Rivarol n°3622 du 10/7/2024
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Rivarol n°3622 du 10/7/2024 (Papier)

Editorial

La gauche en tête et claque monumentale pour le Rassemblement national !

ON L’OUBLIE trop souvent mais le second tour d’une élection peut nuancer, infirmer voire contredire le premier tour. Ce n’est pas le cas le plus fréquent mais cela peut arriver. Les fins connaisseurs de l’histoire électorale de la France se souviennent ainsi que le second tour des législatives de mars 1978 avaient inversé les tendances et dynamiques observées au premier. Alors que la gauche, l’extrême gauche et les écologistes étaient arrivés en tête au premier tour avec 52 % des voix et qu’ils avaient le vent en poupe après la victoire de l’union de la gauche aux cantonales de 1976, puis aux municipales de 1977, c’est finalement la majorité présidentielle autour de Valéry Giscard d’Estaing et de Raymond Barre qui remporta d’un cheveu le scrutin au second tour avec 50,46 % des suffrages (et 291 sièges) contre 49,54 % à l’opposition (et 200 sièges). Cela n’empêcha pas la gauche de prendre sa revanche trois ans plus tard avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République le 10 mai 1981 mais cette défaite de 1978 fut néanmoins une cruelle surprise pour une gauche que tous les sondages voyaient gagnante.
Ce qui s’est passé dans les urnes ce 7 juillet est encore bien plus spectaculaire. Alors que le RN et ses nouveaux alliés ciottistes étaient arrivés largement en tête du scrutin législatif au premier tour, avec plus de cinq points d’avance sur le Nouveau Front populaire et plus de treize sur la Macronie, et que tous les sondages d’entre-deux-tours prévoyaient une majorité, au moins relative, au RN, c’est finalement la gauche qui occupe la première place du classement, en nombre de sièges (182, au dernier comptage), devant la majorité présidentielle (163) et le FN arrive bon dernier avec 126 élus seulement (plus 17 pour ses alliés ciottistes), si l’on excepte les Républicains et les divers droite qui obtiennent, quant à eux, un peu moins de 70 sièges.

QUE S’EST-IL DONC passé en une semaine pour que les résultats soient à ce point inversés et que les grands vainqueurs du premier tour apparaissent comme les principaux vaincus du second ? L’explication ne peut être trouvée dans le différentiel de participation entre les deux tours puisque, d’un dimanche à l’autre, l’abstention a été quasiment identique (33,29 % des inscrits au premier tour, 33,37 % au second) tandis que les bulletins blancs et nuls ont assez nettement augmenté en une semaine (de 2,58 % à 5,50 % des votants, soit plus du double), preuve d’une certaine insatisfaction devant l’offre électorale proposée.
La principale explication, c’est que la « droite populiste » (ou ce qui en tient lieu) n’est toujours pas majoritaire en France. Il ne suffit pas de réunir le suffrage d’un tiers des électeurs pour remporter une élection au scrutin majoritaire à deux tours. Il faut remporter le suffrage d’au moins 50 % des votants, plus une voix (sauf bien sûr dans le cadre de triangulaires ou de quadrangulaires mais qui ont été peu nombreuses du fait des retraits et désistements massifs pour faire barrage au RN). Or, le compte n’y est toujours pas. Certes, la mise en place rapide et efficace d’un vaste Front républicain a compliqué arithmétiquement la tâche des candidats du RN et de ses maigres alliés. Mais on oublie que dans l’isoloir l’électeur est libre. Libre de son choix, de sa décision, de son vote qu’il peut d’ailleurs parfaitement garder secret. Si les Français, dans leur majorité, avaient souhaité voter au second tour pour le RN, ils l’auraient fait. Malgré les consignes de vote, les retraits et les désistements. Malgré la pression médiatique. En 2005, ils avaient été plus de 55 % à rejeter par référendum la Constitution européenne alors même que la quasi-totalité des formations et personnalités politiques, de la presse écrite et des grands media audiovisuels les exhortaient à voter oui. C’est donc bien qu’ils n’ont pas voulu dans leur majorité donner les clés du camion au RN en dépit de la situation catastrophique du pays et alors même que le RN bénéficiait d’une forte dynamique après ses succès successifs aux européennes le 9 juin et au premier tour des législatives le 30.

JORDAN Bardella et Marine Le Pen expliquent que c’est partie remise, qu’ils gagneront la prochaine fois, en 2027, ou même avant en cas de nouvelle dissolution. Le problème, c’est que l’on entend le même discours rayé depuis quarante ans que le FN a émergé. A chaque fois, on nous l’assure, la prochaine élection sera la bonne. Les Français ont enfin compris. Ils ont ouvert les yeux. Ils sont prêts au sursaut national (ou plutôt à ce qu’on nous présente très abusivement comme tel). Et pourtant, à chaque fois, au second tour de toutes les élections générales, qu’elles soient départementales (naguère cantonales), régionales, législatives ou présidentielles, c’est la défaite. Et bien souvent dans les grandes largeurs. Indiscutable et cruelle. Et cela arrive quand bien même les résultats sont excellents voire exceptionnels au premier tour. Qui ne se souvient des plus de 40 % réalisés aux régionales de décembre 2015 par Marine Le Pen dans les Hauts-de-France et par Marion Maréchal en PACA, quelques semaines seulement après les attentats sanglants du Bataclan ? Eh bien, au deuxième tour, l’une et l’autre avaient été sévèrement battues, ne progressant quasiment pas, la première par Xavier Bertrand, la seconde par Christian Estrosi qui avaient bénéficié, l’un comme l’autre, du retrait de la liste de gauche qui avait préféré renoncer à tout élu pendant six ans au conseil régional plutôt que de prendre le risque de permettre la victoire du FN dans une triangulaire. Bref, réaliser plus de 40 % au premier tour ne suffit pas pour atteindre les 50 % au second lorsque se coalisent tous les partis (ou presque) contre un seul et que les électeurs adhèrent dans leurs cerveaux, dans leurs cœurs, dans leurs tripes au principe de ce Front républicain.
Ce qui fut vrai lors des régionales de 2015 le fut également, on s’en souvient, lors des régionales de 2021 en PACA où la gauche se retira encore pour permettre au LR Renaud Muselier, arrivé deuxième au premier tour avec cinq points de retard sur le RN Thierry Mariani, de l’emporter au second avec 57,30 %. Le Front républicain avait là encore parfaitement fonctionné. Tant au niveau des dirigeants politiques que des électeurs. Et cette fois-ci ce fut encore le cas. L’électorat de gauche votant massivement pour les candidats de la majorité présidentielle contre ceux du RN et pareillement les électeurs centristes, et même souvent de droite, préférant, eux aussi, voter pour la gauche, fût-elle radicale, plutôt que pour le RN. Alors même que la gauche était pourtant vent debout contre le bilan de Macron, sa réforme des retraites, sa politique jugée anti-sociale, son arrogance, etc. Mais, on le voit, l’antifascisme est un ciment beaucoup plus puissant et fédérateur que l’opposition entre la droite et la gauche dites de gouvernement.
AVEZ-VOUS REMARQUÉ qu’entre les deux tours d’un scrutin les intentions de vote ne cessent de baisser pour le FN rebaptisé RN ? Ce fut vrai pour la présidentielle de 2017 et à nouveau pour celle de 2022 et ce fut encore le cas pour ces législatives. Et les urnes à chaque fois se sont montrées encore plus cruelles pour le FN-RN que les sondeurs. Ce fut vrai lors des présidentielles de 2002 (entre Chirac et Le Pen), de 2017 et de 2022. L’écart entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen fut les deux fois bien plus large à l’arrivée que dans les intentions de vote mesurées par les instituts de sondage. Autrement dit, plus le temps passe (et pourtant la séquence est courte), plus l’électorat se mobilise massivement contre le FN-RN assimilé au fascisme et vu comme un danger pour les libertés. Vincent Reynouard l’a très bien expliqué et démontré depuis trente ans dans ses études (voir son article en page 11). Sa démonstration est imparable et se trouve vérifiée à chaque fois. Un parti qualifié (même à tort) d’extrême droite ne peut parvenir à dépasser au second tour d’un scrutin général les 50 % des suffrages exprimés et donc ne peut accéder au pouvoir. Du fait de la diabolisation politico-médiatique dont il est l’objet. Et ce, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse.
Marine Le Pen a eu beau dédiaboliser à outrance et normaliser à mort, au point de multiplier les purges de cadres et militants méritants et valeureux, au point de renoncer à des pans entiers du programme historique du Front national, au point d’en tuer l’âme (si bien qu’on devrait appeler son parti le Reniement ou le Renoncement national), rien n’y fait. Au second tour des élections générales, lorsque cela compte vraiment, lorsqu’il s’agit de donner ou non les clés du pouvoir à son parti, les Français, dans leur majorité, à hauteur de 60 % environ, s’y refusent absolument. Ils l’ont fait avant-hier, hier, aujourd’hui encore. Selon toute vraisemblance, ils le feront à nouveau demain. Car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Avec Marine Le Pen et ses sbires, c’est à la fois la défaite et le déshonneur. La déroute électorale et la trahison des principes, des idées et des hommes. Henri Guaino disait, dans une récente et fort intéressante interview au Figaro, que la différence entre les gaullistes et le RN, c’est que les premiers (dont il fait partie) ont été élevés politiquement dans le culte du père (De Gaulle), alors que le FN-RN a fait exactement l’inverse, en accomplissant le meurtre du père (Jean-Marie Le Pen). Et, ajoutait-il en substance, cela ne présage rien de bon pour le RN, pour ses réalisations au gouvernement, si toutefois il y parvenait. En effet, qui a trahi trahira. Qui accepte de se soumettre à la pensée unique ne peut être qu’inique. Le RN aux responsabilités serait en effet, selon toute vraisemblance, un centre mou, et de surcroît d’une incompétence totale. Il n’est que de voir les pitoyables prestations de nombre de ses candidats qui, pour beaucoup, refusent même de mettre leurs photos sur les professions de foi et les affiches.
Du temps du FN canal historique, cela n’était pas le cas. Tout certes n’était pas parfait. Mais la qualité des candidats ainsi que celle des élus (comme celle des 35 députés du RN de 1986 à 1988) était infiniment plus grande qu’aujourd’hui. Et la formation nettement meilleure, bien qu’imparfaite et inachevée. Avec l’Institut de formation générale (IFN) de feu Georges-Paul Wagner, la revue doctrinale Identité, les argumentaires et fiches de la délégation générale, les universités d’étés, notamment du FNJ à Neuvy-sur-Barangeon, où l’on apprenait à parler devant une caméra, à répondre à des questions, à faire un discours, à rédiger un tract et un communiqué de presse, à participer à un débat avec un adversaire et où, chaque matin, à l’aube, lors du lever des couleurs, avec Roger Holeindre, on se mettait au garde-à-vous tandis qu’était progressivement hissé jusqu’au sommet du mât le drapeau tricolore pour lequel tant d’hommes ont sacrifié leur santé, leur vie, leur liberté. C’était autre chose assurément que le trio Rose Marine des Chenu, des Odoul et des Tanguy, tous les trois d’ailleurs largement réélus, qui sont les porte-parole officiels et médiatiques du parti du Reniement national. Le char de la Gay Pride s’est substitué au béret de Popeye. Merci, Marine Le Pen !
POUR SE RASSURER et ne pas perdre ses troupes en chemin, la direction du RN argue du fait que le RN est en voix et en sièges le premier parti de France, qu’il a fait le grand chelem dans 9 départements, gagné en deux ans 54 députés (en fait 37, si on met à part les 17 députés ciottistes qui auront de justesse leur propre groupe parlementaire), que sa progression est continue et que la prochaine fois sera la bonne. Cette analyse ne résiste toutefois pas à l’examen. Entre les deux tours Marine Le Pen et Jordan Bardella affirmaient devant les caméras qu’ils allaient obtenir la majorité absolue à l’Assemblée et que le second irait à Matignon. Or, ils n’ont même pas la majorité relative et arrivent de manière humiliante en troisième position. Depuis 40 ans, au second tour de toutes les élections générales, le FN devenu RN ne propose que la défaite à ses militants, sympathisants et électeurs et promet invariablement que la prochaine élection sera enfin la bonne. Mais un parti ne peut pas offrir que de cuisants et incessants échecs pendant une aussi longue durée à ses sympathisants et militants. Cela décourage les meilleures bonnes volontés. Cela démotive, frustre, écœure, dégoûte, démobilise. Il y a fort à parier que si des élections avaient lieu dimanche prochain ou dans les quelques semaines ou mois qui viennent, le RN connaîtrait un tassement très important, peut-être même une forme d’effondrement, tant la déception est immense et tant l’abstention serait donc massive dans ses rangs.
Les marinistes pensent que, devant les échecs du prochain gouvernement, le RN ramassera la mise. C’est très loin d’être certain. Une personnalité portée par les media et bénéficiant d’importants financements peut très bien séduire des électeurs RN lassés et démotivés par la succession des défaites, comme ce fut le cas de Sarkozy en 2007. C’est en grande partie le cuisant échec du Menhir au second tour de la présidentielle de 2002 qui a permis à Sarkozy de réussir son entreprise de séduction de l’électorat lepéniste. Ce qui a pu fonctionner en 2007 pourrait très bien marcher à nouveau vingt ans plus tard, avec une autre figure de politicien présenté comme neuf. Il ne faut pas sous-estimer en effet le degré de traumatisme, d’écœurement et d’abattement des électeurs et militants du RN depuis dimanche soir. Remotiver et récupérer toutes ces troupes ne sera ni simple, ni rapide, ni automatique. D’autant que Marine Le Pen fera face dès cet automne à un procès à hauts risques concernant le financement des assistants du FN au Parlement européen et où elle risque une très forte amende, la prison (au moins avec sursis) et l’inéligibilité. Cela est de nature à aggraver en interne une ambiance rendue délétère depuis cet échec cuisant du 7 juillet qui restera comme un jour noir pour le RN. La mine de ses dirigeants était déconfite dimanche soir et la soirée électorale a tourné court. Le champagne n’était pas de sortie. Et les condamnations judiciaires, les peines d’inéligibilité, on le sait, sont toujours de nature à exciter les tensions et les antagonismes. La scission entre Le Pen et Mégret a eu largement pour origine l’inéligibilité provisoire du premier qui a poussé le second à sortir du bois. Son heure, pensait-il, était enfin venue.

PLUS FONDAMENTALEMENT, qui peut croire que ce qui est impossible depuis quarante ans (la victoire de la droite nationale), malgré la dégradation constante de la situation du pays, de ses comptes publics, malgré le désordre dans la rue, le poids de l’immigration, l’effondrement des structures traditionnelles qui encadraient la société, le deviendrait tout à coup ? Comme par magie. Il faut une profonde naïveté ou un fort aveuglement pour y croire. Rappelons-nous la célèbre formule de Bossuet : « Il n’est pire dérèglement de l’esprit que de voir les choses, non pas telles qu’elles sont, mais telles qu’on voudrait qu’elles soient ». Oh certes le Rassemblement national, surtout vu ce qu’il est devenu aujourd’hui, un parti philomaçon, ultra-sioniste, judéoservile, homosexualiste, LGBtiste, laïciste, n’est en rien une solution pour redresser notre patrie. Il est un leurre. Mais que les Français aient peur (car c’est bien de peur qu’il s’agit, la crainte n’est-elle pas d’ailleurs le moteur de l’histoire et de la plupart des comportements humains ?) d’un parti pourtant aussi mou, flasque et inconsistant que le RN mariniste, simplement parce qu’il est qualifié d’extrême droite, au point de se mobiliser massivement dans les urnes pour lui faire échec, malgré l’été et les vacances, la chaleur et le ciel bleu, le soleil et la mer, les prairies verdoyantes et la nature en fleurs, en dit long, très long, sur l’état d’esprit de beaucoup de nos compatriotes. On ne sauve pas un peuple contre lui-même. Ou alors il faut des élites décidées, audacieuses et vertueuses, ce qui est impensable dans un cadre démocratique et dans une société aussi dégénérée que la nôtre. Des chefs ne se décrètent pas, ils se sécrètent. Or, nous vivons aujourd’hui l’époque du désert et du chaos. Tant qu’une majorité absolue de Français n’auront pas le sentiment qu’ils n’ont plus rien à perdre, tant que les supermarchés resteront pleins, que les salaires et pensions, fussent-ils modestes, seront versés, que les stations d’essence seront ouvertes, que l’eau potable, le gaz et l’électricité seront assurés, le Front républicain gardera toute son efficacité.

LA VICTOIRE, certes très relative et en trompe-l’œil, de la gauche est évidemment une catastrophe pour le pays. On peut s’attendre à un immigrationnisme forcené, à un LGBTisme délirant, à une fiscalité confiscatoire, à une répression accrue contre « l’extrême droite », toutes tendances confondues, et à une révolution sociétale encore plus radicale. François Hollande, à peine réélu en Corrèze, a ainsi appelé à voter sans tarder le projet de loi ouvrant la voie à l’euthanasie. Cela donne une idée de ce qui nous attend. Le pire est à venir. Et ce, quelles que soient par ailleurs les combinaisons concoctées par les politiciens et par le président de la République, qui sort bien moins affaibli de ce scrutin que ce que la plupart des commentateurs et analystes envisageaient, son parti faisant beaucoup mieux que sauver les meubles. Au premier tour, il avait déjà fait six points de plus qu’aux européennes. Il se tasse certes un peu, ce qui est logique après sept ans de pouvoir, mais il ne s’effondre nullement. Là aussi, cela en dit long.
Au reste, il n’est pas sûr que la configuration actuelle du paysage politique déplaise tant au chef de l’Etat. Après tout, n’a-t-il pas toujours appelé à dépasser la droite et la gauche, à faire travailler ensemble des forces jusque-là opposées ? Après un macronisme strict, pourrait voir le jour un macronisme au carré avec une coalition, soit de gouvernement, soit se formant, se faisant et se défaisant, à l’Assemblée, projet par projet, pouvant aller des communistes de Fabien Roussel jusqu’aux Républicains de Xavier Bertrand. Macron est au fond un transformiste qui aime surprendre, se grimer, se déguiser, aller où on ne l’attend pas, et il sera certainement à son aise dans la gestion de cette situation où son « en même temps » pourra prendre tout son sens, revêtir une portée encore plus étendue que ce qu’on avait vu jusque-là. Parallèlement, le pays va continuer à s’effondrer dans tous les domaines. Mais l’essentiel est sauf, le peuple peut à nouveau respirer  : « l’extrême droite » a été terrassée !  […]

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

Macron et Mélenchon promoteurs du Front arc-en-ciel

Emmanuel Macron a gagné. A plate couture. Sur toute la ligne. Il a battu haut la main et les doigts dans le nez le peuple de France, avec ses alliés de la grande coalition, la GROKO, comme on dit en allemand, avec les Grokons. Le 9 juin au soir, c’était la catastrophe pour l’anti-France, habituée depuis tant de temps à tenir le haut du pavé. Les partis de gouvernement, comme ils disent, étaient à dache. Le PS, malgré Glucksmann, au-dessous des sondages, à moins de 14 % (13,83 %), L’ensemble des centriste macronistes à peine plus haut, 14,60 %, les républicains à 7,25 %. Si on y ajoutait les écolos, en capilotade avec un peu plus de 5 % (5,50 %), au coude à coude avec Marion Maréchal (5,47 %) et le PC laminé (2,36 %), on arrivait à un total de 30 %, toutes gauches confondues. Avec une « extrême droite » à plus de 36 %. La France, par la magie d’un scrutin de surprise, était devenue ingouvernable pour les princes qui nous gouvernent. Alors, quelques minutes après les premières estimations, le président de la République annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives anticipées le 30 juin et le 7 juillet. Que n’a-t-on entendu alors chez les bien-pensants et les confortables ? Il jouait la France au poker. A la roulette. A la roulette russe. A la roulette belge. Faisait le jeu du RN. Mettait le pays en danger.
Une grande première raison expliquait ce brouhaha d’inquiétude et d’indignation : beaucoup avaient peur de perdre leur siège, et ceux qui n’étaient pas députés celle de perdre le morceau de pouvoir que constitue un parti puissant et gras. Et il y avait pire : le système dans son entier craignait de perdre le pouvoir au profit du Rassemblement national. Nous savons, nous, tout ce à quoi celui-ci a renoncé. Nous connaissons ses contradictions, ses faiblesses, les grandes causes qu’il a laissé tomber. Mais en politique n’existe que ce qui paraît exister. Et c’est l’image composée par le système de « l’extrême droite » qui a été l’objet de la stratégie de Macron, l’enjeu des élections législatives et la raison de la victoire de Macron et des siens — parmi lesquels il faut évidemment ranger Mélenchon, et tous les autres jusqu’à Laurent Wauquiez inclusivement. Du RN, en effet, le système a donné une représentation qui explique à la fois sa percée et son échec, et qui lui donne une place à part dans l’esprit des Français. Il en a fait d’une part le pôle de répulsion absolue de la République, et de l’autre la voie de la rupture absolue avec cette République, de sorte que les gens qui ont voté pour lui l’ont fait pour la détruire, détruire cette machine à ne pas écouter la voix du peuple, ce monstre d’iniquité, d’incompétence, d’indécence et d’imposture. Quoi que vaillent en vrai Reconquête de Zemmour et le RN de Marine Le Pen, c’est-à-dire pas grand-chose, le peuple français avait voté Zorro le 9 juin, voté pour sa délivrance, et la question, pour Macron et tous les autres, était : comment faire pour que ce cri du peuple n’ait aucune incidence sur la vie politique ?

A cette question, le gros des troupes du système pensait répondre par un grand silence hébété, dans un clapotis d’intérêts malmenés et d’espoir que le bon temps dure encore un peu, chacun accroché à ses petites prébendes dans un soulagement relatif que ça n’aille pas plus loin. Le sergent Garcia Larcher était la tête digérante de cette inaction. Seul Macron eut le courage et l’invention de faire quelque chose, promptement, contre l’avis de tout son camp. Il avait médité son coup depuis longtemps, les confidences affluent pour le confirmer. En pratiquant des échecs et non du poker. Il jouait gagnant quel que soit le résultat des législatives. Soit, continuant sur sa lancée, la coalition « d’extrême droite » l’emportait, et il lui refilait toutes les patates chaudes du moment (agriculture, fracture sociale, éducation nationale, armées, insécurité, immigration), pour dégager sa propre responsabilité. En tablant qu’elle s’y casserait les dents, presque sans risque : car, d’une part, la situation financière est catastrophique (endettement record, note de la France mauvaise), de l’autre, les traités qui nous lient à l’Europe et au Monde, traités commerciaux, militaires, institutionnels, rendaient la marge de manœuvre d’un gouvernement national-populiste très petite.
Soit, plus probable, le « réflexe républicain » jouerait, dans une sorte de troisième tour de la présidentielle de 2002, ou un second de 2017 et 2022. La République et son président ont acquis avec l’habitude une compétence extraordinaire pour organiser en quelques jours une fantasmagorie antifasciste, quelque chose comme la fête des lumières et la Fantasia de Walt Disney conjuguées. Médias, ONG, associations de quartier, intermittents du spectacle, associations de pensée, syndicats, enseignants, juges, footballeurs, rappeurs, pas besoin de chef d’orchestre, tout le monde connaît sa partition par cœur sur le bout des doigts. Cette année, ça a un peu branlé dans le manche au début. Parce qu’Eric Ciotti a brisé le grand tabou posé par François Mitterrand et Jacques Chirac dès 1984 : pas d’alliance entre la droite et l’extrême droite. L’affaire du détail trois ans plus tard, habilement montée et exploitée, avait donné en 1987 un semblant de justification rétrospective à ce grand interdit lancé trois ans plus tôt à l’instigation de Bernard-Henri Lévy, inventeur du « cordon sanitaire ». Le pâle Eric Ciotti, mû, dit-on, par le dépit de n’avoir pas été considéré par Macron et par l’ambition de damer le pion à son éternel concurrent niçois Estrosi, transgressa la grande interdiction : président des Républicains, il passa alliance avec le RN. C’était historique, et c’était le grand péché contre l’esprit de la maçonnerie. Certes, les républicains sont un parti croupion, mais c’était tout de même un acte impensable une semaine auparavant : et tout naturellement les Républicains, soudain courageux, préférèrent se suicider plutôt que de suivre leur président. Il y eut un petit imbroglio juridico-politique d’où ils sortirent plus ridicules que jamais et dont ils ne se seraient jamais relevé si l’opération lancée par Macron n’avait été au bout du compte un succès. Car elle a été un plein succès, et l’instrument de ce plein succès aura été le Nouveau Front Populaire (NFP).

Le NFP aura été monté en une soirée et lancé le 10 juin par des gens que le peuple venait de rejeter et qui ne s’entendent ni sur les objectifs, ni sur les méthodes politiques. La composante dirigeante de cet ensemble hétéroclite est la France insoumise. Macron, et dans une moindre mesure le parti socialiste, lui-même composante de cette alliance de bric et de broc, avaient dit pis que pendre, pendant des semaines de campagne, de cette France insoumise et de son chef, Jean-Luc Mélenchon. On l’accusa même, lui et quelques-uns de ses proches, d’antisémitisme. Aussi le président, et beaucoup avec lui, demeurèrent-ils jusqu’au soir du premier tour sur la stratégie du « ni ni », ni RN ni LFI. On devait cette nouveauté au 7 octobre, qui s’invitait dans la politique française. Contrairement aux « juifs de gauche », engagés à fond dans une lutte à mort ad vitam aeternam avec « l’extrême droite », les « juifs de droite », Elisabeth Lévy, Gilles-William Goldnadel, Serge Klarsfeld, Richard Prasquier, pour ne citer qu’eux, osaient montrer du doigt la principale menace qui, selon eux, pèse sur leur communauté, un certain communautarisme issu de l’immigration. […]

HANNIBAL.