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Rivarol n°3624 du 24/7/2024 (Papier)

Editorial

Les élections ne servent à rien  !

SI L’ON VOULAIT apporter la preuve irréfutable qu’il ne sert à rien d’urner, il suffirait de regarder le spectacle politique actuel : Ursula von der Leyen a été reconduite, à une large majorité, par les parlementaires européens à la tête de la Commission de Bruxelles alors même qu’on nous disait que les mouvements de droite dite populiste, patriotique ou souverainiste avaient fortement progressé électoralement lors des européennes le mois dernier. Or, rien ne change. On prend les mêmes et on recommence. C’est encore plus fort en France où le Premier ministre Gabriel Attal, fût-il démissionnaire, reste en fonction, et tous les ministres avec lui, et où surtout a été réélue à la présidence de l’Assemblée nationale la macroniste et communautaire Yaël Braun-Pivet, une Likoudnik haineuse et fanatique (ce qui est une tautologie) au point d’avoir durement sanctionné un député ayant brandi dans l’hémicycle le drapeau palestinien comme s’il avait montré le diable. Alors même que la Macronie a perdu près d’une centaine de députés et qu’elle n’est arrivée qu’en deuxième position — et encore ne doit-elle ce résultat moins calamiteux que prévu qu’aux nombreux retraits et désistements de la gauche en sa faveur pendant l’entre-deux-tours des législatives —, Braun-Pivet, qui faisait partie d’un bloc minoritaire qui venait d’être battu aux élections, tant aux européennes qu’aux législatives, n’a même pas eu la décence de ne pas briguer à nouveau le perchoir. Et pour l’emporter elle a bénéficié des voix des élus de la Droite républicaine (tel est le nom du nouveau groupe LR) de Laurent Wauquiez qui ont accepté de voter pour elle comme un seul homme au troisième et dernier tour de scrutin en échange de postes de vice-présidents et de questeurs au bureau de l’Assemblée nationale. Ce qui, soit dit en passant, en dit long sur la fourberie et la duplicité de Wauquiez qu’on présente comme un vrai homme de droite, aux convictions solides, alors qu’il n’est lui aussi qu’un politicien méprisable prêt à toutes les compromissions, toutes les combinaisons, toutes les trahisons. Rappelons en effet que Braun-Pivet est fondamentalement une femme de gauche, naguère adhérente du Parti socialiste à Tokyo et qui a rejoint le mouvement En marche de Macron dès sa création en 2016. Elle n’a jamais appartenu à une formation de droite, ni même centriste. Qu’à cela ne tienne ! Son parcours et son profil n’ont manifestement pas empêché les députés LR et divers droite de voter massivement pour elle. Ce qui pourrait laisser à penser que se prépare une coalition gouvernementale entre les LR et les macronistes qui, tous ensemble, représentent 220 députés. Ce n’est certes pas la majorité absolue fixée à 289, mais c’est une majorité relative un peu plus forte que celle du Nouveau Front populaire qui est d’environ 200 députés. Ou si ce n’est pas une coalition, cela pourrait être de la part des LR un soutien sans participation, conformément au « pacte législatif » dont a parlé Laurent Wauquiez, le nouveau président du groupe de la Droite républicaine.
On notera également que la détestable Yaël Braun-Pivet n’a battu le communiste André Chassaigne, candidat du Nouveau Front populaire pour le perchoir, que de 13 voix (220 contre 207). C’est donc le suffrage des ministres démissionnaires, également députés, au nombre de 17, qui ont fait pencher la balance du côté de la sectatrice du sinistre Netanyahu. Ce qui pose un problème de fond car un ministre en principe ne peut pas prendre part au vote du Parlement en vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs entre le législatif (le Parlement) et l’exécutif (le gouvernement). Mais il existe, semble-t-il, une exception pour les ministres démissionnaires, même si ce point fait débat chez les juristes et autres constitutionnalistes. La gauche étudie d’ailleurs la possibilité de déposer un recours contre l’élection de Yaël Braun-Pivet compte tenu du vote des 17 ministres. Il est vrai que Macron a accepté la démission du gouvernement moins de 48 heures avant le début de la nouvelle législature et l’ouverture de la séance inaugurale du Palais-Bourbon dans l’unique but que ses ministres nouvellement démissionnaires puissent voter à l’Assemblée. Cela est très choquant d’autant plus qu’on laisse entendre que ce gouvernement officiellement démissionnaire pourrait durer encore deux ou trois mois, qu’il ne se contenterait pas d’expédier les affaires courantes puisqu’il serait chargé de préparer la loi de finances à l’automne qui doit être présentée au Parlement au plus tard le 1er octobre et nécessairement examinée par le Conseil d’Etat au moins quinze jours auparavant. Or un budget est nécessairement politique. Il exige des choix, des arbitrages. Il fixe des priorités, de grandes orientations et ne peut donc être neutre. Que ce soit le gouvernement Attal qui soit chargé de cela, comme si de rien n’était, alors qu’il a été battu aux élections, est hallucinant, ahurissant et en dit long sur le mépris des dirigeants du pays pour le vote populaire, pour les citoyens. On n’a peut-être d’ailleurs jamais atteint un tel cynisme, sauf lorsque l’on a fait fi du rejet par référendum de la Constitution européenne en 2005 et que Sarkozy a imposé en 2008 par voie parlementaire la ratification du traité de Lisbonne qui était un copié-collé de ladite Constitution.

ON FAIT ÉGALEMENT FI du vote des électeurs lorsque l’on s’arrange pour que le Rassemblement national et ses alliés ciottistes, malgré leurs 143 élus et leurs millions de voix, n’ait aucun représentant au bureau de l’Assemblée : aucun secrétariat, aucune vice-présidence, aucune questure. Le cordon sanitaire, si efficace au second tour des législatives dans les urnes, l’a été encore davantage à l’Assemblée nationale. Comme quoi Marine Le Pen et Jordan Bardella ont beau multiplier les reptations, les concessions et les reniements, au point que la première accuse désormais la France d’être responsable en tant que telle de la rafle du Vél d’Hiv (voir la chronique de Robert Spieler en page 3), passant ainsi sous les fourches caudines du CRIF —, ils ont beau purger leurs propres troupes, rien n’y fait !  Le RN a ainsi exclu un député de ses rangs, Daniel Grenon, élu dans la première circonscription de l’Yonne, coupable d’avoir critiqué la binationalité dont le parti, jusqu’à une époque très récente, demandait pourtant la suppression, et d’écarter d’autres « brebis galeuses », selon les mots méprisants de Bardella — quelle différence avec la gauche qui, elle, soutient publiquement et sans ciller ses candidats, y compris les plus radicaux et les plus sulfureux comme l’antifa et fiché S Raphaël Arnault de la Jeune Garde, élu député de la première circonscription du Vaucluse ! —.
Le RN a également exclu de son groupe régional dans le Grand Est le sympathique et débonnaire alsacien Laurent Gnaedig, candidat dans la première circonscription du Haut-Rhin, coupable d’avoir dit son “respect” pour Jean-Marie Le Pen dont il considère qu’il n’est pas antisémite et que sa saillie sur le détail ne l’était pas non plus. Cela a suffi pour qu’il soit traité de « brebis galeuse » par Bardella qui l’a accusé de tenir « des propos dégueulasses » (sic !) en pleine campagne de l’entre-deux-tours, alors que Bardella lui-même avait dit substantiellement la même chose en novembre dernier (« Jean-Marie Le Pen n’est pas antisémite ») avant de rétropédaler piteusement  24 heures plus tard (« Jean-Marie Le Pen s’est évidemment enfermé dans l’antisémitisme »), après avoir été rattrapé par la patrouille de la bien-pensance politico-médiatique. Comment croire que ces chefs qui cèdent à la moindre critique de l’adversaire, à chaque délation de Libé, du Monde, du Nouvel Obs ou de Mediapart, pourraient résister, une fois aux responsabilités gouvernementales, aux pressions infiniment plus fortes encore qui s’exerceraient sur eux ? Poser la question, c’est y répondre.

D’AUTANT QUE le Système politique actuel repose sur une entière comédie, n’est en réalité qu’une grande mascarade et une vaste pantalonnade. En effet, d’un côté, la Macronie diabolise le RN au moment des élections et désormais aussi pour les postes au bureau de l’Assemblée (contrairement à juin 2022 où le RN a alors bénéficié de plusieurs vice-présidences) et de l’autre Thierry Solère, proche conseiller de Macron, organise nuitamment des dîners dans son luxueux appartement parisien, dans le IXème arrondissement, près de Pigalle (tout un symbole quand on sait que les politiciens de toutes tendances sont d’abord et avant tout des prostitués), entre des ministres ou anciens ministres macronistes et les dirigeants du Rassemblement national. C’est ainsi qu’on a appris que Marine Le Pen avait récemment dîné chez Thierry Solère avec l’ancien Premier ministre et probable futur candidat à la présidentielle, Edouard Philippe qui, interrogé sur le sujet sur TF1, a confirmé ce dîner qu’il a même qualifié, un peu gêné, de « très cordial ». Mieux (ou plutôt pis), quelques jours seulement après la dissolution décidée par Macron, le ministre macroniste de la Défense, Sébastien Lecornu, dînait cordialement et chaleureusement chez le même Thierry Solère avec Jordan Bardella en personne ! Dans le même ordre d’idées, le journaliste Daniel Schneidermann a récemment évoqué dans un billet les excellentes relations entretenues entre Sébastien Chenu, alors vice-président RN de l’Assemblée nationale, et Gabriel Attal, laissant sous-entendre que le fait de partager la même « orientation sexuelle » était de nature à les rapprocher. Il est évident que toute cette clique fréquente peu ou prou les mêmes saunas gays, les mêmes boîtes de nuit échangistes, les mêmes backrooms et autres lieux de débauche parisiens et que cela crée des liens et peut même être à l’origine de secrets et orgies partagés. Si le grand public savait tout des mœurs et turpitudes des politiciens (ou politichiens), tous partis confondus, il serait écœuré au dernier degré et se garderait bien d’urner, d’urner encore, d’urner toujours.
Car finalement le plus désolant dans ces élections, si on regarde les choses d’un peu plus haut, c’est moins le résultat que la participation, extrêmement élevée, ce dont se sont chaudement félicités tous les politiciens, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, de Macron à Attal. Que 70 % des électeurs croient encore au système électoral, pensent que leur vote peut changer les choses, être utile, au point d’en discuter longuement, passionnément, fiévreusement, sur les terrasses de café, dans les brasseries et transports en commun, dans les repas en famille ou avec les amis, au point parfois de faire la queue au bureau de vote de longues dizaines de minutes, malgré le temps radieux et ensoleillé qui inviterait à faire autre chose de sa journée de bien plus utile et intéressant, au point de prendre sa voiture, de passer du temps à trouver une place pour se garer, afin de déposer consciencieusement un petit bulletin dans une urne en verre, a quelque chose de désolant, de pathétique, de consternant. C’est à pleurer. Les électeurs disent sans cesse qu’ils sont déçus, trahis, cocus, qu’ils sont les dindons de la farce. Mais qu’importe, ils continuent invariablement à urner. Au moins les animaux qui vont à l’abattoir n’applaudissent pas le boucher, ne votent pas pour lui, ne lui font pas confiance, ne s’enthousiasment pas, n’agitent pas de petits drapeaux, ne battent pas des mains pour exalter leur bourreau. Ils sont finalement plus raisonnables que les électeurs. Car malheureusement la démangeaison du vote recommencera la prochaine fois, et la fois d’après. Et ainsi de suite. En 2027, en 2032, etc. Et pendant ce temps la France continuera à tomber. Mais, nous promettra-t-on, comme toujours, la prochaine élection sera enfin la bonne. Le pire, ce n’est pas tant qu’on nous le dise. Le pire, c’est qu’il est encore des gens, et ô combien nombreux, pour y croire. Et pour le faire accroire.
  […]

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

L’Histoire et la Culture au service de la préférence communiste

Tout le monde chantait sa louange. Un élu irréprochable, ouvert à tous, bon avec les animaux, aimable avec les enfants, secourable avec nos aînés, vêtu de ce lin blanc et de cette probité communs aux rouges candidats de l’espérance communiste : André Chassaigne, ancien principal de collège, élu de la cinquième circonscription du Puy-de-Dôme, candidat unique de cette chose unique qu’est le Nouveau Front populaire (NFP), devait être élu président de l’Assemblée nationale, le Droit, la Justice et l’humanité, sans majuscule, l’exigeaient. Et puis l’on a reconduit Mme Yaël qui réside au Vésinet après avoir été trésorière de la section PS de Tokyo au début des années 2000, comme on a réélu à Bruxelles Mme Ursula, et le monde a repris son traintrain dans les cris d’écorché vif de toute la gauche. Élection volée ! Déni de démocratie ! Alliance contre-nature ! Victoire des combines ! On a vu Mélenchon plus chiffonné que jamais, la Ceinture rouge chauffée à blanc, Olivier Faure lui-même privé pour une minute de son habituelle pâleur de militant modèle. L’air a semblé un moment leur manquer, mais eux ne manquent pas d’air. Nous prennent-ils pour des imbéciles ou le sont-ils eux-mêmes ? Oublient-ils qu’ils doivent leurs sièges à la magouille des désistements antifascistes ? Ou espèrent-ils que nous l’ayons oublié, les Français ont la mémoire si courte ? Ce qui est certain, c’est que le NFP veut bien qu’on s’assoie sur la démocratie, à condition que cela lui profite, comme le 7 juillet, mais pas à Macron et sa Braun-Pivet, comme le 18. Tout cela n’est qu’un détail cependant. Ce qui me souffle, c’est que tout le monde se soit incliné avec un respect sincère devant Chassaigne, trouvant naturel qu’un communiste, dont le parti recueille deux pour cent des voix et qui n’a que neuf députés, puisse être sérieusement candidat au perchoir.
Il est vrai que les légions immatérielles des forces morales, à défaut du vote populaire, le soutiennent. Ce n’est pas pour rien qu’il avait fait l’unanimité au NFP. Boris Vallaud, patron du groupe socialiste à l’Assemblée, ces sociaux-démocrates sans tache qu’illustre un Hollande, manifestait son enthousiasme à la presse en saluant « un grand parlementaire et un grand démocrate, […] un grand républicain communiste, héritier d’une riche histoire, celle du Conseil national de la Résistance ». Tout est dit en quelques mots : c’est l’histoire et son grand vent qui recommandaient le candidat communiste aux suffrages de ses collègues et à notre respect. Est déclaré bon et fréquentable quiconque combat, a combattu ou combattra le fascisme. Là-dessus, centre, droite et gauche s’accordent. Jacques Chirac donna pour cette raison le statut d’ancien combattant aux membres des Brigades internationales en Espagne, Emmanuel Macron nous l’a solennellement rappelé en installant le couple Manouchian au Panthéon.
L’immigré Missak Manouchian vit ses demandes de naturalisation refusées par la Troisième République, Front populaire compris, parce qu’il était cadre de l’Internationale communiste. Il vécut le début de la guerre et de l’occupation fidèle aux consignes de collaboration du parti. En juin 1941 tout change avec l’opération Barbarossa contre l’URSS, quand le PCF entre en résistance sur l’ordre de Staline. Il est intégré à la MOI, main d’œuvre immigrée, et rejoint en février 1943 les FTP, francs-tireurs partisans. Il assassinera une trentaine d’Allemands en quatre mois avant d’être dénoncé par ses amis communistes, selon sa femme. Voilà l’homme à qui Emmanuel Macron, au Panthéon, a consacré un long panégyrique, parlant d’un “poète” devenu « soldat de l’ombre ». En voici deux extraits : « Missak Manouchian embrasse l’idéal communiste, convaincu que jamais en France, on n’a pu impunément séparer République et Révolution. […] Il rêve d’émancipation universelle pour les damnés de la terre. Et c’est ainsi que Missak Manouchian s’engage contre le fascisme au sein de l’Internationale communiste. […] Lui qui aime aimer se résout à tuer, comme ce jour de mars 1943 où il lance une grenade dans les rangs d’un détachement allemand. ». Puis cette péroraison : « Missak Manouchian, vous entrez ici toujours ivre de vos rêves, l’Arménie délivrée du chagrin, l’Europe fraternelle, l’idéal communiste, la justice, la dignité, l’humanité. Rêve français, rêve universel ». Dans son exaltation, le chef de l’État aura même parlé des « communistes qui ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine ».


La pompe de ces lieux communs de la déraison mérite qu’on s’y arrête un instant. Ils ont été prononcés par un président réputé centriste, par ailleurs ancien associé chez Rothschild, et fruit choyé de la bourgeoisie dite méritante. En 2023. Cent six ans après la révolution d’Octobre, cent quatre après le Biennio Rosso, la république bavaroise des Soviets de Kurt Eisner et la dictature de Béla Kun et Lukacs à Budapest, en oubliant les guerres de Trotski et de Lénine, les massacres de Staline, l’Holodomor, Katyn, la grande tuerie “patriotique”, les Goulag, Hô Chi Minh, Pol Pot, Mao, la révolution culturelle, le laogai. Après les œuvres de Soljenitsyne et tous les autres, après le Livre noir du communisme. Il n’a donc rien appris ni compris ? Si, et c’est bien pire. En même temps que le néo-marxisme gagne les universités, la sacralisation du communisme s’impose définitivement grâce à l’État. C’est là qu’éclate la grande imposture du mot woke : la manipulation de l’histoire ne vient pas des criailleries de ghettos noirs malheureux plus ou moins mises en scène par des gauchistes, c’est une révolution menée ouvertement depuis soixante-dix ans par les élites au pouvoir. Et rien ne la freine, ni la chute du mur de Berlin, ni l’état où Castro et le Che ont mis Cuba.
Les communistes font partie des gentils ad vitam aeternam, Pif le chien nous le dit, et Placid et Muzo, et Hercule, et Rahan, le fils des âges farouches, ceux qui marchent debout, l’œil qui voit loin. Quand ils ont perdu l’art de bourrer les urnes et qu’ils sont passés au-dessous du seuil nécessaire pour former un groupe, Michel Rocard Premier ministre, a abaissé ce seuil de 30 à 20 députés en juillet 1988, on se rend de petits services entre porteurs de valises. Ce seuil est tombé à quinze en 2008, mais ils en sont loin et vivent désormais grâce à l’appoint d’idiots utiles et d’élus ultra-marins au sein du groupe de la gauche démocrate et républicaine.
Ces démocrates républicains font plus que jamais la morale. Je feuillette en ce moment l’Humanité. C’est instructif. J’avais oublié. On est transporté des lustres en arrière. Dans le monde d’avant. Un monde strictement borné et manipulé, où le mensonge est une méthode. Sans la moindre pudeur, la plus petite hésitation. J’apprécie surtout les pages Culture et savoirs. On y éprouve d’étranges sensations — très fortes, étouffantes, presque. On est tiraillé entre l’éclat de rire et la nausée, on se sent finalement humilié de lire, comme si l’on était tabassé à coups de bâton, écrasé sous le poids d’une bêtise pesante, d’une ignorance crasse, d’une grosse mauvaise foi impavide. Comme devant un minotaure qui justifierait sa haine et son appétit en récitant de vieilles leçons fausses.
Culture au singulier et savoirs avec un s. Majesté unique de l’esprit et pluralité des disciplines censées intimider le populo. Les arrière-petits-fils de Gramsci et Jack Lang font toujours la révolution avec la même morgue et la même violence. Je citais Georg Lukacs tout à l’heure, ce philosophe juif marxiste germanophone qui fut aux côtés de Béla Kun, l’un des plus sectaires et sanglants commissaires de la sinistre République des Conseils en Hongrie (on ne doit pas dire hongroise car elle était exogène). Commissaire à l’éducation et à la culture, il décréta la « terreur culturelle », s’attaquant aux enfants par des cours d’éducation sexuelle (déjà : les méthodes ne changent pas), mais sachant très bien à l’occasion faire fusiller des opposants. Les choses ont changé aujourd’hui. Le cultureux moyen, en France, ne fusille plus le peuple, il n’en a pas le cran, il l’écarte seulement de son champ de vision par sa haine condescendante. […]

HANNIBAL.