Rivarol n°3634 du 30/10/2024 (Papier)
Editorial
Selon que vous serez Kiev ou Gaza…
VOUS PENSIEZ peut-être que les pays occidentaux commençaient à en avoir assez de distribuer des milliards de dollars à Kiev dans une guerre russo-ukrainienne qui n’en finit pas, eh bien vous vous trompiez. Alors que la France et l’Europe connaissent des difficultés économiques et financières très importantes, qu’elles sont lourdement endettées, que les peuples du Vieux Contient s’appauvrissent et sont matraqués fiscalement, tout spécialement dans notre pays, le G7 a annoncé dans une déclaration finale à Washington (tout un symbole !), le vendredi 25 octobre, que 50 milliards de dollars supplémentaires seraient prêtés à l’Ukraine de Zelensky. En marge des réunions annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, les ministres des Finances du G7, dont le nouveau ministre français, Antoine Armand, se sont mis d’accord pour prêter (et en réalité donner) cinquante nouveaux milliards de dollars à Kiev, ce qui est une pure folie. Alors que les intérêts vitaux de notre pays ne sont nullement en jeu dans ce conflit, quel besoin a-t-on de s’engager à ce point auprès de l’un des deux belligérants ?
Et pourtant, quels que soient les gouvernements qui se succèdent, c’est toujours le même discours qui est tenu et les mêmes décisions qui sont prises. Antoine Armand, qui a rencontré au sommet du G7, son homologue ukrainien, Sergei Marchenko, avait ainsi déclaré au quotidien Les Echos du 24 octobre être « pleinement engagé pour parvenir à un accord sur la mise en œuvre concrète de l’accord du sommet des Pouilles pour une aide supplémentaire à l’Ukraine à hauteur de 50 milliards de dollars, grâce à l’utilisation des revenus d’aubaine issus des avoirs russes immobilisés en Europe. » En juin dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement du G7 s’étaient, en effet, accordés sur les principes de ce prêt appuyé sur les intérêts générés par quelque 300 milliards d’euros d’avoirs russes arbitrairement gelés par l’Union européenne après le début de la guerre russo-ukrainienne en février 2022. « Ces avoirs immobilisés en Belgique, au sein de l’organisme international de compensation Euroclear, ont été placés à court terme auprès des banques centrales et génèrent un revenu d’aubaine » déclare-t-on à Bercy selon le quotidien économique qui explique que les revenus générés s’élèveraient à trois milliards d’euros chaque année. Ce sont donc ces revenus qui serviraient à garantir les prêts d’un montant de 50 milliards d’euros.
BRUXELLES a proposé que le renouvellement des sanctions portant sur le gel des avoirs de la Banque centrale russe se fasse désormais tous les trois ans pour éviter une possible rupture de financement de l’aide à Kiev. C’est dire à quel point l’Union européenne entend sanctionner dans la durée Moscou et financer à long terme l’effort de guerre ukrainien, quel qu’en soit manifestement le coût. Sans surprise les Etats-Unis sont sur la même ligne et sont même comme d’habitude en pointe quand il s’agit d’affaiblir et de diviser le Vieux Continent. La secrétaire américaine au Trésor, l’ashkénaze Janet Yellen, a assuré que la participation américaine au prêt à l’Ukraine serait de 20 milliards de dollars. Reste à savoir si les Etats-Unis poursuivront la même politique d’aide financière et militaire à Kiev si Donald Trump est élu. Car si ce dernier est un ultra-sioniste, il déteste l’Union européenne et n’a pas de sympathie particulière pour l’Ukraine de Zelensky. Le Royaume-Uni a, quant à lui, annoncé qu’il mobiliserait 2,26 milliards de livres (soit 2,71 milliards d’euros) pour « les besoins militaires, budgétaires et de reconstruction » de l’Ukraine.
Cette politique folle d’une dangereuse prodigalité pour une cause où nous n’avons objectivement rien à gagner mais tout à perdre, est hélas suivie par quasiment tous les gouvernements et parlements occidentaux qui se comportent comme des marionnettes ou des automates du mondialisme otanesque. Ainsi les députés de la commission du Parlement européen ont approuvé le 21 octobre à une très large majorité (31 voix pour, 4 contre) la proposition de prêter jusqu’à 35 milliards d’euros à l’Ukraine. Le lendemain, le Parlement européen votait dans le même sens (518 voix pour, 56 contre et 61 abstentions). Quant au conseil de l’Union européenne, l’instance représentant les Etats membres, il avait donné son feu vert à cette aide dès le 9 octobre. Dix jours plus tard, c’est le FMI qui débloquait 1,1 milliard d’euros à destination de l’Ukraine, portant à 8,7 milliards de dollars les fonds déjà versés dans le cadre de son programme de soutien à Kiev. « La Russie doit mettre fin à sa guerre d’agression illégale et payer pour les dommages qu’elle a causés à l’Ukraine, conformément au droit international », a indiqué martialement le G7 dans son communiqué le 25 octobre au soir à la clôture de ses travaux. Il est regrettable que les pays du G7 ne se soucient pas davantage du droit international quand il s’agit de la Palestine martyrisée. Le G7 dit que la Russie doit payer (dans tous les sens du terme) pour les dommages causés à l’Ukraine mais l’entité sioniste, elle, ne doit pas rendre gorge pour les crimes et dommages autrement plus graves et épouvantables commis à Gaza. Peut-on aller plus loin dans le deux poids deux mesures ?
PAR AILLEURS, qui peut nier que la politique de sanctions agressives contre la Russie et de soutien de plus en plus appuyé à Kiev, tant sur le plan financier que militaire, a pour conséquence directe un renchérissement du prix du gaz, du pétrole et de l’électricité ? Alors que l’Allemagne et l’Italie par exemple bénéficiaient de l’approvisionnement du pétrole et du gaz russes à des prix relativement bon marché, la soudaine et brutale politique anti-russe a été objectivement catastrophique pour ces deux pays. Mais la France elle-même pâtit de son alignement sur Bruxelles et Washington. Il est dramatique que depuis longtemps nous n’ayons plus des gouvernements et des chefs d’Etat capables de défendre les intérêts fondamentaux de notre pays, de faire entendre une voix claire et juste dans les relations internationales. C’est vrai dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui apparaît de plus en plus comme une guerre entre Moscou et l’Otan, mais c’est également vrai dans les conflits sanglants au Proche-Orient.
Alors que la France était traditionnellement l’amie du Liban, un Etat historiquement chrétien, francophone et francophile, elle est incapable de défendre avec autorité la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays du Cèdre. Pas plus qu’elle ne dénonce avec force le génocide du peuple palestinien orchestré par l’entité sioniste. Pas plus qu’elle ne stigmatise avec fermeté le bombardement de l’Iran par Tsahal qui a multiplié ces derniers mois les provocations contre Téhéran en bombardant notamment le 1er avril 2024, au mépris du droit international, son consulat à Damas tuant au moins seize personnes dont sept officiers et un membre du Corps des gardiens de la révolution, puis en assassinant froidement d’autres hauts gradés iraniens en toute impunité. Certes Macron a accusé, mais bien tardivement, l’horrible Netanyahu — qui prétend sans rire défendre la civilisation — de « semer la barbarie », ce qui est parfaitement exact, mais il ne s’agit là hélas que de simples paroles verbales non suivies d’effet. Que fait-il concrètement pour prendre des sanctions économiques et diplomatiques contre Tel-Aviv, pour mettre en œuvre un embargo total sur les armes à destination de la criminelle entité sioniste ? L’honneur de la France serait de parler d’une voix forte, de dénoncer la façon dont l’Etat hébreu met à feu et à sang toute la région dans le but de constituer le Grand Israël du Nil à l’Euphrate et donc de mettre à bas tous ses voisins jugés gênants voire hostiles, de dénoncer le génocide, la famine organisés à Gaza, la destruction méthodique des hôpitaux, des services de santé, le bombardement incessant des populations civiles, des écoles, des centres de réfugiés, des lieux de culte, etc.
LES QUELQUES déclarations, pourtant limitées et purement verbales, de Macron ont toutefois suffi à lui aliéner le puissant lobby juif qui est désormais vent debout contre lui et qui est assoiffé de sang, ivre de haine et de vengeance, comme déjà dans l’Evangile et les Actes des Apôtres. Depuis deux mille ans, c’est finalement toujours la même chose. Le CRIF et ses alliés reprochaient déjà à Macron son absence à la manifestation parisienne du 5 novembre 2023 contre l’antisémitisme à l’initiative des présidents couchés du Sénat et de l’Assemblée nationale, ses déclarations sur la nécessité d’un cessez-le-feu à Gaza et au Liban, et donc d’un arrêt des livraisons d’armes à l’entité sioniste, et voici que, dans une conférence sur le pays du Cèdre, il ose désormais employer à propos de la politique exterminatrice de Netanyahu le terme de barbarie, concept réservé jusque-là au nazisme éternellement coupable de tous les maux.
Ces prises de position présidentielles, fussent-elles timides et tardives, sont insupportables au lobby judéo-sioniste qui ne cache pas sa fureur et on ne serait pas surpris que le chef de l’Etat soit l’objet d’attaques encore plus violentes dans l’avenir s’il devait persévérer dans des déclarations très critiques à l’égard d’Israël. Ses prédécesseurs, comme nous l’écrivions il y a quinze jours, ont quasiment tous eu maille à partir, à un moment donné, avec ce lobby influent et nocif, pour reprendre les expressions de feu François Mitterrand, malgré leurs concessions et leurs reptations incessantes, de De Gaulle à Chirac. Et assurément il n’est pas confortable pour qui que ce soit d’être dans le viseur de la secte vociférante et homicide du « ni oubli ni pardon ».[…]
RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.
Billet hebdomadaire
TRIBUNE LIBRE : Présidentielle américaine; une victoire de Trump ne tiendrait qu’à un fil
A Washington et partout ailleurs, le soir du 5 novembre prochain, les urnes seront ouvertes pour savoir qui, de la démocrate Kamala Harris, 60 ans, ou du républicain Donald Trump, 78 ans, gouvernera les Etats-Unis. Tous les quatre ans, la coutume exige de dire que l’élection du moment est à nulle autre pareille dans l’histoire : la conscience nationale en est autant flattée que se trouve réaffirmée la pérennité d’une institution. D’ailleurs, c’est vrai, cette kermesse démocratique se veut protéiforme et l’originalité — ou plutôt l’exubérance — ne passe pas pour la dernière de ses vertus. C’est une question de degré calculé à partir du plancher zéro d’une rivalité traditionnelle qui met en présence deux citoyens dont l’énergie distillée sur de longs mois consiste à vouloir prouver au pays que l’un des deux programmes estampillés par la constitution et surveillés par les Pères fondateurs s’avère meilleur que l’autre. Simple et quasi naïf : les passions ont fini par user ce scénario idéal. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Presque rien. Un fantôme qui s’agite. Et peut-être le dernier de ces fantômes rappelant aux hommes qu’ils ont perdu quelque chose de précieux. Un fantôme ricanant au-dessus d’un nouveau champ de bataille préparé pour un affrontement encore inconnu à ce niveau d’intensité : celui de deux visions diamétralement opposées de l’Amérique, celui de deux civilisations que tout sépare. Choc existentiel dont l’alternative est piégée : la poursuite inflexible d’une guerre politico-culturelle si Harris gagne ; quatre ans d’une parenthèse de droite (relative) si c’est Trump qui l’emporte. Celui-ci ne peut constituer au mieux qu’un éphémère sursis. Après lui, la même guerre politico-culturelle reprendra inexorablement sa marche en avant.
Car, que représente Harris ? Non pas une remise en cause du système d’économie libérale, fondée sur le projet d’édification d’une société socialiste égalitaire, où l’intérêt individuel s’accorderait à celui de la collectivité, tous deux recevant toujours plus de satisfaction d’un Etat claudiquant et généreux, mais une idéologie beaucoup plus sèche et dogmatique. Celle-ci repose sur un double socle : une radicalisation des principes républicains nés des révolutions des XIXe et XXe siècles ; une sublimation des thèmes gauchistes véhiculés par tous les courants contestataires que l’Occident a connus. Sur ce socle, que propose notre championne démocrate ? Non pas le projet d’une société collectiviste, nourri par de multiples réformes économiques et sociales, mais le bon vieux capitalisme apatride et vagabond. Le peuple ? Connais pas. La Nation ? Un mythe. Seul compte l’individu. L’égoïsme et la solitude ont remplacé les besoins et les devoirs. Les concepts de liberté, d’égalité, de paix s’effacent au profit du concept de droits — tous les droits pour tous. Il ne s’agit plus du droit de vivre dignement sa vie d’homme sous le regard de Dieu, mais du droit — plutôt du devoir d’obéir aux injonctions du dogme établi. Le droit de la femme à l’infanticide, celui du “couple” homosexuel au mariage, celui des militants LGBTQIA+ à la provocation, celui des minorités ethniques au mépris de la culture d’accueil, celui des pédophiles à la perversion de la jeunesse, celui du tiers-monde à l’invasion et celui des casseurs de faire régner la terreur. Sous l’impulsion d’élites hédonistes coupées de la base, le parti démocrate a ossifié des droits subversifs, institué une dictature “douce” au détriment d’une mission théoriquement partagée par toute la classe politique : protéger le rêve américain de la violence intrinsèque qui caractérise la plus fragile sans doute des épopées modernes.
Que suggère Trump ? Tout le contraire de cette philosophie woke. Cela se traduit à la fois par un retour aux sources, un rappel des vieux principes et la volonté de relever les défis du moment. Il s’agit de se rapprocher en même temps de la constitution et du peuple. D’une part, Trump cherche à défendre les institutions qui dominent, d’autre part il s’efforce d’écouter les besoins qui montent. Son terrain de chasse : ceux qui mouillent leur chemise, offrent leur sang et perdent leur or. Pour cette classe moyenne dans l’angoisse, il veut consolider l’emploi, juguler le fisc, surveiller le capital, filtrer l’étranger et éviter les guerres. Aux Etats-Unis, c’est du populisme ; pour les Français, du vichysme. A-t-il atteint son objectif ? Oui et non. Oui, parce qu’il a forgé autour de ses idées et à l’intérieur du républicanisme un nouveau parti à sa totale dévotion. Non, parce que son entreprise d’une extrême précarité est restée à la surface des problèmes sans pénétrer leur fondement. Trump s’échine à soigner un cancer avec de l’aspirine. Il n’a pu toucher ni l’administration, ni l’éducation, ni la diplomatie, ni l’armée, toutes noyautées par l’esprit woke. Sa vitalité s’est fait vraiment sentir dans deux domaines : la frontière et le commerce. Pourquoi ? L’invasion était devenue explosive et la Chine un monstre dévorant. Il ne fallait pas un médecin mais un pompier. Trump le fut. Il aurait pu même devenir un pompier international s’il avait voulu tenter de mettre fin à ce que les historiens sérieux appelleront plus tard le plus grand scandale de cette époque : l’extermination méthodique du peuple palestinien à Gaza et l’écrasement calculé de celui du Liban par une entité sioniste déchaînée sous les yeux secs d’un univers qu’elle a robotisé. On peut se demander si la dénonciation des massacreurs aurait brusquement interrompu les ambitions électorales de Trump. Pas sûr. Les affidés du Deep State veulent sa peau depuis 2016 et, en ces derniers jours de campagne, Harris ne cesse de le comparer à Hitler. Un Trump dénonçant Netanyahu-le-boucher n’aurait pas aggravé son cas. Il aurait perdu la sympathie d’une poignée de journalistes et d’universitaires juifs, mais réveillé dans l’inconscient d’une nation une sourde et vieille révolte contre le cynisme d’un judaïsme conquérant. Ce réveil aurait même pu lui rapporter des voix. Allons plus loin : grâce à son audace de franc-tireur, Trump s’affiche comme le seul homme politique de cette envergure capable actuellement de s’insurger contre le génocide palestinien sans courir le risque d’être immédiatement bâillonné par le lobby-qui-n’existe-pas. Il est le seul à pouvoir s’élever au-dessus de l’apathie générale contre ce crime d’État et dire à ses compatriotes qu’il y a des limites à la vassalité d’une grande puissance. Il n’a pas bougé. Sa culpabilité est entière. Il doit sans doute considérer que l’honneur n’a pas sa place dans cette histoire. Il fait semblant d’ignorer les écrans d’actualités. Et il a choisi le silence des cimetières pour mieux se concentrer sur les sondages. Ceux qui jouxtent le vote lui donnent un ou deux petits points d’avance sur Harris à l’intérieur d’une zone floue où règnent toutes sortes d’erreurs possibles qui peuvent réduire à néant le plus légitime des espoirs. Mesurons cet avantage presque symbolique à l’aune des handicaps et des atouts de chacun des candidats.
HARRIS ET SES HANDICAPS
— Couple indissoluble ? Les stratèges qui entourent Harris savaient que l’un des talons d’Achille de leur protégée résidait dans son impossibilité de se distinguer de Biden dont elle fut la vice-présidente. Or, il était indispensable qu’elle y parvînt. Le mandat du 46ème président fut une calamité sanctionnée par un pourcentage sans appel d’opinions favorables : 28 %. Le plus bas de l’histoire des Etats-Unis. Si Harris voulait conserver ses chances de gagner que lui donne sa surprenante popularité, il lui fallait se dissocier de ce chiffre catastrophique et des images liées aux quatre ans écoulés : une inflation de 15 % en moyenne (25 % pour l’alimentation) qui a paralysé les deux tiers des familles de la classe moyenne ; une ouverture des frontières qui a laissé entrer huit millions d’inconnus et avec eux le crime, les cartels, la drogue et tous les autres trafics dont le coût par citoyen est de 2 000 dollars par an ; une dépendance énergétique qui se trouve dangereusement imposée par un tout-électrique encore balbutiant et déjà ruineux ; le scandale des sportifs mâles qui, après chirurgie — filière de 120 millions de dollars en quatre ans — se glissent dans les compétitions féminines pour en glaner les lauriers ; une éducation publique qui part à la dérive, un désastreux retrait militaire d’Afghanistan en août 2021, une coupable inertie face à l’expansionnisme chinois et, à coups de dizaines de milliards de dollars, l’appui insensé à l’Ukraine qui risque de ne pouvoir arracher à la Russie ses territoires perdus. En temps normal, ce bilan pèserait très lourd pour un premier magistrat. Pour une vice-présidente qui vise la succession de son chef, à qui elle a dû témoigner une loyauté sans faille, ce bilan est un énorme boulet. Harris est parvenue à en dissimuler une partie. Sera-t-elle suffisante pour colmater les brèches dans l’opinion ? « Que répondez-vous lorsque Trump clame de tous ses podiums : Harris c’est Biden ? » lui lança comme une bouée la chaîne télévisée CBS. Elle érupta : « Je ne suis pas Biden ! » On attend toujours la suite.
— Un gauchisme viscéral. S’il s’avère dangereux pour Harris de se laisser trop longtemps assimiler aux faits et gestes gouvernementaux de Biden, il serait carrément suicidaire pour elle que l’on débatte de ses intimes convictions. Peu d’Américains savent qu’elle décrocha le titre de « sénateur le plus à gauche » dans un relevé des votes de chaque parlementaire. Elle a ainsi battu sur son propre terrain Bernie Sanders, l’agité du Vermont, que l’on considéra longtemps comme le phénomène emblématique de l’extrémisme politique. Très peu de médias osent publier les raisons qui lui ont valu ce titre, mais elles figurent régulièrement dans les discours de Trump. Kamala souhaiterait légaliser l’immigration des clandestins et les protéger de la déportation, éliminer l’assurance santé privée, retirer leur permis de port d’arme aux citoyens capables de se défendre, pulvériser les budgets de la police déjà en sous-effectifs dans de nombreux Etats, consacrer dix milliards de dollars à la « lutte climatique » et transformer carrément l’avortement en infanticide officiel. Elle prône l’idée de dissoudre les commandos ICE chargés de lutter contre le meurtre sur les frontières et de financer la libération sous caution des criminels BLM (Black Lives Matter, littéralement « la vie des Noirs compte »), secte raciste, marxiste et hyper violente. A ce kaléidoscope du radicalisme qui ferait fuir tout électeur équilibré, l’intrépide Harris a ajouté celui, tout aussi virulent, de Tim Walz, gouverneur du Minnesota, qu’elle choisit comme candidat à la vice-présidence. Jugeons-en : Walz signa une loi qui autorise les mineurs à changer de sexe sans l’avis de leurs parents. Il a accordé aux illégaux la gratuité des études universitaires en même temps qu’il leur ouvrait l’accès au permis de conduire. Il fait de son mieux pour démoraliser la police et entretient avec le parti communiste chinois des relations d’une étonnante cordialité. Bref, Walz a transformé son Etat dont la capitale, Minneapolis, est devenue un coupe-gorge en citadelle subversive narguant l’Amérique. Seule question : combien de voix fera-t-il perdre à Harris ?
— Les volte-face d’Harris. Il existe une loi d’airain qui obsède tout candidat, jouet par définition du suffrage universel : ne jamais s’écarter du centre. Le bon peuple a horreur des extrêmes. Selon ses humeurs et les circonstances, il se croit face à un vide abyssal ou un ténébreux trop-plein. Le centre le rassure parce qu’il semble s’inscrire entre deux zones tampons pouvant, au sein d’imprévisibles tempêtes, amortir les chocs du hasard. L’ennui pour Harris est qu’elle se trouve extrêmement loin de ce centre idéal. De sa position initiale dans les confins du nihilisme, il lui a donc fallu des kilomètres de reptation et des milliers de volte-face pour donner l’illusion d’atteindre son but. N’importe quel autre kamikaze de l’isoloir aurait jugé l’entreprise hors d’atteinte. Pas Harris. Elle ose tout parce qu’on lui a dit que sa folle témérité était l’une des clés naturelles de sa réussite. L’effet produit s’avère saisissant. Tout ce qui était rouge vif devient rose pâle et tout ce qui était rose pâle ressort couleur de suie. Un véritable caméléon. Quelques exemples. Pendant longtemps, Kamala a exigé l’interdiction absolue des forages pétroliers, la disparition à l’horizon 2040 de tous les véhicules à essence, l’application la plus dictatoriale des lois et règlements de la révolution verte, l’amnistie totale des immigrés clandestins et la gratuité pour tous des soins et des médicaments. Durant des semaines, elle a dû dénoncer ce qu’elle appelle maintenant ses « poussées d’irréalisme ». Les sondages indiquent que cet euphémisme n’a pas été goûté par tous les Américains.
— Le mur bleu. Le bleu rappelle la gauche, on l’a vu, et le mur est celui que forme le « trio infernal » Noirs, hispaniques, indépendants — qui, après des décennies de fidélité au parti démocrate, se met à loucher vers la droite, c’est-à-dire vers l’enfer…De Kennedy à Biden, ce trio a fourni à tous les présidents hostiles au conservatisme des scores de république bananière. Fonds de commerce assuré sur lequel Harris pensait pouvoir surfer car les Noirs, les hispaniques et les indépendants lui sont indispensables pour gagner. Elle déchante et ses stratèges s’alarment. Trump parvient à convaincre 27 % des Noirs et 41 % des hispaniques. Et se partage les indépendants à part égale avec sa rivale. Ses prédécesseurs ont tous stagné au-dessous de 10 % pour les Noirs, 20 % pour les hispaniques et 40 % pour les indépendants. Pourquoi cette envolée de l’iconoclaste ? Justement, parce qu’il s’est mis dans la peau d’un vrai briseur d’icônes. La gauche, par définition généreuse et donc “sociale”, a fait beaucoup pour les Noirs : c’est le slogan habituel, massif, incontournable. Faux. La gauche a donné de l’argent aux Noirs, mais elle a négligé ce qui importait le plus aux jeunes comme aux pères de famille : sécuriser leur emploi. Or, les huit millions d’inconnus qui ont envahi l’Amérique sont, pour les Noirs, de redoutables concurrents dans la quête d’un travail fixe, d’un salaire minimum. Plus d’un quart d’entre eux n’ont pas pardonné cet insondable mépris. Et si plus de quatre hispaniques sur dix voteront sans doute pour Trump, c’est pour la même raison : l’emploi menacé par des intrus. A cette raison ils ajoutent l’insécurité grandissante dans les villes et le délabrement du système scolaire. Quant aux indépendants (et aux indécis), une seule question les préoccupe vraiment : ne risque-t-on pas de passer d’un octogénaire sénile à une sexagénaire incompétente ?
— La mutation du parti démocrate. Pendant des générations, le parti démocrate fut celui du peuple, des sans grade, contre les nantis, les patrons, qui, eux, se retrouvaient sous la bannière du parti républicain. Ce n’est plus vrai. Le parti démocrate est maintenant celui des élites et le parti républicain celui des travailleurs. La mutation s’est produite lentement durant une trentaine d’années avant de s’accélérer sous la double poussée du globalisme qui a phagocyté la gauche et du populisme qui a investi la droite. Ce chassé-croisé n’arrange pas les affaires d’Harris. Ses propos sonnent faux lorsqu’elle a du mot “peuple” plein la bouche et affirme sans vergogne défendre les “gens d’en bas” contre les “gens d’en haut” : une démagogie qui s’écaille de plus en plus. A l’évidence, celle qui porte les couleurs démocrates parle d’abord au nom des conservateurs et des privilégiés. C’est pour elle que voteront les trois-quarts des professeurs d’université et leurs diplômés, la quasi-totalité des rédacteurs en chef et leurs collaborateurs, l’ensemble des banquiers de Wall Street et leur associés, les bataillons de PDG de la haute technologie et leurs sous-traitants, les gros industriels et leurs clients, les seigneurs de l’agriculture extensive et leurs saisonniers. Un bloc, une caste qui a en main les rênes du pouvoir et entend les conserver coûte que coûte. Pour elle, le mot “changement” qui fleurit sur toutes les estrades progressistes ne signifie rien. Tout juste un os à ronger pour les amateurs d’illusion. Changer ! Et pour quelle ridicule aventure ? Les élites, au contraire, ne cherchent qu’à consolider le statu quo ancré sur les épaules de la classe moyenne. D’où le succès du populisme. D’où l’inquiétude des démocrates qui voient finalement ce réalignement historique comme un piège.
HARRIS ET SES ATOUTS
— La métamorphose. Après l’immolation, fin juin, de Biden sur le bûcher des débats présidentiels, stratèges, sondeurs et analystes du parti démocrate aboutirent à la même conclusion : la vice-présidente, héritière naturelle du flambeau électoral, n’a aucune chance de l’emporter contre Trump. Son pedigree la plombe, son activisme l’isole, son incompétence l’élimine et l’opinion la rejette. A gauche, c’est l’alarme. Seule issue : fabriquer une autre Kamala qui, celle-là, pourrait gagner. Une Kamala de centre-droit débarrassée de son passé, sous contrôle de son présent et dans les rails de son avenir. L’opération exige deux conditions. D’abord, le vote doit se décider non pas sur les gros problèmes du pays, sur la perception qu’ont les électeurs de l’état de la nation, mais glisser sur de futiles querelles et de grotesques divergences qui feront diversion. Ensuite, la presse aux ordres, qui rassemble 90 % des médias, doit établir autour de Kamala un cordon sanitaire d’une rigoureuse étanchéité. Pas de site internet, pas de conférence de presse, pas d’interview, pas de confidences fuitées. Double but de cet isolement : soustraire Kamala à toute influence extérieure susceptible de déformer fâcheusement le personnage en construction, et rendre inopérantes ses initiatives malheureuses ou ses réflexions ambiguës capables de rappeler sa vraie nature. Voilà Kamala en marionnette dans une bulle gérée en coulisses par des tireurs de ficelle qui lui font dire et faire l’indispensable pour passer pour une autre. Les agents du Deep State applaudissent en complices et la moitié des Américains en dupes. […]
Paul Sigaud.