Rivarol n°3619 du 19/6/2024 (Papier)
Editorial
La dissolution voulue par Macron continue à agir comme une bombe à fragmentation
DEPUIS la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par le Président de la République le dimanche 9 juin au soir, il est frappant de constater la différence de comportement entre la gauche et la droite (ou ce qui en tient lieu). La gauche, pourtant fortement divisée sur nombre de sujets essentiels — comme par exemple la question du sionisme, du nucléaire ou de la construction européenne —, sait s’unir, malgré quelques couacs ici ou là, et ce en quelques jours seulement, et jeter la rancune à la rivière, au moins temporairement, au nom du rassemblement nécessaire face au prétendu « danger fasciste ».
Quand on se souvient des noms d’oiseaux que s’échangeaient les responsables de gauche ces derniers mois, et encore ces toutes dernières semaines, se traitant même d’antisémites, l’insulte suprême en République, il est à peine croyable que le camp dit abusivement des forces de progrès ait réussi à s’unir dans toutes ses composantes, de François Hollande à Philippe Poutou, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) — officiellement poursuivi pour apologie publique de terrorisme après sa prise de position soutenant sans réserve l’offensive du Hamas du 7 octobre 2023, position qu’il n’a jamais reniée ni vraiment nuancée depuis —, à Place publique du communautaire et très sioniste Raphaël Glucksmann. C’est en effet le porte-parole du NPA, Philippe Poutou, qui représentera le Nouveau Front Populaire (NFP) dans la première circonscription de l’Aude et c’est François Hollande qui est le candidat du même Nouveau Front Populaire dans la première circonscription de la Corrèze, un Hollande contre lequel la Macronie ne présente pas de candidat, « par respect de sa fonction passée ». Le Nouveau Front populaire va donc d’un ancien président socialiste de la République au porte-parole d’un mouvement activiste d’extrême gauche au programme anticapitaliste et antisioniste très radical. On croit rêver !
QUELLE différence avec le spectacle offert à “droite” depuis une semaine où la dissolution annoncée par le chef de l’Etat agit chaque jour davantage comme une bombe à fragmentation ! Reconquête et LR sont en effet divisés, déchiquetés et déchirés comme jamais. La situation pour les deux partis est même totalement ubuesque. Il y aura ainsi plusieurs candidats estampillés LR dans plusieurs dizaines de circonscriptions : 62 postulants (sur 577 circonscriptions, soit un peu plus de 10 %, ce qui n’est pas considérable) étant soutenus dès le premier tour par le RN — c’est une candidature commune RN-LR : en réalité c’est une absorption de LR tendance Ciotti par le RN, vu la disproportion des forces et des scores entre les deux mouvements — et près de 400 candidats étant investis par l’autre courant de LR, lui-même d’ailleurs écartelé entre ceux soucieux d’une stricte indépendance (comme Bellamy, Wauquiez ou Retailleau) et ceux favorables, plus ou moins ouvertement, à un rapprochement avec les forces résiduelles de la Macronie (comme Copé, Pécresse ou Larcher). Précisons que Ciotti a agi de façon solitaire, sans prévenir à aucun moment les instances dirigeantes du parti de ses intentions, mais toutefois après avoir pris soin de contacter le magnat des media, Vincent Bolloré, et d’obtenir son feu vert à sa volonté d’alliance avec le RN, ce qui en dit long sur la réelle répartition des pouvoirs dans notre pays. Mais même dans le front LR anti-Ciotti, on ne s’entend pas : Bellamy, président des Républicains par intérim, déclare qu’au second tour, entre le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, il votera pour le RN (même s’il a depuis quelque peu nuancé sous pression sa position) tandis que Xavier Bertrand dit exactement l’inverse. Comprenne qui pourra. Nous assistons en direct à l’implosion de LR, et peut-être à sa disparition. Nous ne nous en plaindrons pas vu comment ce parti issu du gaullisme, puis du chiraquisme, a gouverné le pays.
Et que dire du spectacle offert par Reconquête qui, en un seul jour, perd 80 % de ses élus européens (4 sur 5) et son unique sénateur (Stéphane Ravier). Si le parti réussit in extremis à présenter 330 candidats (contre 549 cependant en 2022), son score sera certainement très modeste. Il aura été tué, ou en tout cas fortement affaibli, par la trahison de Marion Maréchal. Décidément, le clan Le Pen (Marine, Marion) a la trahison dans le sang. Car objectivement l’argument de Marion Maréchal pour s’opposer à Zemmour ne tient pas la route une seconde : vu les scores très élevés du RN (à plus de 30 %) et ceux fort modestes de Reconquête (à 5 %, et probablement bien moins aux législatives, avec le phénomène de vote utile dû au scrutin majoritaire uninominal à deux tours), nulle part en France, dans aucune circonscription sur 577, ou quasiment dans aucune, la présence d’un candidat de Reconquête n’aurait empêché la qualification d’un candidat du RN au second tour du scrutin.
DE PLUS, appeler Reconquête, comme l’a fait publiquement Marion Maréchal, à ne présenter de candidats nulle part au premier tour, dès lors que le RN refuse tout accord avec le parti de Zemmour, c’est tuer politiquement et asphyxier financièrement le mouvement, le financement public se calculant en effet sur les résultats (en nombre de voix) obtenus au premier tour des législatives (et également sur le nombre de sièges de députés). Ne pas présenter de candidats aux législatives pour un parti, cela signifie renoncer pour cinq ans à tout financement public et à toute présence politique et médiatique lors de la campagne électorale et de ses suites. En agissant ainsi, Marion Maréchal avait donc incontestablement la claire et nette volonté de tuer Reconquête qui l’a pourtant financée et mise en avant pendant la campagne des européennes (combien de militants et sympathisants de base ont-ils fait de dons pour aider le mouvement et sa tête de liste ?), même s’il est vrai qu’il y avait beaucoup de bisbilles en interne et que la guerre était totale entre les deux jeunes femmes, Knafo et Maréchal, preuve, soit dit en passant, que, contrairement à ce que l’on répète couramment, l’extrême féminisation de la vie politique n’est pas de nature à en adoucir les mœurs.
C’est néanmoins une trahison objectivement odieuse et lamentable de la part de Marion Maréchal, une trahison que rien ne justifie, si ce n’est peut-être le fait d’œuvrer au « regroupement familial » entre la nièce et la tante comme l’a souligné un Zemmour manifestement défait et écœuré. Le Professeur Jean-Claude Martinez, qui a eu naguère comme étudiantes à Assas et Marine et Marion, a toujours dit, pour avoir bien connu les deux jeunes femmes, que « Marion est pire encore que Marine », ce qui n’est pas peu dire, vu le peu d’estime de l’universitaire septuagénaire envers la benjamine de Jean-Marie Le Pen ! Et tout cela est encore plus choquant lorsque, comme Marion Maréchal (et l’eurodéputée Laurence Trochu, présidente du Mouvement conservateur), on se réclame ouvertement du catholicisme, on se drape dans la défense des valeurs traditionnelles et de l’Evangile. La trahison, en mettant par-dessus de l’eau bénite, sans avoir l’air d’y toucher, et avec un sourire Colgate, est encore plus infâme !
CE QUI est toutefois amusant et pittoresque dans l’affaire, c’est que, cette fois, ce sont les goyim qui trahissent les juifs (Zemmour et sa maîtresse sépharade, Sarah Knafo, qui se retrouvent l’un et l’autre Gros-Jean comme devant) et non l’inverse, même si Marion Maréchal a eu pour père biologique un agent du Mossad, Roger Auque, aujourd’hui décédé. Comme quoi, dans la vie politique, comme d’ailleurs dans la vie tout court, les choses sont infiniment plus complexes et beaucoup moins manichéennes qu’on ne le pense parfois. Certes, Zemmour a aussi ses torts. Incontestablement. En se comportant de manière clanique avec sa maîtresse, en ne faisant pas preuve d’un minimum de souplesse et surtout en faisant confiance à ce qu’il a appelé à juste titre, mais bien tardivement, « des traîtres professionnels » comme Guillaume Peltier (passé du FN au MNR, puis du MNR au MPF de Villiers, puis chez LR, puis à Reconquête, puis se rapprochant du RN) et Nicolas Bay (passé du FN au MNR, puis de nouveau du MNR au FN, puis du RN chez Zemmour, puis à nouveau de Reconquête vers le RN), le fondateur de Reconquête ne pouvait pas s’attendre à d’autres résultats.
Mais, disons-le franchement, comment faire confiance à des personnalités se comportant de manière aussi lamentable et odieuse ? On connaît l’adage que l’on doit à l’écrivain Paul Bourget : « à force de vivre contrairement à ce que l’on pense, l’on finit par penser comme l’on vit ». Comment croire que de tels politiciens mettraient en œuvre, une fois aux responsabilités, un programme de renaissance nationale lorsque, par ailleurs, ils agissent de manière moralement et humainement aussi détestable ? Qui a trahi trahira. La droite suppose la droiture. Or, tous ces gens en sont dramatiquement dépourvus. Et c’est ce qui rend très improbable, et ce quels que soient les scénarios d’après-scrutin, un quelconque redressement du pays. Car cela suppose des principes, des vertus, une ferme volonté de servir le bien commun, toutes dispositions dont l’actuel personnel politique est totalement exempt, toutes tendances confondues. Marine Le Pen n’a ainsi rien trouvé de mieux que de saluer publiquement la déclaration très révélatrice de Serge Klarsfeld selon laquelle entre le RN et LFI, au second tour, il votera RN car ce dernier n’est plus, selon lui, un parti antisémite contrairement à celui de Mélenchon. Et quant à Bardella, s’adressant aux femmes et désireux de défendre « leurs droits », il vient de rappeler pour les séduire le vote solennel de Marine Le Pen et du RN, en mars 2024, en faveur de la constitutionnalisation du « droit à l’avortement ». On le voit, on est là à des années-lumière d’un quelconque vrai changement. […]
RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.
Billet hebdomadaire
Jouons aux années 1930 (I) : 1983
Emmanuel Macron est le grand magicien du désordre, l’accoucheur du chaos, on l’a vu tout de suite avec les gilets jaunes, quand le préfet de police de Paris a donné l’ordre de tirer sur les innocents tout en laissant passer casseurs et black blocs. Avec la dissolution, le président n’a pas seulement volatilisé l’Assemblée nationale, il a dispersé les partis façon puzzle, Reconquête en deux, les Républicains en trois et le Front populaire en autant qu’il y a de nuances dans le Boboland arc-en-ciel. Dans un Paris rudéral et crépusculaire, où Anne Hidalgo n’ose plus plonger dans la Seine de peur d’un courant trop fort, où, en attendant les Jeux Olympiques, la dette s’enfonce si profond que la note de la France fond, l’immobilier et la bourse s’effondrant, le système ne vit plus que de réflexes et d’habitudes. Et tous ses acteurs, grands et petits, jouent désespérément aux années 1930. Ils n’ont appris que cela, ils ne font que ça depuis quarante ans pour sauver leurs meubles et tyranniser le peuple. On accuse bien à tort le pauvre Manu d’avoir été le premier à vivre de l’épouvantail de l’extrême droite, c’est faux, il n’a rien inventé, Chirac et Mitterrand en tiraient bénéfice dès 1983. Alors on disait que tu étais les méchants, les Ligues, Mussolini, Hitler, et moi j’étais le gentil Léon Blum, Herriot, Daladier, Thorez, mais cette fois j’étais vigilant et je gagnais. Est-ce que cela va marcher ? Est-ce que notre président de la République va gagner son pari et gouverner par le chaos absolu, emmenant notre pays toujours plus loin dans la révolution mondiale ? On l’ignore, mais une chose est sûre : nous jouons aux années 1930.
Je me souviens, c’était en 1985, nous revenions de Tulle où Chirac venait de faire un numéro de voltige de démagogie locale, et je ne pouvais m’empêcher d’une sorte d’admiration pour la technique entraînante de ce grand menteur. J’en profitai pour lui demander ce qui le séparait de Jean-Marie Le Pen, sur lequel il concentrait ses attaques. Il répondit : « Ce n’est pas un fasciste, mais nous n’avons pas les mêmes valeurs ». Tel quel. Cela me fit sourire, mais c’était vrai. Le mot valeur me frappait. C’était bien avant Villiers, son combat pour les valeurs. Le grand animal artificiellement amical et rigolard donnait avec candeur la clé de notre système politique. Lui qui, jeune homme, avait distribué l’Humanité, lui qui, dans la déroute du PC, modifia le règlement de l’Assemblée pour lui conserver un groupe, lui qui, à la demande des députés communistes, accorda aux anciens des Brigades internationales la carte d’ancien combattant, connaissait la règle non écrite et d’autant plus fondamentale qui régit la politique en Europe depuis 1945 : les descendants de Staline ont droit de cité, mais non pas ceux qu’on peut assimiler, même par des méthodes abracadabrantes, au défunt chancelier.
Pour en revenir à la partition des partis, si celle de Reconquête est surtout une affaire de personnes, celle des Républicains est une question de valeurs. Cela peut surprendre qui le connaît, mais c’est tout de même le cas. Après leur énième échec aux européennes, qui achève une descente aux enfers commencée avec l’échec de François Fillon à la présidentielle de 2017, ils viennent d’acter leur suicide. Le vaudeville qu’ils nous jouent en direct, le président Ciotti faisant fermer les portes du siège, les barons putschistes le traitant de traître pour l’exclure, la justice saisie en référé annulant cette décision illégale, Ciotti suscitant une pétition chez les militants pour le soutenir, alors que la secrétaire générale a trouvé un double des clefs et que les permanents privent le président d’internet, les dissidents qui font face à une autre dissidence, c’est un spectacle qu’on n’oserait même plus à Guignol. Mais il faut tout de même poser une question. Pourquoi, alors que les électeurs semblent en légère majorité plutôt pour un accord avec le RN, pourquoi les hauts cadres républicains, Copé, Larcher, Pécresse et les autres, ont-ils refusé l’accord négocié par Ciotti avec Bardella, qui leur sauvait leurs sièges ? Pourquoi, eux qui nous ont habitués aux paroles onctueuses, aux longs repas, aux habiletés politiciennes où ils excellent, ont-ils agi avec une si vigoureuse promptitude, à la limite de l’irréflexion, sans regarder aux conséquences si funestes pour leur parti ?
La réponse est : au nom de la morale. Des valeurs. Il fallait à tout prix empêcher une union des “droites” permettant si peu que ce soit la défense des intérêts de la nation. Les grands apparatchiks républicains sont là pour faire advenir un avenir mondialiste conforme aux valeurs “humanistes”. On se trompait. On les prenait pour des mous du bide, des amateurs de tripatouillages propres à récolter de grasses prébendes. Pas du tout. Ce sont de fausses méduses et de vrais durs. Des anciens Romains portés sur la vertu. Pour empêcher le pire, l’inacceptable, l’intolérable, l’insupportable, la main tendue par Ciotti à l’infréquentable Bardella, ils sont allés jusqu’au suicide. Ils ont préféré organiser leur explosion en direct à courir la chance d’une alliance avec le RN. Même au mépris de la loi : ils ont convoqué un bureau politique, ce que seul le président peut faire. C’est la morale qui leur commandait ce putsch, leurs mots le disent. Valérie Pécresse et Xavier Bertrand ont dénoncé un “traître”. Renaud Muselier a parlé “d’infamie”. Christian Estrosi a déploré “l’opportunisme” de son frère ennemi des Alpes-Maritimes, et Dieu sait qu’il s’y connaît en la matière, lui qui passa de Le Pen père à Macron. Bruneau Retailleau a prêté un « but personnel » et Michèle Tabourot des « ambitions personnelles » à Eric Ciotti. Ont été dénoncées aussi les « combinaisons d’appareil » et les « alliances contre-nature ». A quoi Laurent Wauquiez oppose la « voix d’une droite républicaine indépendante ».
Que veulent dire les mots “républicain” et “indépendant” ? Eh bien, que l’on respecte certaines valeurs dites aujourd’hui “démocratiques” par antiphrase, puisqu’elles ont pour fonction d’empêcher la voix du peuple de s’exprimer politiquement. Quoi qu’on pense par ailleurs de ses choix, le peuple français vient de dire aux européennes qu’il ne faisait plus confiance à ses élites et à leur projet européo-mondialiste “humaniste” et arc-en-ciel. Son cri a été assez net et Éric Ciotti, pour sauver sa place, a décidé de l’écouter. Las, c’est une rupture historique du grand tabou auquel Mitterrand et Chirac ont soumis les droites en 1984. Pas d’alliance avec « l’extrême droite » ! Après une hésitation à Dreux en 1983 où le RPR fut autorisé à faire alliance avec le FN et Jean-Pierre Stirbois pour vaincre la gauche, Chirac installait dès 1984 le « cordon sanitaire » souhaité à l’époque par Bernard-Henri Lévy et refusait désormais tout compromis — au risque, lui aussi, de se suicider : il perdit d’ailleurs pour cette raison la présidentielle de 1988.
Là se trouve le fait, le moment, intéressant : quand ces hommes faits pour être élus, pour briguer le pouvoir, d’un seul coup sacrifient leurs intérêts alors que toute leur vie est une habitude, une avidité de compromissions. C’est que leur être, leur conviction profonde est en jeu. Pétri d’humanisme “laïque”, Chirac entendait promouvoir en douceur un monde sans frontière et liquider la « France d’hier ». Il en va de même des caciques actuels des Républicains, qui se nourrissent aux mêmes sources intellectuelles, morales et spirituelles. Des sources maçonnes. Certes le RN de Bardella et Marine Le Pen est lui aussi largement infiltré de maçons, tout mouvement politique l’est : mais son projet n’est pas complètement maçon, même si le RN a commis tant de reniements et de reptations qu’il n’est plus qu’un ersatz du FN, et cela suffit à susciter la mobilisation totale et l’action immédiate de l’appareil de contrôle de la « droite républicaine et indépendante », quelle que soit l’opinion des électeurs. Fait significatif, l’exclusion de Ciotti a été votée à l’unanimité. Et François-Xavier Bellamy, le « philosophe catholique » qui mène le parti aux européennes depuis cinq ans, a été nommé président par intérim. Il faut toujours un paravent moral aux opérations de police. Je l’ai croisé un jour. Il semblait avoir la foi, et un certain courage. Dommage qu’il ait fait de la politique. […]
HANNIBAL.