Rivarol n°3587 du 8/11/2023
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Rivarol n°3587 du 8/11/2023 (Papier)

Editorial

Cinq ans de prison pour antisionisme !

ET ENCORE UNE FAUSSE AGRESSION ANTISÉMITE ! Les media, comme d’ordinaire, en France, en Europe et dans le monde, en ont fait des tonnes sur l’agression supposée d’une jeune femme juive de trente ans à Lyon le samedi 4 novembre. C’était une façon passablement ignoble mais redoutablement efficace de détourner l’attention du grand public sur le massacre en cours à Gaza où plus de 10 000 Palestiniens ont déjà trouvé la mort sous les incessants et intenses bombardements israéliens tandis qu’agonisent des milliers d’autres dans des conditions épouvantables car le nord de la bande de Gaza est toujours totalement privé d’eau, de nourriture, d’électricité, de médicaments, d’essence, de gaz. On opère les blessés sans anesthésiants ni analgésiques. On procède à un tri des blessés car les soignants n’ont pas les moyens de soigner et de sauver toutes les victimes des bombardements qui arrivent en grand nombre, majoritairement des femmes, des enfants, des bébés. Et là ce ne sont pas des fables comme l’odieux mensonge des quarante bébés prétendument décapités par le Hamas et qui rappelle d’autres calomnies comme l’affaire des couveuses en 1990 ou celle des armes de destruction massive en 2003 pour accabler un Etat irakien innocent de ces crimes, déjà à l’époque dans le but d’assurer la domination israélienne sur la région.
Une jeune femme de confession juive blessée à l’abdomen mais sans toutefois que sa vie soit en danger aurait donc été agressée dans la capitale des Gaules le 4 novembre par un odieux antisémite qui aurait signé son forfait en gravant une croix gammée sur sa porte (il avait donc du temps devant lui et ne craignait pas l’arrivée des voisins ou de la police !) et en laissant ostensiblement sur place le couteau qui a servi à poignarder deux fois le ventre de la victime présumée. D’après le récit de la jeune femme, qu’il faut bien sûr croire sur parole puisqu’elle est juive, son agresseur est venu frapper à sa porte, au septième étage d’un immeuble du 3e arrondissement de Lyon, ce samedi 4 novembre aux alentours de 13 heures. Après lui avoir adressé un « bonjour » (quelle perfidie !), l’homme, habillé de noir et au visage partiellement couvert, se serait rué sur elle et lui aurait asséné deux coups de couteau avant de prendre la fuite. Mais en prenant quand même le temps de graver une croix gammée avant de s’enfuir, un peu comme Zorro signant avec son Z. Mais l’assaillant est, semble-t-il, moins doué que Zorro : le svastika n’est pas visible au premier coup d’œil et mesure une dizaine de centimètres. De qui se moque-t-on ? Qui peut croire à un scénario aussi invraisemblable ? Mais qu’importe, comme toujours, quand il s’agit du courageux petit peuple, on perd tout bon sens, tout sens de la mesure, tourte prudence et même toute dignité intellectuelle. Les media et les politiciens ont tous versé dans le registre de l’hystérie, en accusant l’antisémitisme, c’est-à-dire, dans le contexte actuel, tous ceux qui ne sont pas inconditionnellement alignés sur l’entité sioniste, qui ne restent pas indifférents au massacre à grande échelle de tout un peuple innocent, de toute une population civile désarmée n’ayant ni Etat ni puissance militaire pour la défendre et la protéger.
PEU À PEU, timidement, la vérité commence toutefois à se faire jour sur la vraie-fausse agression de la jeune femme : des dépêches, fort prudemment, évoquent désormais les sérieux doutes des policiers quant au mobile antisémite de l’acte. Dans Actu Lyon, un article sur le sujet est ainsi intitulé : « Femme juive poignardée à Lyon : ces éléments qui font douter et qui posent question ». On parle de plus en plus d’une automutilation avec mise en scène en raison notamment de la proximité des deux coups de couteau. Ce ne serait pas une première. Il y a vingt ans, en janvier 2003, le rabbin Gabriel Farhi s’était automutilé avec le couteau de sa synagogue, faisant croire déjà à une agression antisémite. Mais, rassurez-vous, pas plus que cette jeune femme, il n’avait mis sa vie en danger, l’automutilation était légère et superficielle, pas folle la guêpe ! On parle également de problèmes domestiques, la jeune femme ayant vécu tout récemment « un divorce difficile ». On parle pudiquement d’un « contexte familial tendu ». On est donc loin de l’antisémitisme. Dans cette affaire, encore une fois, seule l’hystérie était vraie !
Cela n’empêche pas les media sous contrôle communautaire, sans le moindre début de commencement de preuve, de parler d’une explosion des actes antisémites dans notre pays. Tout cela est de la foutaise et une odieuse manipulation pour masquer, occulter le génocide en cours à Gaza. Ce sont des méthodes particulièrement abjectes qu’il faut dénoncer comme telles mais auxquelles nous sommes habitués. Il n’est en réalité pas difficile de savoir si une agression raciste ou antisémite est vraie ou non : dès qu’il est question de graffiti ostentatoires, de tatouages, de lacérations, de légères mutilations, de déguisements ou de comportements loufoques, il est à peu près certain qu’il s’agit de forgeries. Qui ne se souvient des agressions bidon qui avaient suivi en mai 1990 l’affaire de la profanation des tombes juives de Carpentras et la fantastique orchestration politico-médiatique à laquelle elle avait donné lieu ? En quelques semaines, les faits divers plus abracadabrants les uns que les autres se multiplièrent. En Avignon une Antillaise, Anne M., prétendait avoir été tondue au seul motif qu’elle était noire. En fait, l’adolescente avait prié son petit ami, apprenti-coiffeur, de lui faire une coupe de cheveux ressemblant à celle de son idole, la rockeuse noire Grace Jones. Le résultat s’étant révélé calamiteux, elle avait imaginé l’agression raciste qui avait agité tout le milieu germano-pratin, L’Humanité se distinguant par sa une avec un seul mot sur toute la page : “Tondue”. Les communistes n’ont pourtant pas toujours été aussi soucieux de la chevelure féminine, notamment à la Libération ! De même, à Villeneuve-d’Ascq, pour éviter de passer ses examens, un étudiant avait simulé, mini-mutilation à l’appui, un attentat nazi ! A Grenoble, une Maghrébine avait prétendu avoir été rouée de coups par des fachos, au Havre une enseignante disait avoir été attaquée par des individus portant ostensiblement le foulard bleu-blanc-rouge du Front national (!) alors que les deux jeunes femmes avaient plus prosaïquement été victimes d’une querelle domestique !

MAIS CE SONT SURTOUT les fausses agressions antisémites qui sont légion. Le 19 août dernier, on découvre sur la devanture d’une sandwicherie casher de Levallois-Perret, celle de M. Schnitz de la rue Jules Guesde, des graffiti antisémites. Les media et les politiciens s’enflamment, on parle de durcir encore les lois contre l’antisémitisme, ce poison, mais la police s’aperçoit rapidement que l’auteur des tags est un septuagénaire juif voulant se venger des impayés de loyer d’un établissement lui appartenant et loué par la victime, juive elle aussi. Il s’agissait donc d’un litige commercial entre juifs : l’un vole l’autre, le second se venge du premier en écrivant sur sa devanture : « Juif voleur ». Qu’on ne nous parle pas là de clichés antisémites : la réalité dépasse la fiction !
En 2015, un enseignant juif marseillais, Sylvain Tsion Saadoun, kippa sur la tête et barbe fournie, fait croire qu’il a été agressé au couteau par trois hommes se revendiquant de l’Etat islamique. En fait, là aussi, des problèmes conjugaux seraient à l’origine du pur mensonge de l’enseignant qui a manifestement oublié le huitième commandement du Décalogue : « Tu ne mentiras pas ». En 2003, quelques mois après l’automutilation et l’affabulation du rabbin Farhi, Alex Moïse, le porte-parole du Likoud en France, ce qui est, comme on le sait, un gage de moralité et de probité, et qui a été en pointe dans la campagne anti-Dieudonné, menaçant de faire sauter les théâtres où l’humoriste devait se produire (il faut croire que l’humour juif a ses limites !), affirme recevoir sur son téléphone portable des appels anonymes avec menaces de mort et insultes antisémites. Là encore, les policiers qui ne s’en laissent pas conter — ils sont habitués aux affabulateurs ! — s’aperçoivent très vite que c’est Alex Moïse lui-même qui s’envoyait ces messages haineux.
En décembre 2003, l’école Marzaka Thora de Gagny en région parisienne prend feu. Les media s’excitent, le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, sans attendre le résultat de l’enquête, connaît déjà le mobile du crime : l’antisémitisme bien sûr. Comme Pierre Joxe après le montage de Carpentras. Et sur-le-champ le chef du gouvernement crée un Comité interministériel de lutte contre l’antisémitisme, encore un ! Quelques semaines passent et Le Figaro puis L’Express, dans de brefs et pudiques entrefilets, laissent clairement entendre qu’il s’agirait d’une escroquerie à l’assurance. Les responsables loubavitch de l’établissement sont en effet perclus de dettes : l’incendie est providentiel.

COMMENT ne pas mentionner également l’affaire du centre social juif de la rue Popincourt dans le XIe arrondissement de la capitale, incendié dans la nuit du 21 au 22 août 2004 et maculé de croix gammées et d’inscriptions antisémites ? Le CRIF a eu beau écrire à l’époque dans un communiqué péremptoire qu’« il ne peut y avoir de doute sur les motivations stupides et criminelles de ceux qui brûlent un restaurant du cœur en inscrivant des graffiti antisémites : c’est bien la haine des juifs qui les anime », le loup antisémite n’y était pas. L’incendiaire du centre social n’était autre qu’un SDF juif sépharade de 52 ans né au Maroc, Raphaël Benmoha. Lequel s’en était pris à ce bâtiment pour se venger (encore une histoire de vengeance !) des « rabbins qui ont plein d’argent », comme il l’a expliqué benoîtement aux policiers qui ont retrouvé chez lui deux marqueurs de couleur rouge et noire avec lesquels il avait écrit les grossières inscriptions émaillées de graves fautes d’orthographe : « les juifs dehors », « sans les juives, le monde serait heureux », « Itler = la France », « Vive l’islames ». Mieux, ce quinquagénaire impulsif était un familier du centre puisqu’il avait fait faire un double des clés. Licencié dix ans avant de son emploi de gardien de nuit de l’ex-foyer pour jeunes femmes juives de la rue Domrémy à Paris, dans le XIIIe, il en aurait voulu à la communauté juive à laquelle pourtant il appartenait. L’affaire est encore plus rocambolesque puisque cet individu aurait été directement influencé par un épisode de la série télévisée PJ passé en 2003 sur France 2 qui, tenez-vous bien, racontait précisément l’histoire d’un ex-employé mettant le feu à ce même centre social juif de la rue Popincourt parce qu’il avait été mécontent d’en avoir été renvoyé ! Là encore, la réalité rejoint voire dépasse la fiction ! On s’explique qu’une certaine ethnie soit douée pour le septième art !
Comment enfin (mais la liste est loin d’être exhaustive) ne pas rappeler l’ahurissante affaire du RER D ? En juillet 2004, une jeune femme, Marie Leblanc, prétend avoir été déshabillée par un groupe de Maghrébins et de Noirs qui l’auraient prise pour une Juive (ce qu’elle n’était pas) car elle habitait le 16e arrondissement de Paris, avant que ces derniers, dessinateurs en herbe, ne lui gravent des croix gammées sur le ventre, et tout cela sans qu’aucun voyageur ne réagisse alors même que la scène insoutenable aurait duré pas moins d’une quinzaine de minutes. Or non seulement aucun témoin ne confirme sa version des faits mais encore la donzelle est connue pour être mythomane. Qu’importe, les media s’emballent, le président de la République, alors Jacques Chirac, dénonce aussitôt « un acte inqualifiable », les sourcils relevés et le menton en avant, de concert avec le ministre de l’Intérieur. Quant à la communautaire Nicole Guedj, alors secrétaire d’Etat aux droits des victimes, malgré le caractère totalement invraisemblable de cette histoire et les lourds antécédents de la jeune femme, elle rencontre, toutes affaires cessantes, la prétendue victime, lui téléphone longuement, donne crédit à une histoire inventée de toutes pièces. On pourrait multiplier ce genre d’affaires. A chaque fois, c’est la même chose, la même hystérie, les mêmes forgeries, le même dénouement. […]

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

Au plus près de la mêlée

Je n’aime pas Romain Rolland. Cette dissertation permanente. Sous ce front luisant d’une angoisse sérénissime, ces yeux qui s’avouent si profondément inquiets de la misère du monde. Cet idéal à moustaches soignées. Dans les livres de grand-père, je n’ai jamais pu dépasser dix pages de Jean-Christophe qui doit bien en compter trois mille. Mais je l’admire. Il incarne toute la futilité malheureuse de la vieille Europe en train de mourir, ses controverses, ses illusions, ses phrases, ses théories. Sa parade et sa palabre d’homme arrivé au terme des raffinements imaginables de l’esprit. Et je vous recommande son Au-dessus de la mêlée, qu’on lit facilement en ligne grâce à Gallica. On y trouve, rassemblés et annotés en 1915, la plupart des articles qu’il écrivit en Suisse pendant la première année de la Grande Guerre, et notamment le troisième, publié dans le Journal de Genève le 15 septembre 1914, Au-dessus de la mêlée.
Ce titre donne l’impression que Rolland renvoie dos à dos les ennemis et se place lui-même au-dessus de ces sots belligérants, impression renforcée par une citation de lui-même placée au début du livre, en l’espèce une page de Jean-Christophe prévoyant la guerre. Il n’en est rien : en tant qu’intellectuel trop âgé pour être mobilisé, il appelle seulement ses collègues européens à voir les choses de haut. Et lui-même y distingue de terribles vérités. Que la guerre qui commence est une boucherie sans précédent, doublée d’un suicide. Que « les chefs d’États qui en sont les auteurs criminels n’osent en accepter la responsabilité », qu’ils s’accusent donc l’un l’autre, sans avoir assez tenté de résoudre les questions diplomatiques posées. Qu’ils gaspillent et massacrent la plus belle des jeunesses. Qu’ils ont fait appel, pour “s’entredévorer” aux « hordes de tout l’univers », réquisitionnant « toutes les peaux et toutes les couleurs » des « pôles à l’équateur », et que cela leur retombera un jour sur le nez.
A ceux qui écartent les mains, faute de pouvoir se les laver, en disant que c’était inévitable, il répond non sans hauteur : « Les hommes ont inventé le destin, afin de lui attribuer les désordres de l’univers, qu’ils ont pour devoir de gouverner ». C’est excessif ? Bien sûr. Cela oublie que tout n’est pas rationnel, encore moins calculable. Mais cela secoue la tranquillité d’âme des somnambules qui ont mené l’Europe à la ruine par la guerre. Et Rolland déplore par-dessus tout « le trait le plus frappant de cette monstrueuse épopée, le fait sans précédent (qui) est, dans chacune des nations en guerre, l’unanimité pour la guerre ». Sans ménagement, il étrille les socialistes et les curés, les « passions de races », mais aussi « la raison, la foi, la poésie, la science, toutes les forces de l’esprit qui sont enrégimentées et se mettent à la suite des armées ».

Romain Rolland, qui fut traité en France de tous les noms, dont celui de traître, n’éveilla pas le moindre intérêt en Allemagne. Cela le blesse, il déplore vivement que les amis intellectuels allemands auxquels il s’adressait ne joignent pas leurs voix à la sienne — au contraire, ils justifient la guerre allemande, comme le font en France Barrès et Maurras, et Bergson ! De part et d’autre du Rhin les intellectuels chantent le même péan : la Civilisation part en guerre contre la Barbarie ! N’allons pas plus loin. Cet agacement, ce relevé des contradictions, ces justes constatations, ces intuitions terribles, s’effacent bientôt devant les convictions politiques, et c’est la catastrophe, la chute dans l’irréel et l’idéologie.
Voilà Romain Rolland qui déclame contre “l’impérialisme” de l’Autriche, l’Allemagne et la Russie, premiers responsables, selon lui, de la guerre, voilà qu’il appelle, comme Voltaire, à « écraser l’infâme », tout en invitant les peuples à éviter « représailles et vengeance », et les élites à établir, pour juger après la guerre, une « Haute Cour morale » avec ses « comités d’enquête », on en passe, et de meilleures. Autant l’observation prudente du bellicisme lui ouvrait les yeux, autant l’enthousiasme de l’utopie pacifiste les lui ferme. Amateur de « la noble utopie du modernisme », ami de Tagore et de Gandhi, l’Orient le consolant de l’autodestruction de l’Europe occidentale, il découvrira avec ferveur à Genève la foi bahaïe, attiré par le dialogue interreligieux autant qu’il rejetait le catholicisme de sa jeunesse.
Mais sa véritable religion de 1917 jusqu’à sa mort en 1944 fut le bolchevisme, qui incarnait à ses yeux, malgré des excès qu’il jugeait inévitables, le progrès des Russes et des hommes, après le terrible obscurantisme tsariste. Il plaça ses espoirs dans la révolution soviétique et la servit en fidèle compagnon de route du Parti communiste. Il fut le papy du Front populaire et le parrain de la Troisième Internationale, le tout en se voulant bizarrement le porte-drapeau de l’indépendance de l’Esprit ! Ainsi son pacifisme lui fit-il soutenir Staline. Ici paraît le double échec d’Au-dessus de la mêlée et la perversité de sa prétention.
1. Ce livre ne servit pas à lancer une réflexion commune des intellectuels d’Europe contre le suicide de celle-ci, ni même des intellectuels français.
2. Il est plein de contradictions et nul du point de vue politique, sans compter sa grandiloquence un peu verbeuse. Pourtant, il partait de constatations justes et d’une volonté bonne, qui pourraient nous servir aujourd’hui, de l’Ukraine à Gaza. Cela nous souffle de ne pas répéter les erreurs de Rolland. Il est vain de se prétendre au-dessus de la mêlée. On est par la force des choses dans la mêlée, même, chacun à sa place, les neutres.
Et Rolland le savait bien, s’il avait eu le courage moral de se l’avouer, lui qui a publié dans l’Humanité sa « Déclaration de l’indépendance de l’Esprit » appelant les « travailleurs de l’esprit » (les intellectuels) à retrouver leur « union fraternelle » et à professer qu’en travaillant pour leurs nations ils avaient « enlaidi, avili, abaissé, dégradé la pensée, dont ils étaient les représentants. » Cela revient à proclamer que ces « travailleurs de l’esprit » ne se situent pas le moins du monde au-dessus de la mêlée, mais travaillent pour un internationalisme socialiste. Voici la péroraison de la Déclaration : « Nous ne connaissons pas les peuples. Nous connaissons le Peuple — unique, universel, le Peuple qui souffre, qui lutte, qui tombe et se relève, et qui avance toujours sur le rude chemin trempé de sa sueur et de son sang — le Peuple de tous les hommes, tous également nos frères. Et c’est afin qu’ils prennent, comme nous, conscience de cette fraternité, que nous élevons au-dessus de leurs combats aveugles, l’Arche d’Alliance — l’Esprit libre, un et multiple, éternel ».

C’est ce qu’il y a au fond de plus désagréable et de plus faux chez les pacifistes : un jour ils deviennent bellicistes, ayant fait leur choix (en fait depuis toujours). Toutes les guerres sont également mauvaises, mais il y en a d’un peu plus égales que les autres. Président du comité antifasciste, Rolland le pacifiste finira ainsi par juger sainte la guerre contre les ennemis du peuple. Parmi ses admirateurs figurait le musicien juif allemand né à Prague Erwin Schulhoff, homosexuel, dadaïste, provocateur, communiste, auteur d’une Symphonia Germanica ironique durant deux minutes, où il se moquait de l’hymne allemand, et d’un oratorio sobrement intitulé Le Manifeste du Parti Communiste. Après la signature du pacte germano-soviétique, il avait demandé la nationalité soviétique et l’avait obtenue, ainsi qu’un visa allemand pour aller en URSS, mais il partit trop tard : l’opération Barbarossa ayant commencé, il fut interné au camp de prisonniers de Wülzburg en Bavière en tant que citoyen soviétique. Il y mourut en août 1942 de la tuberculose. Après Munich, il avait dédié sa cinquième symphonie à Romain Rolland.
Romain Rolland a fait des petits. C’est le grand homme de ce premier quart de XXIe siècle. Le monde est farci de pacifistes qui savent comme lui quand déclencher une guerre juste, et en même temps l’observation qu’il a faite est plus vraie que jamais : le consensus des élites, des églises, des sociétés de pensées, des médias, en faveur d’une guerre, hier décrite comme le pire des maux, et toujours proclamée le pire des crimes, est étonnant. On sait que le joli récit qui rend la guerre inévitable est un mensonge, mais on le répète quand même et on finit par y croire en quelque sorte. L’histoire nous a pourtant appris des choses. On a lu les livres blancs ou jaunes sur la Grande Guerre, on sait que tout n’était pas tout blanc ou tout noir. On a vu le gros secrétaire d’État américain à l’ONU avec sa fiole avant la guerre du Golfe, on sait ce que c’est que le bourrage de crâne, mais on fonce quand même tête baissée. On est à fond pour Zelensky. Ou pour Poutine. Pour Israël. Ou pour le Hamas. On déplore les crimes de guerre. On compte les civils, les bombes, les arguments. On pèse les justifications historiques et juridiques des uns et des autres. On défend la civilisation contre la barbarie.[…]

HANNIBAL.