de Bruxelles a été euthanasiée à cause de ses « souffrances psychiques insupportables ». Et on pourrait multiplier les exemples, plus pathétiques les uns que les autres. Voilà où nous en sommes et voilà où va conduire immanquablement la loi ouvrant la voie à l’euthanasie active et au suicide assisté. D’ici quelques mois.
IL NE FAUT PAS S’Y TROMPER : il s’agit toujours de détruire la société, la civilisation, de s’en prendre à la vie par les deux bouts avec les fœtus avortés d’un côté et les vieillards euthanasiés de l’autre, même si l’expérience prouve que la dépénalisation de l’euthanasie s’applique également assez rapidement aux mineurs, aux enfants, même en bas âge, et que l’on peut donner la mort à une personne sans même que sa famille, ses propres enfants soient au courant. Il ne s’agit pas seulement de détruire les corps mais il s’agit aussi et plus encore d’assassiner les âmes en les privant de tout espoir de rédemption et de vision béatifique.
Ils savent parfaitement ce qu’ils font. Il s’agit là encore de bouleverser les mœurs et les mentalités. Car contrairement à ce que l’on croit souvent, la loi modifie les comportements, a des effets non négligeables sur le corps social. Par exemple, il n’y a jamais eu autant d’avortements que depuis que cette pratique a été légalisée puis remboursée. Et on pourrait en dire de même du divorce, de la contraception, de l’homosexualité, des unions contre-nature.
Même si aujourd’hui il n’existe plus aucune force d’importance hélas sur le plan politique ou spirituel pour s’opposer fermement et énergiquement à cette nouvelle avancée de la culture de mort, de la barbarie des mœurs et des comportements, conséquence directe de la déchristianisation et de l’apostasie des masses, des institutions et des consciences, ce qui rendra d’autant plus facile l’adoption de ce nouveau projet de loi mortifère, il faut de toutes nos forces dénoncer à temps et à contretemps ce nouveau mauvais coup porté à notre nation, à notre peuple, à nos anciens mais aussi aux plus jeunes, informer largement et alerter tous azimuts à son sujet car ses conséquences seront à n’en pas douter incommensurables et irréversibles. On ne peut d’ailleurs même pas les imaginer tant elles dépasseront probablement tout ce que l’on peut humainement envisager.   […]


RIVAROL, <jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

De Don Camillo à François, le monde et la révolution ont changé

Mondes perdus et civilisations disparues, nourrissent les grands succès de la littérature, comme s’ils semblaient lointains et par là désirables, mais ils sont tout près, à portée de main, entre the Voice et Koh-Lanta. Je viens d’en découvrir un en regardant Le retour de Don Camillo, ne me demandez pas pourquoi, cela nous prendrait trois pages. Les gens d’un certain âge se rappellent que l’écrivain journaliste Giovanni Guareschi commença en 1946 dans l’hebdomadaire Candido un feuilleton relatant les démêlés du curé d’un petit village de la plaine du Pô, Don Camillo, avec le maire communiste, Peppone, dont on a constitué douze recueils. Ils ont été adaptés au cinéma, à partir de 1952, d’abord par Julien Duvivier, Gino Cervi interprétant Peppone et Fernandel Don Camillo. Le succès, d’abord prodigieux des deux côtés des Alpes, alla diminuant au fil des épisodes, tout en séduisant encore plus de huit millions de spectateurs en Italie, Allemagne et France en 1965 pour Don Camillo en Russie. Le petit monde de Don Camillo, le premier, avait “fait” plus de 27 millions d’entrées en France et en Italie : par comparaison, la Grande Vadrouille n’en fera “que” 22 millions.
Je n’ai vu aucun des épisodes au cinéma, je n’avais pas la télé quand le parodique Don Patillo y chanta « Des pâtes, oui, mais des Panzani », et j’avais un an et demi quand Le retour de Don Camillo parut en salles en 1953 : le spectacle m’en a touché comme un documentaire sur un monde disparu, avec lequel certains souvenirs de petite enfance avaient une relation lointaine. Ainsi me souviens-je encore, en vacances, d’une maison sans réfrigérateur, peut-être de cloches qu’on sonnait en tirant sur des cordes, sûrement d’églises pleines à craquer — avec trois messes consécutives le dimanche. Quant à la plaine padane dans l’après-guerre, j’ai vu comme tout le monde Riz Amer : même si Silvana Mangano ne joue pas dans le même registre que Fernandel, on s’aperçoit bien que la vie d’alors n’était pas si facile tous les jours et ne ressemblait pas beaucoup à la nôtre. Septante ans ont passé : nous avons changé d’ère. Tout, absolument tout, a changé : jusqu’à une exacte inversion.
Le village vit à deux heures concurrentes, celle du clocher et celle de la mairie. La campagne, les pénibles travaux de la terre, les saisons subies et aimées en commun, la pauvreté des uns, la lésine des autres forcent tous à vivre ensemble, sinon en bonne entente toujours, du moins en symbiose. Et la dureté des éléments renforce cette solidarité organique. La crue exceptionnelle du Pô en novembre 1951, qui n’avait pas attendu le récent réchauffement, rompit les digues en trois endroits et inonda 130 kilomètres carrés, malgré la mobilisation des populations et de l’armée qui évitèrent de plus grands dommages en travaillant d’arrache-pied aux levées, a été exploitée par le scénario. Cette catastrophe révèle à elle-même une communauté qui se connaît sans médiation extérieure, sans télévision ni réseaux sociaux, où la connaissance passe par l’école, où chacun tient sa place et connaît tout le monde. On sait bien que la vision de ce petit monde est un peu flattée, sans les ombres, mais il existe, à cent lieues de l’existence dans les villes, où les individus ne s’inscrivent dans nulle communauté organique contraignante et dépendent d’un réseau de relations qu’ils choisissent dans une grande mesure.
La guéguerre entre l’Église et le Parti communiste, qui dans l’Italie détruite par la guerre demeuraient les deux espoirs du peuple, est brossée sur le ton d’une ironie aimable et burlesque, un peu à la Clochemerle, mais dans un tout autre esprit. En me renseignant, j’ai appris que Giovanni Guareschi était classé plutôt à droite. Il entendait par ses petites histoires guérir l’Italie du fléau communiste, que la figure bonhomme de son chef d’alors, Achile Togliatti, rendait plus dangereux encore. Et Le Retour de Don Camillo, malgré la farce, ne cache pas la brutalité de l’époque : on n’y meurt pas dans les bagarres, parce que la fin heureuse est la loi du genre, mais on s’y fracture le crâne, y compris entre enfants. Cela non plus n’existe plus : la violence sociale s’exerce par le biais de spécialistes, casseurs, antifas et policiers, dans les grandes manifestations. Il n’y a plus de castagne spontanée entre gens qui se connaissent bien et peuvent devenir copains l’instant d’après.

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Mais ce sont les mœurs, us et croyances qui ont le plus radicalement changé. Le petit monde de Don Camillo est composé de familles, un père qui travaille et punit, une mère qui tient la maison, et des enfants dont elle s’occupe. Cela va à la messe le dimanche, même les incroyants ou prétendus tels, pour les grandes occasions. On estime le maire, le curé, le médecin, les maîtres d’école. Si le grand soir en fait rêver certains, tous sont pour ainsi dire scandés par le rythme du catholicisme et les questions qu’il pose. L’une des intrigues secondaires du film tourne autour de l’achat de l’âme d’un militant communiste par un vieux médecin farceur. Le communiste finira par racheter son âme, et Don Camillo lui conseille de « la nettoyer un peu ». La société d’aujourd’hui ne comprend plus ce vocabulaire, et la Rome moderniste et apostate l’y a aidée : depuis la messe de Paul VI, la phrase que le fidèle prononce peu avant la communion : « Domine, non sum dignus, ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea », a été traduite ainsi : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». La “hiérarchie” romaine a décidé de se passer de l’âme. Le petit monde de Don Camillo n’est pas seulement perdu, il a été sciemment abandonné, et il est clair que le Vatican, Traditionis Custodes l’a encore montré, ne veut plus en entendre parler.
Pourtant, François, brossant le portrait du prêtre idéal d’aujourd’hui devant la « conférence épiscopale » d’Italie en novembre 2015 a choisi trois adjectifs pour le définir : « désintéressé, humble, joyeux », puis, évoquant au passage quelques saints italiens qui pourraient l’inspirer, a continué : « Mais je pense aussi à la simplicité de personnages inventés, comme Don Camillo, qui fait équipe avec Peppone […] la prière d’un bon prêtre s’unit de façon évidente avec les gens ». On dirait que, malgré ses dialogues avec Jésus, sa soutane et son enseignement à l’ancienne, tout ce que le modernisme dominant voit comme un détestable folklore, Don Camillo est érigé en modèle pour sa pastorale politique. Cela nous pousse bien sûr à considérer le personnage politique chez François, qui fut tenu en Argentine tantôt pour marxiste, tantôt pour péroniste, c’est-à-dire en fin de compte pour un populiste socialiste presque fasciste — et aussi à regarder de plus près Giovanni Guareschi.
L’homme souffrait d’une réputation épouvantable dans la gauche intellectuelle italienne de l’après-guerre. Choisi par le producteur de La Rage, montage d’images d’histoire et d’actualités alors célèbre, dont le premier volet avait été confié à Pier Paolo Pasolini, pour s’occuper du second, il fut critiqué par Pasolini en ces termes dans Il Giorno du 13 avril 1963 : « Si Eichmann pouvait sortir de sa tombe et faire un film, il ferait un film de ce genre. Par personne interposée, Eichmann a fait ce film. […] Ce n’est pas seulement un film “qualunquiste” (NDR : équivalent italien de poujadiste), conservateur ou réactionnaire, c’est pire. Il y a la haine des Américains et le procès de Nuremberg est décrit comme une vengeance […] Il y a la haine contre les nègres, il manque seulement que l’on dise qu’il faut les mettre tous contre le mur. […] Il y a un hymne aux paras, exaltés comme des troupes magnifiques ; il y a un anticommunisme qui n’est même pas celui du MSI, mais l’anticommunisme des années 1930. Il y a tout, le racisme, le péril jaune, le procédé typique des orateurs fascistes, l’accumulation de données de fait indémontrables. » D’autre part, Guareschi fut condamné pour avoir attaqué deux grands noms de la démocratie chrétienne italienne, le président de la République Einaudi et l’ancien président du conseil, Alcide De Gasperi, l’un des “pères” de l’Union européenne. Wikipédia parle même de “négationnisme” et note que son nom est apparu sur une liste de personnalités soutenant les lois raciales fascistes en 1938, tout en notant que « la question reste controversée ». […]

HANNIBAL.