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Rivarol n°3618 du 12/6/2024 (Papier)

Editorial

Dissolution : le coup de poker de Macron

LA VIE POLITIQUE, comme la vie tout court, n’est décidément pas exempte de surprises. Qui eût en effet imaginé que le chef de l’Etat, moins d’une heure après l’annonce des estimations des résultats des élections européennes données par les radios et les télévisions, prît la parole dans une très brève allocution solennelle — alors qu’en général il parle fort longuement pour ne rien dire ou presque — et annonçât la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anticipées les dimanches 30 juin et 7 juillet ? En général, l’Exécutif ne tient aucun compte du résultat des européennes, même lorsque les résultats sont désastreux pour lui, ce qui est fréquent. Rien n’obligeait le président de la République à agir de cette manière qui a surpris et décontenancé jusqu’à ses propres troupes. Le Premier ministre Gabriel Attal et la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet ont, semble-t-il, essayé vainement de le faire renoncer à cette décision à hauts risques. Car il ne fait guère de doute, au vu du score calamiteux obtenu par la liste de Valérie Hayer aux européennes (14,60 % des suffrages exprimés, huit points de moins que la liste Loiseau en 2019), que la Macronie perdra sa majorité relative au Palais-Bourbon le 7 juillet prochain. Une grande partie des actuels députés macronistes ne seront pas réélus selon toute vraisemblance. On conçoit donc qu’ils trouvent que la pilule est amère. Mais Emmanuel Macron n’est pas homme à s’apitoyer sur ses troupes pour lesquelles il n’a de toute façon aucune estime. Ne dit-on pas qu’il est un président jupitérien et solitaire ? Reste qu’on n’imagine pas un François Mitterrand ou un François Hollande agir de la même manière. En juin 1988, le Parti socialiste n’a obtenu au Palais-Bourbon qu’une majorité relative. Mitterrand s’est bien gardé de dissoudre l’Assemblée. Le gouvernement dirigé par Rocard, puis Cresson, puis Bérégovoy s’est appuyé tantôt sur les centristes, tantôt sur les communistes, pour faire voter ses projets de loi et la législature a duré cinq ans, jusqu’en mars 1993. Elle est allée normalement à son terme.
C’est ce qu’espérait sans doute Emmanuel Macron à l’issue des législatives de juin 2022 où son parti et ses alliés n’ont obtenu, eux aussi, qu’une majorité relative. Il s’agissait cette fois de s’appuyer tantôt sur LR, tantôt sur une partie de la gauche pour mener à bien les projets de loi gouvernementaux. Cela n’a pas si mal fonctionné pendant un certain temps et des réformes, toutes détestables, ont même pu être adoptées depuis deux ans. Toutefois, l’exercice devenait de plus en plus difficile. Il se susurrait ainsi que les Républicains, pour éviter de disparaître définitivement et faire parler d’eux, étaient tentés de s’associer au RN et à la gauche en votant à la rentrée parlementaire une motion de censure contre le gouvernement, ce qui aurait pu permettre mathématiquement son renversement. Peut-être Macron a-t-il préféré prendre tout le monde de court pour s’éviter ce genre de mésaventures parlementaires particulièrement humiliantes. Mais n’est-ce pas prendre un risque encore plus grand que de dissoudre l’Assemblée nationale à un moment où le président est particulièrement impopulaire et où le principal parti d’opposition, le RN, a le vent en poupe en réalisant le dimanche 9 juin en pourcentage (mais non en nombre de voix, compte tenu des 48,51 % d’abstention) le score de loin le plus élevé de son histoire avec 31,37 % des suffrages (mais seulement 15,70 % des inscrits), son président et son chef de file Jordan Bardella arrivant en tête dans toutes les régions de France, y compris dans ce qui fut longtemps des terres de mission pour le FN comme la Bretagne et l’Ile-de-France, et dans presque tous les départements avec des scores stratosphériques, parfois supérieurs à 50 %, dans beaucoup de zones rurales ?

ON VOIT MAL en effet comment les électeurs, après avoir donné à Macron une claque magistrale le 9 juin, ne recommenceraient pas quelques semaines plus tard, la colère et le mécontentement étant grands dans le pays. Même s’il n’y a pas eu depuis 2018-2019 de mouvements quasiment insurrectionnels comme celui des gilets jaunes (hormis les manifestations, nettement moins massives, contre la tyrannie sanitaire en 2021), le pays gronde toujours. Les cicatrices restent à vif. La plupart de nos compatriotes font face à des conditions de plus en plus difficiles avec la montée vertigineuse du coût de la vie, des denrées alimentaires, des matières premières, du gaz, de l’électricité, de l’essence et du diesel, et les libertés sont de surcroît brimées avec la multiplication des radars automatiques (et des contraventions pharaoniques qui vont avec), l’obligation bientôt de rouler uniquement à l’électrique, la pression fiscale qui ne cesse de s’alourdir, les lois liberticides, la tyrannie LGBTiste, etc.  L’immigration et la délinquance explosent. On veut leur imposer un monde dont ils ne veulent pas, où ils n’ont pas leur place. Ils ne reconnaissent plus leur pays et pour beaucoup d’entre eux ils ne voient que le bulletin RN pour exprimer leur colère. Ils indiquent ainsi qu’ils ne veulent pas mourir, un peu comme le patient que l’on pique et qui crie : aïe ! C’est un instinct de survie. Le RN, anciennement FN, est une marque qu’ils connaissent et qui est électoralement, selon eux, relativement efficace.
Il est vain de leur expliquer que le RN a tout renié (ce qui est pourtant exact), qu’il ne se différencie plus, ou quasiment plus, des autres partis (ce qui est l’évidence même), que c’est désormais de l’eau tiède, voire de la tisane, que c’est un parti désormais abortif, homosexualiste, sioniste, laïciste, philomaçon, qui a même renoncé à la sortie de l’euro et de l’Union européenne, au rétablissement de la peine capitale et à toute politique de remigration, qu’importe, ils veulent ainsi exprimer leur colère. Ils votent pour le seul grand parti qui n’a encore jamais été au pouvoir, qui est resté dans l’opposition (au moins sur le plan national) depuis plus d’un demi-siècle. Lorsqu’une vague grossit, qu’elle devient une déferlante, elle emporte tout sur son passage. Et c’est peut-être, je dis bien peut-être, car il faut rester prudent, ce que l’on est en train de vivre.

IL Y A DEUX EXPLICATIONS possibles dans la décision, si surprenante de prime abord, du chef de l’Etat d’organiser si vite, et dans des délais si courts (21 jours à peine) des élections législatives anticipées. D’aucuns pensaient qu’en cas de blocage à l’Assemblée à la rentrée, il eût pu peut-être s’y résoudre à l’automne. Mais pas avant la tenue des Jeux Olympiques cet été à Paris et alors même que les vacances scolaires commencent début juillet. Pourquoi donc cette décision si rapide, si précipitée ? De deux choses l’une. Soit Macron joue la carte de la sidération pour renverser la table en jouer de poker. Il se dit peut-être qu’au dernier moment les électeurs hésiteront à porter le RN au pouvoir. Les législatives au scrutin majoritaire à deux tours, ce ne sont pas des élections européennes à la proportionnelle à un tour. Ce sont des élections nationales qui décident, au moins sur le papier et en apparence, de l’avenir du pays, des politiques qui seront menées, même si on sait bien que les partis politiques sont relativement interchangeables et que les grandes orientations, une fois aux responsabilités, sont essentiellement les mêmes. En dramatisant les enjeux du scrutin, Macron espère peut-être tirer son épingle du jeu. Il va, semble-t-il, multiplier les interventions médiatiques d’ici le scrutin et on peut compter sur lui pour jouer pleinement le registre de la peur.
Il convoquera pour cela l’histoire et la Mémoire. C’est ce qu’il a déjà fait le 6 juin lors de son discours célébrant les 80 ans du Débarquement des Alliés en Normandie. C’est ce qu’il a fait plus encore le 10 juin, au lendemain même du scrutin, en se rendant à Tulle et à Oradour-sur-Glane pour y prononcer deux discours, y dénoncer « l’horreur, l’indicible », mettre en cause l’extrême droite en général (suivez mon regard) et stigmatiser le repli nationaliste. « L’Europe est un projet si singulier, fou, de paix. Il n’y a dans ce projet rien d’évident, spontané, naturel ». Sous-entendu : si « l’extrême droite » parvient au pouvoir, le projet européen sera détruit et ce sera le règne de la guerre voire le retour la barbarie, des heures les plus sombres de notre histoire. C’est une sacrée audace de la part d’un homme qui souhaite publiquement que des soldats français aillent se battre en Ukraine dans un conflit où les intérêts vitaux de la France ne sont pas en jeu et où nous n’avons manifestement rien à faire. C’est la quatrième fois, depuis 2017, il faut le souligner, qu’Emmanuel Macron se rend à Oradour-sur-Glane. Ce n’est pas un hasard. Il instrumentalise la version officielle et obligatoire de ces événements contre l’extrême droite en général (ou ce qui en tient lieu) et le RN en particulier. Il s’était déjà rendu à Oradour et au mémorial de la Shoah pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2017. C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe. Pourquoi Macron changerait-il tout à coup ce qui lui a souri jusque-là ? L’exercice a toutefois ses limites : la liste Bardella a atteint 36 % des suffrages dans le village d’Oradour ce 9 juin. Le discours antifasciste va-t-il être encore efficace cette fois, comme il l’est depuis si longtemps et comme il fut notamment pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2002 ? Les semaines qui viennent nous donneront la réponse sur ce point. Marine Le Pen ayant donné tellement de gages, multiplié les reniements et les reptations, il semble plus difficile de la diaboliser. Et Bardella est tellement jeune et ressemble au gendre idéal qu’il paraît délicat également de le présenter comme un monstre en puissance. Mais le Système en est toutefois capable s’il le juge utile. Dans ce cas, il sera intéressant de voir si ce théâtre antifasciste fonctionne une nouvelle fois et empêche le RN d’obtenir une majorité à l’Assemblée dans moins de quatre semaines. Auquel cas, au prix d’improbables combinaisons politiques et en mettant sur pied à l’arrache une forme de coalition anti-RN, Macron pourrait, d’une manière ou d’une autre, continuer à gouverner cahin-caha pour les quelque trois ans (un peu moins d’ailleurs) qui lui restent.

MAIS IL EST une autre hypothèse, plus machiavélique encore et que nous aurions tendance pour notre part à privilégier : Macron pourrait tabler sur l’arrivée de Bardella à Matignon, l’anticiper, voire la souhaiter (en secret), ce qui pourrait être la meilleure façon d’affaiblir le RN à terme, et notamment en vue de la présidentielle de 2027. De plus, le RN ayant quasiment tout renié, il ne présente pas un vrai danger pour Macron et pour le Système en place qui se reconstituerait sur ses bases. Après tout, l’Etat profond dont Macron est une marionnette a peut-être décidé dans son agenda pour des raisons qui lui sont propres — hâter le choc des civilisations, faire monter les tensions, précipiter la guerre civile ? —,  de jouer aujourd’hui (au moins pour un temps) la carte du RN. Ce n’est pas en soi impossible. D’autant que le RN, selon toute vraisemblance, ne changera pas grand-chose quand bien même aurait-il quelques velléités de changement.
De surcroît, une cohabitation, ne l’oublions pas, est toujours dévastatrice pour le locataire de Matignon. Chirac est sorti essoré après deux ans de cohabitation (entre 1986 et 1988) avec Mitterrand qui a multiplié sous ses pieds les peaux de banane. Balladur, à son tour, a été éliminé dès le premier tour de la présidentielle de 1995 après deux ans à Matignon, encore après deux années de cohabitation (1993-1995). Et sept ans plus tard la même mésaventure est arrivée à Lionel Jospin, éliminé dès le premier tour de la présidentielle de 2002, après cinq années de cohabitation avec… Chirac. Comme l’avaient analysé certains constitutionnalistes, la cohabitation est de fait une machine à faire réélire les présidents sortants (Mitterrand en 1988, Chirac en 2002). Sauf que cette fois Macron ne pourra pas légalement se représenter en 2027. Il ne pourrait le faire qu’en 2032 compte tenu de la réforme de la Constitution limitant à deux quinquennats successifs les mandats présidentiels. Mais si le RN s’étiole voire s’effondre lors de la présidentielle de 2027, après trois ans passés à Matignon, il apparaîtra comme l’homme qui a réussi à faire reculer électoralement le RN, et même peut-être à le tuer. Car s’il est relativement aisé d’être un bon communicant comme l’est Bardella, il est infiniment plus difficile et périlleux de gouverner un pays comme la France. Il est facile de dire dans l’opposition ce que les électeurs veulent entendre, il est plus difficile d’obtenir des résultats concrets une fois aux responsabilités. Et on peut compter sur Macron pour ne pas lui faciliter la tâche. Le président de la République sous la Cinquième, même dans le cadre d’une cohabitation, dispose en effet de pouvoirs étendus. Il est le premier magistrat du pays, le chef des armées et le seul à même à pouvoir appuyer sur le bouton nucléaire. Il est le chef de la diplomatie. Il représente le pays à l’étranger. Il peut refuser de signer des ordonnances comme Mitterrand l’avait fait sous le gouvernement Chirac. Il peut multiplier en coulisses les coups bas, faire des interventions médiatiques déstabilisantes.
De plus, Bardella n’a que 28 ans. Il est jeune et inexpérimenté. Ne sera-t-il pas petit garçon devant Macron, très obséquieux, sinon docile, voire manipulable à souhait ? Il sera tellement content et fier d’être sous les ors de la République. Et sur quelles compétences pourra s’appuyer le RN ? Gouverner ne s’improvise pas. Et puis, même si le RN dispose d’une majorité absolue au Palais-Bourbon, il devra faire face à l’opposition, au moins feutrée, du Sénat et de la présidence de la République mais également du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, lequel pourrait retoquer les textes qu’il juge contraires à la Constitution. Et puis il y a le poids de l’Union européenne et de ses sanctions éventuelles. Comment conduire une politique alternative dans le cadre de la monnaie unique et de l’Union, 80 % des lois et des règlements émanant des institutions européennes ? Comment rétablir les frontières et la souveraineté nationale lorsqu’on a les pieds et les mains liés par l’adhésion à une entité supranationale et à des conventions qui interdisent de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre et le bon sens ? Et puis il faut compter avec la rue. L’extrême gauche et une grande partie de la gauche politique, syndicale, associative et culturelle n’accepteront jamais une arrivée à Matignon du RN, fût-elle parfaitement légale, et elles le feront savoir bruyamment. Dans les rues de nos villes. Dans les écoles et les universités. Partout où elles le pourront. Elles appelleront à la désobéissance civique. Et le bruit, elles sont particulièrement douées pour en faire.

LE CYNIQUE MACRON peut parfaitement jouer la carte des manifestants contre son gouvernement de cohabitation. C’est ce que fit avec délice Mitterrand contre Chirac au moment de la mise en œuvre finalement avortée de la loi Devaquet sur les universités. Le chef de l’Etat pourra se jouer du juvénile Bardella comme le florentin Mitterrand s’était amusé à faire tourner Chirac en bourrique. Peut-être y prendra-t-il plus de plaisir qu’à échanger avec la sinistre Borne d’autant que la rumeur dans le Tout-Paris veut que le président ne soit pas insensible aux éphèbes. Macron pourra se grimer en chef garant des institutions, de la paix civile, de l’unité nationale, de la construction européenne face au « danger de l’extrême droite ».
Il va donc être intéressant de voir comment les choses vont évoluer dans les semaines et les mois qui viennent. Mais ce serait une grave erreur de croire que Macron est à terre, même s’il est temporairement affaibli par la dernière votation dominicale. En restant à l’Elysée, il pourra être redoutable. Et jouer un nouveau rôle, endosser un nouveau costume, celui de père de la nation, se grimer, se déguiser à nouveau, comme sait si bien le faire cet homme de théâtre, d’apparences, d’illusions et de mise en scène, une activité que lui a apprise très jeune une certaine Brigitte et à laquelle manifestement il a pris goût. Au point, semble-t-il, de ne plus pouvoir s’en passer. […]

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

Européennes 2024 : une victoire de l’abstention et une légère érosion à gauche

L’Union Européenne est un quasi-Etat de fait, qui couvre l’essentiel du continent européen. N’en font pas partie de rares exceptions comme le Royaume-Uni, la Norvège, la Suisse, parce que plus riches et ne souhaitant pas partager, du moins pour les deux dernières, ou, à l’inverse, des pays beaucoup plus pauvres, gangrenés de surcroît par des mafias, situés dans les Balkans — Albanie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Kossovo, Macédoine —, et legs des guerres punitives menées dans les années 1990 (1995 et 1999 principalement) contre le cœur serbe de l’ancien espace yougoslave (disparu en 1991). N’en font pas partie non plus les marges de l’Europe, et c’est du reste heureux, même si les européistes veulent les intégrer de force, comme l’Ukraine, en guerre, la Turquie, asiatique et musulmane, très peuplée, ou la Moldavie et la Géorgie — pays chrétien caucasien, situé en Asie caucasienne —, ou la Biélorussie — sous un autre régime que l’actuel, néosoviétique et très aligné sur la Russie —.
Le RIVAROL historique des années 1950 avait été favorable à une forme de confédération souple de l’Europe occidentale, potentiellement apte à se défendre par elle-même contre le danger alors réel d’une invasion par les forces de l’URSS de Staline — avec une puissance militaire relative incomparablement supérieure à l’actuelle Russie de Poutine —. Ce que l’on appelle le « projet européen » est bien autre chose aujourd’hui, une utopie à l’échelle continentale, chose impossible avec des dizaines de nations européennes parfaitement légitimes et authentiques, mais aux langues, aux cultures nationales, aux intérêts, significativement différents. A Bruxelles, capitale de ce quasi-Etat européen de fait, règne en outre un esprit détestable, immigrationniste, homosexualiste, féministe et écologiste radical, qui ne peut conduire les peuples européens, non pas à la paix et à la prospérité, programme affiché, mais à leur destruction. Quant à la paix, ce prétendu acquis ne l’est plus, avec des interventions de plus en plus fortes et visibles dans le camp ukrainien, face à la Russie ; si la Pologne, les Etats Baltes, la Finlande, la Roumanie, estiment de leur intérêt un tel soutien massif à l’Ukraine, on peut peut-être en partie les comprendre, mais tel n’est pas du tout l’intérêt de la France, ou de façon générale celui des pays d’Europe occidentale et méridionale.

LE POUVOIR LÉGISLATIF DANS LE QUASI-ÉTAT QU’EST L’UNION EUROPÉENNE

Ce quasi-Etat paneuropéen possède son gouvernement, la Commission Européenne et son parlement, le Parlement européen. Le Parlement investit ou non la Commission, et vote la législation européenne, qui s’impose aux législations nationales. L’UE est dans les détails de fonctionnement très compliquée ; des arrangements en amont ont toujours permis les investitures des Commissions. Le grand enjeu pour les européistes a été la participation. Elle est souvent faible, en particulier en Europe de l’Est, les citoyens nationaux ne se reconnaissant pas à raison en cette pseudo-nation européenne, et ne se sentant pas motivés pour aller voter. Les élections européennes, qui ont lieu tous les cinq ans, doivent renouveler l’intégralité des 720 députés du Parlement européen. Du 6 au 9 juin, suivant les jours de vote des traditions nationales, 360 millions électeurs ont été appelés aux urnes. Le nombre de députés est à peu près proportionnel à la population des Etats — avec l’Allemagne obtenant le plus de sièges, puis la France, l’Italie, l’Espagne, la Pologne, etc.—, avec une surreprésentation des Etats peu peuplés, comme le Luxembourg, Malte ou la Slovénie.

UNE FORTE ABSTENTION

Ces élections européennes ont été marquées avant tout par l’abstention, ce qui n’a pas été assez souligné par les commentateurs, pour le moins, avec une participation de 50 % en moyenne à l’échelle continentale —dernière estimation précisément à 50,8 % —, ce qui est peu pour des pays européens, et parfois fort basse dans des grands pays comme la Pologne avec 39 % seulement de participation. L’abstention est donc le grand vainqueur. Elle a été motivée par un désintérêt pour la chose européenne, et un désamour de tous les partis politiques : ainsi, être en tête avec 30 % des voix, ce qui est souvent la configuration de la liste en tête dans la plupart des Etats européens, signifie ne mobiliser en réalité que 15 % des inscrits, ce qui est donc très loin de correspondre à quelque raz-de-marée populaire.
Les députés européens sont regroupés en groupes par affinités politiques : la chose va de soi pour la gauche assumée, comme les socialistes, les néocommunistes, les écolo-gauchistes, internationalistes par principe — avec l’UE qui ne serait qu’une étape dans l’utopie d’une unification de l’humanité en un Etat unique —. Cet internationalisme peut même s’appliquer pour les centristes, du centre gauche « Renew Europe » (renouveler l’Europe en anglais, qui comporte LREM) ou du centre droit Parti Populaire Européen (souvent appelé “droite” par convention encore plus absurde que pour LR, d’ailleurs membre de ce PPE) ; les choses sont plus compliquées pour les partis patriotiques, divisés en deux groupes : ECR (Groupe des Conservateurs et Réformistes européens), et Identité et Démocratie (ID) ; ID serait sur le papier plus à droite qu’ECR, mais comme il comprend le RN de Marine Le Pen, qui vient de faire exclure du groupe l’AfD allemande à cause de son programme de remigration et des déclarations dans la presse italienne de sa tête de liste aux européennes, Maximilian Krah, propos selon lesquels les SS n’étaient pas tous des criminels, les choses ne sont pas simples. L’affiliation au groupe ECR ou au groupe ID a été souvent le résultat des inimités persistantes entre nationaux européens. Par exemple les patriotes polonais du PiS refusent absolument de siéger aux côtés de patriotes allemands — forcément, selon eux, des “crypto-nazis” —. Par ailleurs, le hasard des divisions nationales peut conduire à une affiliation dans deux groupes différents. Deux partis nationaux aux programmes proches mais concurrents peuvent considérer qu’il ne leur est pas possible de siéger dans le même groupe au Parlement européen, comme c’est le cas de la Ligue et de Frères d’Italie, deux partis populistes italiens concurrents.

LES RÉSULTATS : UN NOUVEAU PARLEMENT TRÈS SEMBLABLE À L’ANCIEN

Ces élections ont été également marquées par une grande stabilité des rapports de force politiques au sein du Parlement européen. Sur 720 sièges, il n’y a pas eu au final de basculements importants, de l’ordre de centaines de sièges, en faveur d’une famille politique. Tout au plus observe-t-on une érosion de quelques dizaines de sièges de la gauche, frappant en particulier les écologistes, sanctionnés à l’échelle européenne, ou le centre gauche libéral de « Renew Europe » (de tendance macroniste si on doit le définir politiquement) ; de même constate-t-on une légère progression du PPE sortant, de centre droit, parti de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de la CDU-CSU allemande, du Parti populaire (PP) espagnol, des LR de François-Xavier Bellamy.
La reconduction de la commission sortante, en particulier de sa chef de file, ne fait donc, sauf énorme coup de théâtre, guère de doute. Elle continuera à s’appuyer sur sa coalition de centre gauche, avec le PPE, le centrisme libéral de « Renew Europe » et le Parti Socialiste Européen (PSE). Elle n’aura pas à élargir, hypothèses couramment évoquées avant le scrutin, exclusives l’une de l’autre, sa majorité aux Verts, par ailleurs en déconfiture et détestés par beaucoup au PPE — dont les LR en France sont une illustration typique —, non plus qu’au groupe “patriotique” ECR de Giorgia Meloni, qui s’imaginait elle-même, en cas de départ de la vie politique intérieure italienne — la situation y est toujours si agitée, que même sans péril immédiat, la précaution pouvait se comprendre —, vice-présidente de la Commission. Madame von der Leyen a probablement, suivant un machiavélisme simple et à sa portée, agité cette hypothèse pour jeter le trouble parmi les électeurs d’ECR, qui sont tout sauf des sympathisants de ses agendas climatiques, de son hystérie sur le Covid — confinant à de forts soupçons de corruption pour les vaccins Pfizer, promus par son mari, scandale potentiel absolument majeur, sans effets politiques réels, ou du moins électoraux, finalement —.

LA POUSSÉE LIMITÉE DES POPULISTES

Ainsi, le PPE a progressé avec 192 sièges (+14), suivis par les Socialistes avec 137 sièges (-3), les Libéraux de Renew Europe avec 85 sièges (-17). Cela fait en tout 414 sièges, pour les trois principaux partis au centre du Parlement européen, et cela leur offre une belle marge face aux 361 sièges de majorité requis puisqu’on compte 720 eurodéputés au total. Il y a toujours des dizaines de défections lors des votes d’investiture, les priorités nationales, avec les mandats implicites des électeurs, ne correspondant pas forcément, voire pas du tout, aux regroupements européens ; le sommet du surréalisme a été atteint lors de la campagne de Bellamy en France, tonnant contre la Commission sortante, mais appartenant à son même parti européen, d’où une discipline de vote incertaine. Les deux partis des “droites” dites patriotiques, ECR — Rassemblement des Conservateurs Européens, groupe des Conservateurs britanniques avant le Brexit — de Meloni et Identité et Démocratie de Bardella suivent, avec des scores décevants par rapports à certaines attentes. ECR totalise en effet 78 sièges (+10), ID 62 sièges (+3). Les alliés du RN, — à la seule exception de la FPÖ autrichienne qui a obtenu 25 % des voix, mais l’Autriche n’est pas un pays pourvoyeur de beaucoup de sièges au Parlement européen —, ont donc réalisé des performances décevantes ; c’était donc bien une erreur manifeste d’avoir scandaleusement exclu l’AfD allemande, sur la base de citations tronquées de sa tête de liste sorties de leur contexte, soit exactement les méthodes bolcheviques employées dans les années 1980 à 2000 contre Jean-Marie Le Pen.

LES VERTS, GRANDS PERDANTS DU SCRUTIN

A l’extrême gauche du Parlement, on compte encore les Verts, avec 51 sièges (-21). Ils sont les grands perdants du scrutin, dont l’agenda immigrationniste et climato-hystérique a fini par lasser beaucoup. Leur promotion systématique dans les médias sous influence communautaire a aussi considérablement chuté du fait de leur soutien flamboyant à la Palestine ; depuis qu’elle défile avec un keffieh sur la tête, l’ancienne égérie du Climat, Greta Thunberg, est désormais couramment qualifiée de petite folle. Que ne s’en était-on pas rendu compte avant, lorsque même l’ONU protestait contre son statut iconique au nom de la lutte pour la scolarisation des adolescentes — elle faisait la grève de l’école « pour le Climat » —. En outre, les terribles catastrophes climatiques couramment annoncées pour 2022 ou 2024 n’ont pas eu lieu du tout ; loin d’avoir été sec, caniculaire et saharien, le printemps 2024 a même été frais et humide dans toute l’Europe, ce qui a d’ailleurs causé de graves inondations en Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie. Enfin, les plus radicaux se rassemblent dans le groupe néocommuniste dit de « La Gauche », par euphémisme, comme les Insoumis, avec 39 sièges (+2).
Voici pour les groupes. […]


Scipion de SALM.