Rivarol n°3611 du 24/4/2024
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Rivarol n°3611 du 24/4/2024 (Papier)

Editorial

La liberté de l’esprit est plus que jamais à l’agonie

IL NE FAIT PAS BON défendre la cause palestinienne dans un pays devenu une colonie israélienne. Rien que ces deux dernières semaines, trois conférences organisées par la France insoumise sur Gaza ont été interdites dans les universités de Bordeaux, de Rennes et de Lille. Nous n’avons, on le sait, aucune affinité politique avec les mélenchonistes mais il est totalement scandaleux que soient interdites des conférences expliquant et dénonçant ce qui se passe actuellement en Palestine occupée. Comme il est honteux que des manifestations réclamant un cessez-le-feu et défendant les enfants de Gaza soient interdites par les préfectures sur ordre du ministère de l’Intérieur. Il est pareillement inadmissible que plusieurs dizaines de militants pro-palestiniens, quelles que soient par ailleurs leurs sympathies politiques ou leur affiliation partisane, soient convoquées par la police, placées en garde à vue voire jugées pour « apologie publique de terrorisme » simplement parce qu’elles dénoncent le génocide en cours à Gaza et refusent d’accabler la résistance palestinienne. C’est l’entité sioniste qui bombarde, affame et génocide tout un peuple, le privant de sa terre, de ses droits les plus fondamentaux, le forçant à se déplacer dans des conditions épouvantables et ce sont les personnalités qui dénoncent ces crimes affreux qui doivent rendre des comptes à la police et à la justice. On vit vraiment dans un asile d’aliénés.
Mais ce n’est pas seulement sur la question de la Palestine martyrisée que la liberté de parole, d’expression, de publication est interdite ou fortement réduite. C’est également le cas de tout ce qui a trait au révisionnisme historique (Vincent Reynouard évoque en détail dans ce numéro les nouvelles poursuites ahurissantes intentées contre lui par les autorités françaises) et à la critique du lobby LGBT, de l’homosexualité et de la transsexualité. Alain Soral a ainsi été condamné le 18 avril dernier de manière définitive par le Tribunal fédéral helvétique à 40 jours de prison ferme pour discrimination et incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle. C’est la première fois que la plus haute juridiction suisse se penche sur cette norme pénale introduite le 1er juillet 2020 après une votation populaire du 9 février 2020, preuve que le bon sens du peuple tend lui aussi à disparaître. Son arrêt fera jurisprudence, comme s’en réjouissent bruyamment les militants LGBTistes et les sites, blogs et media communautaires, à l’instar du compte Twitter de la LICRA qui a accompagné, toute honte bue, de trois bouteilles de champagne la nouvelle de la condamnation définitive du président d’Egalité et Réconciliation. Il y a encore quelques années, même la LICRA n’aurait pas osé se réjouir de manière aussi impudente et décomplexée de l’incarcération d’un adversaire idéologique. Mais aujourd’hui toute pudeur, toute décence, toute discrétion a disparu. C’est le règne tous azimuts et sans limite de l’arrogance tripale, du fanatisme tribal, de la tyrannie communautaire.
FAUDRA-T-IL désormais interdire, brûler ou expurger la Bible qui condamne à maintes reprises, et en des termes sans équivoque, l’homosexualité ? Faudra-t-il supprimer l’épisode de la destruction de Sodome et Gomorrhe, caviarder les passages de Saint Paul sur les péchés contre-nature ? Faudra-t-il interdire les catéchismes, supprimer dans toute notre littérature tout ce qui est dépréciatif à l’égard de ce qu’on appelait autrefois le vice italien ? Car on en est là. Ne nous berçons pas d’illusion : à partir du moment où le tribunal fédéral a accepté de condamner à de la prison ferme une personnalité publique pour homophobie, cela fera jurisprudence non seulement bien sûr dans toute la Confédération helvétique mais à peu près partout en Europe et en Occident. C’est une digue qui vient de sauter, c’est une nouvelle révolution de la morale et du droit, elle est tout sauf anodine.
Pour condamner Alain Soral, la Cour suprême helvétique, se livrant à un jugement moral à rebours, relève « le langage rabaissant, déshumanisant et outrancier » du polémiste invitant les internautes à « mépriser une journaliste en raison de son orientation sexuelle en particulier ». Cette affaire remonte à l’été 2021. En août, Cathy Macherel, journaliste à la Tribune de Genève, révèle que l’association présidée par Alain Soral, installé à Lausanne depuis 2019, donne des formations à Genève. L’écrivain, connu pour son franc-parler et sa réactivité, ne goûte guère cette enquête très dépréciative et décide d’y répondre quelques semaines plus tard dans une interview filmée diffusée sur le site Internet de son association. Il traite la journaliste de « grosse lesbienne » et de militante “queer”. Il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. On est dans le cadre de la polémique et il n’y a rien de véritablement outrancier dans ces propos. Toutefois, selon le Tribunal fédéral, qui se fait manifestement le défenseur voire le porte-parole de la communauté arc-en-ciel, le discours incriminé donne le sentiment qu’aux yeux d’Alain Soral, la journaliste « présente tant le défaut d’être homosexuelle que celui de militer en faveur de certaines minorités ». La juridiction suprême helvétique relève également que l’interview filmée du président d’Egalité et Réconciliation est accompagnée d’une photographie de Cathy Macherel. « Alain Soral a prévu une mise en scène consistant à inclure une photo-portrait de la journaliste […], offrant ainsi aux internautes une figure concrète sur laquelle déverser leur mépris. Il ne fait aucun doute que le message du recourant tend à éveiller et exciter un sentiment de haine à raison de l’orientation sexuelle. »

NOUS Y VOILÀ. Au nom de la lutte contre de prétendus crimes de haine, on peut embastiller tous ses adversaires idéologiques. Et pour condamner à des peines exorbitantes pour de simples propos, des considérations polémiques ou pamphlétaires en réponse à un article à charge, on évoque le casier judiciaire du prévenu. Le Tribunal fédéral a ainsi pris soin de noter que si le casier judiciaire suisse de Soral est vierge, en revanche son casier français comporte 22 condamnations entre 2008 et 2019 (celui de votre serviteur en comporte 21, celui de Dieudonné 31, celui de Benedetti 7 et celui de Ryssen 20). Mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il s’agit de condamnations en vertu du droit de la presse et non de droit commun, ce qui n’a rien à voir. Ce ne sont pas des délits aussi objectifs et incontestables que le crime, le vol, la corruption, l’atteinte aux biens ou la violence physique sur les personnes. Ce ne sont que des délits d’opinion. Et ce qui était considéré comme la norme il y a encore quelques décennies partout en Europe est aujourd’hui criminalisé dans une logique d’inversion proprement diabolique. Pour le Tribunal fédéral, « ses multiples condamnations pour diffamation et provocation à la discrimination raciale ou religieuse, ou en raison de l’orientation ou l’identité sexuelle […] confirment la propension d’Alain Soral à adopter des comportements méprisants et discriminatoires à l’égard de groupes de personnes pourtant protégées par la loi. »
Oui car si les hétérosexuels ne sont nullement protégés par la loi, les homosexuels et transsexuels, eux, le sont. Et il est vain désormais d’évoquer devant les tribunaux le droit à la liberté d’expression. « Sa démarche correspond bien plus à une attaque personnelle gratuite à l’encontre de personnes définies par leur orientation sexuelle qu’à l’expression d’une opinion sur des questions d’intérêt public. » Le tribunal se comporte en arbitre des élégances, distribuant ses bons et ses mauvais points selon des normes morales totalement inversées. On est là à des années-lumière du code civil qui parlait du bon père de famille ou des cours de morale qui promouvait autrefois à l’école, tant privée que publique, la défense des bonnes mœurs ! À l’instar du Tribunal cantonal vaudois, la Cour suprême estime qu’une peine de prison ferme s’impose « au regard des nombreux antécédents d’Alain Soral […] et de son insensibilité à la sanction pénale ». Nous avons basculé là dans quelque chose d’effrayant. Les esprits libres et droits doivent résister de toute leur force à cette nouvelle avancée de la tyrannie. […]

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

Affaire Touvier : (II) A la recherche du crime contre l’humanité

21 ans de longues et complexes procédures séparent les premières plaintes déposées à Lyon en 1973 contre Touvier et son procès en 1994. Examinons-les en gardant trois éléments principaux à l’esprit : 1. Il fallait pour l’accusation que les faits de Rillieux fussent qualifiés en crimes contre l’humanité, faute de quoi ils étaient prescrits et aucune poursuite n’était possible. 2. C’est pourquoi les parties civiles ont usé de tous les moyens pour établir cette qualification. 3. La Cour de Cassation les y a aidées, par tous les moyens aussi, en dépit de la conviction des juristes et des jugements des Cours d’appel saisies. On verra au cours du procès l’avocat général et le président faire la même chose.
Voici une chronologie simplifiée de la chose. En mars 1974, quatre plaintes sont déposées à Chambéry s’ajoutant à celles de 1973 à Lyon. Les juges d’instruction, et les cours d’appel de Lyon et de Chambéry, se déclarent incompétents. Saisie par les plaignants, la Cour de Cassation casse le 6 février 1975 les arrêts des cours d’appel en les assimilant à un refus d’informer. La cour d’appel de Paris se déclare alors compétente le 27 octobre 1975. Elle constate que la prescription des poursuites est acquise depuis 1956, soit huit ans avant la transcription de Nuremberg dans le droit français (cf. numéro précédent). Si en effet la prescription pour crime de guerre est de 20 ans pour les peines, le délai pour les poursuites est, lui, de dix ans. Autrement dit, nulle poursuite n’était plus possible contre Touvier sauf rétroactivité de la loi pénale. Saisie, la Cour de Cassation reconnaît que la cour d’appel de Paris a jugé « à juste raison » en ce qui regarde la prescription et la non-rétroactivité de la loi, MAIS lui reproche de ne pas avoir consulté les Affaires étrangères pour connaître la portée de certains textes internationaux en ces domaines. Normalement sa fonction est de vérifier que les formes de droit soient respectées : elle est allée ici beaucoup plus loin pour complaire aux plaignants.
La cour d’appel de Paris interroge le 17 décembre 1976 le ministère des Affaires étrangères qui répondra le 19 juin 1979, deux ans et demi après, et trois jours après que le Monde aura publié une annonce publicitaire les sommant de donner une réponse permettant les poursuites, rédigée par Serge Klarsfeld et les « fils et filles de déportés juifs de France ». Le Quai d’Orsay obtempère : selon son interprétation, la convention européenne des droits de l’homme ne s’oppose pas à la rétroactivité des lois en matière de crime contre l’humanité, à condition que celle-ci soit admise et prévue par la loi interne propre à chaque Etat. Un seul hic : la Constitution de 1958 l’interdit. Malgré cela, un juge d’instruction est chargé le 3 octobre 1979 du dossier Touvier qu’il renvoie au parquet le 30 août 1980 en disant à qui veut l’entendre qu’il est vide. Pendant ce temps-là, Paul Touvier, menacé physiquement par ses ennemis, doit vivre caché, bien qu’il soit libre et gracié, ayant « payé sa dette » à son pays.

Rien n’arrête le rouleau compresseur de la vengeance, dont la course va s’accélérer Mitterrand regnante et Badinter étant garde des Sceaux. Un nouveau juge d’instruction est nommé le 13 octobre 1981. Le 27 novembre 1981, un mandat d’arrêt est lancé contre Touvier. Le 26 janvier 1983, sept descendants de Victor Basch portent plainte contre Paul Touvier pour complicité dans l’assassinat de leur ascendant, en s’appuyant sur les affirmations de Jacques Delarue, ancien policier auteur de livres à succès dont une Histoire de la Gestapo. Du temps passe, René Bousquet est assassiné (le 8 juin 1993 à Paris), Maurice Papon accusé de crime contre l’humanité, tandis que Barbie est extradé de Bolivie (1983) et condamné à Lyon (1987). Enfin, après une longue traque, Touvier est arrêté le 24 mai 1989. Pendant deux ans, la défense va demander sa mise en liberté, que les parties civiles s’efforceront de bloquer en déposant des plaintes à Lyon. Pourquoi Lyon ? Parce que, dixit Serge Klarsfeld le 14 novembre 1989 : « Je ne crains pas de libération de Paul Touvier à partir du moment où Lyon intervient dans le dossier ». Le 29 novembre, le procureur de Paris demande en ce sens son propre désaisissement au profit de Lyon, mais aucun élément juridique ne le justifiant, la Cour de cassation doit déclarer Paris seul compétent. Enfin, après des mois de procédure et d’expertises médicales (Paul Touvier souffre d’un cancer), la cour d’appel de Paris le met en liberté sous contrôle judiciaire le 11 juillet 1991.
Ce succès va entraîner une contre-attaque rapide. Le “cardinal” Decourtray, « archevêque de Lyon, Primat des Gaules », et René Rémond, historien académique, donnent une conférence de presse afin de promouvoir le dernier livre du chouchou de Science Po, Paul Touvier et l’Eglise, ouvrage à charge qui a une double mission : dire de quel côté l’université et l’Eglise de France se trouvent dans ce procès, et fournir des éléments “d’Histoire” à l’accusation. Les parties civiles s’en réjouissent à grands cris et exigent le versement de l’ouvrage au dossier afin que la cour d’appel de Paris l’examine. Hélas pour elles, par un paradoxe amusant qu’on analysera plus bas, c’est en partie en se fondant sur ce “rapport” que la Cour d’appel de Paris rend un non-lieu général le 13 avril 1992 : pour les onze accusations portées contre Paul Touvier — dont celle de Rillieux-la-Pape qu’elle qualifie de « crime de guerre ». L’arrêt est particulièrement copieux, 277 pages, mais le procureur forme dans l’heure un pourvoi en cassation, et, comme en 1972 après la grâce de Pompidou, la presse et les politiciens se déchaînent : le Premier ministre, Bérégovoy, qui finira suicidé dans des conditions très troubles, le garde des Sceaux Vauzelle, qui trempera plus tard, en PACA dans une sombre affaire de gestion, et l’inimitable François Mitterrand, premier magistrat de la République, ami de Bousquet, pousseront de hauts cris contre cet arrêt. Le 27 novembre 1992, la Cour de cassation casse un non-lieu et un seul, celui de Rillieux, reprochant à la cour d’appel de Paris de ne pas avoir recherché s’il n’y avait pas complicité avec l’Allemagne. Le deux juin 1993 la cour d’appel de Versailles renvoie Touvier devant les Assises des Yvelines, où il sera jugé du 17 mars au 20 avril 1994. La ténacité des vengeurs aura triomphé du droit.
Pour bien comprendre cette séquence et comment va fonctionner le procès, il faut encore revenir au crime contre l’humanité. Inventé à Nuremberg, transcrit dans le droit français en 1964, il a suscité jusqu’en 1994 une jurisprudence qui a mené à sa première définition française dans le nouveau code pénal paru en 1994 peu avant le procès. Il a connu depuis des développements nationaux et internationaux, notamment à travers le tribunal pénal international : c’est une affaire politique passionnante, mais beaucoup trop vaste pour être traitée ici. On se contentera de l’intervalle 64-94, en tâchant de ne pas perdre le lecteur dans le maquis d’un dossier extrêmement lourd, « pas moins de 30 000 pages décomposées en 52 volumes, le tout mesurant 11 mètres linéaires », comme le notait Henri Boulard, président du tribunal, dans la relation très satisfaite qu’il en a donnée.
Ecartons d’abord ce qui est lié à l’assassinat de Victor Basch, pour lequel un non-lieu a été rendu : la Cour de Cassation, malgré sa bonne volonté envers les vengeurs, n’a pas jugé possible de le casser. Cet assassinat sera pourtant agité par les vengeurs durant le procès, mais uniquement comme témoignage d’immoralité, afin de charger l’accusé. On s’apercevra à cette occasion que l’immense majorité des débats ne portera pas sur les faits incriminés mais sur la personnalité de l’accusé, « milicien, nazi, menteur, proxénète, minable », etc. De ce point de vue, le capitaine Haddock pourrait dire que le cas Touvier est une affaire à la fois très simple et très compliquée. Très compliquée car elle a mobilisé la presse et la justice pendant des décennies, produisant une montagne de papier. Très simple parce que cette montagne a accouché d’une souris : le cœur du dossier regarde l’exécution de sept otages juifs dont on n’a d’autre recension que… celle de l’accusé dans une lettre écrite seize ans après les faits. Pour établir ceux-ci, l’accusation n’a, trente-quatre ans plus tard, que deux témoins : Delarue, d’une part, et de l’autre un FTP prétendant avoir été libéré par Touvier, Goudard. C’est peu. […]

HANNIBAL.