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Rivarol n°3649 du 19/2/2025 (Papier)

Editorial

Intelligence artificielle, réalité virtuelle et crimes réels

PLUS LE TEMPS PASSE, plus les crimes vont loin dans l’horreur. Autrefois les meurtres et assassinats, sauf rares exceptions, ne concernaient que les adultes, aujourd’hui ils visent de plus en plus les jeunes filles et les enfants. Autrefois les crimes les plus atroces avaient lieu généralement la nuit, aujourd’hui ils peuvent aussi se produire en plein jour. Ce fut le cas du viol et du meurtre de Philippine, âgé de 19 ans et massacrée par un Marocain multirécidiviste de 22 ans, sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) vers 14 heures le vendredi 20 septembre 2024 au Bois de Boulogne. C’est encore le cas du meurtre barbare de Louise, une fillette de onze ans — oui, onze ans ! —, scolarisée en sixième qui a reçu, à Epinay-sur-Orge dans l’Essonne, le vendredi 7 février vers 14 heures, à la sortie de son collège, dans un bois situé à quelques centaines de mètres seulement de son domicile, une dizaine au moins de coups de couteau par un certain Owen L., un jeune homme de 23 ans qui était dans une colère noire pour avoir perdu… à un jeu vidéo en ligne ! Cet individu a suivi la fillette jusque dans le bois où il s’est acharné sur elle. Elle a crié, elle s’est débattue — c’est ainsi qu’on a pu découvrir l’ADN du meurtrier car on a retrouvé des traces de son sang sous les ongles de Louise —. Mais que pouvait-elle faire face à un homme qui avait plus que deux fois son âge, était armé d’un Opinel et a multiplié sans interruption les coups d’une violence extrême, tel un fou, un possédé ? Il n’y avait aucun différend préalable, aucun contentieux entre la victime et l’assassin. La petite Louise a eu seulement la malchance de s’être trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.
Le vendredi, au collège, elle finissait plus tôt les cours et avait prévenu ses parents, via son smartphone, qu’elle rentrait immédiatement au domicile qui n’était situé qu’à quelques minutes à pied du collège. Il était 14 heures. Elle avait toute la fin de la semaine pour faire ses devoirs, apprendre ses leçons. Elle avait la vie devant elle. Du moins le croyait-elle alors. Mais un jeune homme en casquette et doudoune noires l’a suivie, lui a parlé, lui a fait croire qu’il avait oublié son téléphone portable dans le bois à côté et lui a demandé si elle pouvait l’aider à le retrouver. Sa gentillesse l’aura perdue. Sa bonté l’aura conduite à la mort. Il avait déjà tenté le coup avec une autre collégienne qui, elle, avait refusé de le suivre et qui est aujourd’hui vivante. De nos jours, on ne peut plus dire à nos enfants de se montrer gentils, souriants et charitables avec des inconnus. C’est impossible. Ce temps-là est révolu. Ce serait une pure folie. Il faut au contraire leur dire de se méfier, de rester sur leurs gardes, d’éviter tout contact, de refuser tout dialogue, de ne pas se laisser entraîner par faiblesse, par bonasserie, par naïveté, par incapacité à dire non à ce qui peut s’achever en tragédie.

AVOIR PERDU dans un jeu en ligne est le mobile du crime. Apparemment il n’en est pas d’autre. Cela peut paraître dérisoire, fou, hallucinant, et pourtant c’est bien le cas. De l’aveu de son entourage, Owen L. passait ses journées à jouer à des jeux vidéo, c’est-à-dire à vivre en permanence dans le virtuel, et cela provoquait chez lui, quand il perdait, des colères effrayantes, meurtrières, sans limite. Il avait ainsi un jour failli tuer sa sœur sous le regard impuissant de ses parents, de sorte qu’elle avait déposé une main courante et ne lui adressait plus la parole depuis deux ans. Owen L. était considéré comme un jeune introverti (il faut se méfier des gens qui ne parlent pas du tout, ne communiquent pas), apparemment sans histoire, quoiqu’il ait déjà commis un vol et une tentative de vol. A chaque fois après avoir perdu à un jeu vidéo. Le scénario était toujours le même. Il fallait qu’il se calmât, qu’il retrouvât ses esprits, et pour ce faire, il lui fallait détrousser quelqu’un. Mais ce 7 février, premier vendredi du mois, les choses ont mal tourné : de détrousseur, il est devenu tueur, d’auteur de larcins, il est devenu un assassin. Sa colère était trop forte, trop violente, trop extrême. Alors il s’est acharné sur une pauvre enfant, sur une fillette fluette, visant particulièrement les zones vitales, comme l’ont constaté les enquêteurs. Puis il s’est à nouveau enfermé dans le mutisme, avant de craquer après 48 heures de garde à vue. La découverte de son ADN sur le corps ensanglanté de la fillette, la vidéosurveillance où l’on reconnaissait sa silhouette ont eu raison de son silence obstiné auprès des policiers. Owen L. a été mis en examen le 12 février au soir pour meurtre sur mineur de moins de quinze ans et placé en détention provisoire. Avant son procès d’ici un an ou deux en cour d’assise.
Comme à chaque fois dans ce genre de meurtres affreux on nous répète que le collège que fréquentait Louise était tranquille, que la zone pavillonnaire où elle vivait avec sa grande sœur et ses parents était paisible. Comme à chaque fois on a activé des cellules de soutien psychologique pour les autres élèves du collège. Comme à chaque fois on a apporté des fleurs, des bougies, des peluches de la petite suppliciée, martyrisée, assassinée. Comme à chaque fois une cagnotte a été ouverte pour aider les parents à régler les frais d’obsèques et les gens qui sont naturellement émus par ce drame atroce qui pourrait demain, n’importe où, n’importe quand, concerner leur progéniture se montrent généreux. Comme à chaque fois chacun dit son incompréhension et son effroi. Mais hélas il n’est pas besoin d’être devin pour savoir, pour prédire que ce genre de crimes atroces va se reproduire et se multiplier vu l’état de la société, des consciences, des mœurs, des familles, des individus. Owen L. n’est pas le seul de sa génération, tant s’en faut, à être accro aux jeux vidéo. Il n’est pas le seul à ne vivre que dans et pour le virtuel. C’est chose courante désormais.

L’INVENTION du smartphone en 2007 a bouleversé la vie et les mœurs de nos contemporains. Bien plus encore que la télévision naguère. Et la généralisation des ordinateurs, des tablettes, des écrans, des jeux vidéos est une révolution dont on ne mesure pas encore assez les conséquences incommensurables, inouïes, effrayantes. Non seulement nous vivons la fin de la civilisation Gutenberg avec l’abandon quasiment total de la lecture des livres, des journaux et des revues papier par les nouvelles générations mais la massification de l’usage des jeux vidéo et des réseaux sociaux conduit à une régression intellectuelle, morale et spirituelle sans précédent. Qui fait froid dans le dos. Qui glace le sang. Loin de favoriser l’amitié, la convivialité, la bienveillance, la concorde, l’empathie, les réseaux sociaux ne fonctionnent que sur le mode de l’agressivité, de l’injure, de l’anathème. Ils ne sont pas adaptés à la nature humaine qui a besoin de temps pour réfléchir, pour réagir, pour décider. Là tout se fait en un instant, tout démarre au quart de tour, tout est fait pour favoriser les mouvements impétueux et tumultueux, empressés et déréglés, de notre nature blessée par le péché originel. Naguère, lorsqu’on recevait une lettre d’insulte, ou en tout cas fort désagréable, si l’émotion était vive en la lisant, on pouvait reprendre ses esprits par la suite. On reposait la missive agressive et vu le temps qu’il fallait pour prendre du papier, un stylo, rédiger à la main une réponse, trouver une enveloppe, la timbrer, aller la poster, la colère pouvait retomber, la fureur s’estomper. Avec Internet, il suffit d’un simple clic, d’une fraction de seconde pour répondre, riposter, répliquer. Disons-le franchement, pour l’essentiel, les réseaux sociaux ne sont qu’un torrent de boue et de haine. Il y a d’abord tout ce qu’on peut y voir et qui blesse la vertu. Mais il est peut-être pire encore, la perte de temps et d’énergie. Le dégoût de notre devoir d’état. La perte totale de l’esprit de prière, d’oraison et de contemplation. L’abaissement de l’âme et de l’esprit. L’obscurcissement de l’intelligence. Et plus encore le desséchement du cœur. On ne peut véritablement aimer que ce qui est réel, concret, vivant et non ce qui est virtuel. On ne peut se donner véritablement qu’à un autre être et non à un fantôme, à des algorithmes. Nous vivons le temps des barbares fulminant devant leur clavier d’ordinateur et rendus incapables de toute vie intérieure.
Il a été prédit que les derniers temps seraient marqués non seulement par une perte générale de la foi mais peut-être plus encore par un refroidissement de la charité et un tarissement de la grâce. Nous y sommes. Et le pire, c’est que les utilisateurs compulsifs de ces appareils ne se rendent même pas compte de leur état, n’y prêtent même pas attention. Et les choses assurément vont continuer à empirer. Inexorablement. Macron présidait il y a quelques jours au Grand Palais à Paris, en présence d’un grand nombre de chefs d’Etat et de gouvernement, de dirigeants d’entreprises, d’artistes et de journalistes, un « sommet international pour l’action sur l’intelligence artificielle ». Ce qui se prépare est proprement terrifiant. On va aller encore plus loin dans l’omniprésence et l’omnipotence du virtuel et de l’artificiel. Marc Zuckerberg, dirigeant du groupe Meta, a récemment annoncé que bientôt on n’aurait plus besoin de smartphones mais que tout se trouverait dans nos lunettes qui seraient un véritable ordinateur.

NOUS VIVONS une révolution anthropologique fondée sur le transhumanisme, le tout technique et l’homme augmenté. Et nous n’en sommes qu’à ses prodromes. La civilisation chrétienne était celle de l’Incarnation, du Verbe qui se fait homme et se dévoue, se sacrifie pour l’humanité qu’Il est venu sauver. Se met en place une nouvelle civilisation, ou plutôt une contre-civilisation, qui repose sur la désincarnation, la déshumanisation à un niveau jamais atteint dans l’histoire et qui ne réalise rien moins qu’une contre-Incarnation. Tout est inversé. Le virtuel se substitue au réel, l’artificiel au naturel, le frelaté à l’authentique, le faux au vrai, le laid au beau, le mal au bien. C’est proprement satanique. Ce n’est pas seulement un changement d’époque que nous vivons, c’est un changement de paradigme, c’est un bouleversement sans précédent des repères. Il n’y a plus d’homme ni de femme, il n’y a plus d’être de chair et de sang. Il n’y a que des casques de réalité virtuelle et le metaverse, des représentations virtuelles ou avatars. Un univers virtuel en 3D ou en 2D où l’on peut effectuer diverses activités, par exemple acquérir des terrains, faire ses courses, créer des magasins numériques, assister à des visioconférences, jouer à des jeux. Sait-on que de plus en plus de médecins consultent désormais par visioconférence, n’auscultant donc même plus le patient, ce qui rend pour le moins aléatoire le diagnostic ?
Comme l’avait prédit Georges Bernanos dans La France contre les robots il y a quatre-vingts ans, ce n’est plus l’homme qui l’emporte sur la technique. C’est la technique qui l’emporte sur l’homme, qui le façonne, le transforme, le domine, l’asservit. Il renonce à son humanité pour devenir un appendice de la technique. Son jouet, son esclave, sa chose. Mesure-t-on la gravité inouïe des temps que nous vivons et du futur apocalyptique que l’on nous prépare ? Plus que jamais, plus que tout, en ces temps enténébrés, il faut « tenter de vivre », pour citer le Cimetière marin de Paul Valéry. Et vivre dans le vrai car, comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin, la vérité est l’adéquation de l’intelligence au réel, et non pas au virtuel. Vivre en conformité avec notre nature humaine, ce qui implique de répudier et de rejeter ce qui est contre-nature. Vivre en harmonie avec la nature, avec ses semblables, s’émerveiller du spectacle de la Création qui manifeste si magnifiquement les grandeurs de Dieu, vivre dans le réel, là où l’on peut se donner, se dévouer, se transcender, aimer tendrement chaque jour et être aimé en retour. En gardant fermement les pieds sur Terre. Et les yeux levés au Ciel.

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

Dénigrement américain envers l’Europe : chance ou malheur pour l’U.E ?

Depuis plus de soixante ans se déroule chaque année dans l’énorme cité de Bavière une fameuse conférence sur la sécurité (comprendre sur la sécurité mondiale), la conférence de Munich. Jusqu’au début des années 2000, ce rituel très occidental ne représentait pas vraiment un rendez-vous attendu des politiques, des industriels, des intellectuels et des observateurs. Puis, à partir de 2001, l’événement est devenu emblématique. Les commentateurs parlent à ce propos d’un Davos de la défense.
Mais il faut dire que ce rendez-vous annuel a véritablement pris une certaine importance dès lors que la Russie a repris vigueur sur la scène internationale après quinze ans de quasi-coma diplomatique. Ainsi, Vladimir Poutine a pris une nouvelle dimension en 2007, lors de sa première invitation à Munich, quand il sidéra tout l’Occident avec un discours offensif contre les Etats-Unis qu’il accusait d’être le gardien d’un monde unipolaire.

LA CONFÉRENCE DE MUNICH 2025

Le 14 février 2025, c’est cette fois le vice-président américain, J. D. Vance qui était censé jeter un pavé dans la mare en intervenant d’une manière inattendue durant la kermesse sécuritaire.
 Tous les protagonistes auraient attendu des annonces quant à la position nouvelle de Washington sur le conflit russo-ukrainien. Le bras droit de Donald Trump aura cependant subjugué les participants et les invités de la conférence avec une saillie sur la liberté d’expression disparue ou en voie de disparition en Europe. Après avoir défendu les mouvements européens nationaux-sionistes, notamment l’AFD allemand dirigé par une cosmopolite lesbienne antiraciste (mais défavorable à l’Islam et à une forte immigration) pacsée à une Sri-Lankaise, résidant en Autriche, Alice Weidel, Vance a affirmé que les plus grandes menaces de l’Europe étaient internes à l’U.E (immigration, wokisme…) et non représentées par la Russie et par la Chine.
Disons-le d’emblée, les propos de Vance relèvent de l’irrationalité pure. D’une part, parce que s’il existe une entité au monde qui étrille la Chine, ce sont bien les Etats-Unis d’Amérique qui considèrent Pékin comme un insupportable concurrent économique (mais qui ne cessent en réalité de commercer avec ce dernier). D’autre part, parce que le conflit russo-ukrainien, et d’une manière générale le climat apocalyptique qui règne sur une partie du monde à cause de celui-ci, sont très favorables à l’économie américaine non seulement parce qu’ils obligent les grandes nations européennes à acheter en grandes quantités de l’énergie américaine au détriment du gaz russe (pourtant bon marché), mais aussi, mais surtout, parce que cette nouvelle configuration géopolitique incite le monde entier à acheter et à fabriquer de nouvelles armes à un rythme exponentiel. Or le numéro un mondial incontesté, incontestable, de production d’armes et de pièces pour leur fabrication, aux Etats-Unis et partout ailleurs sur la planète, est l’Oncle Sam.
C’est pourquoi, derrière les mots formulés par ce Vance et par Trump, existe-t-il une réalité économique qui s’oppose à angle droit à cette posture isolationniste.

VERS L’INDÉPENDANCE EUROPÉENNE VIS-À-VIS DES ETAS-UNIS ?

Car ces discours anti-européens, construits sur une idéologie anti-européenne rapidement bricolée, servent effectivement un programme économique mondial, un programme de régénération économique.
Mais voilà, pour le mettre sur rails, pour le faire accepter par les masses (qui doivent absolument le considérer comme nécessaire non pour ce qu’il est réellement mais pour ce qu’il représenterait de bénéfique pour leur sécurité), ce programme doit s’imposer non comme un outil économique mais comme une obligation existentielle.
Le 14 février dernier, pour répondre en quelque sorte aux propos de Vance, Emmanuel Macron déclara dans le Financial Times : « Ce modèle, qui consiste à dire que nous avons le marché chinois comme débouché, que nous avons le parapluie américain pour notre sécurité et que nous avons du gaz russe bon marché pour pouvoir produire, il faut l’oublier ». Et le président de la République française d’appeler une nouvelle fois à un « réveil stratégique » de l’Europe. C’est exactement ce que souhaite toute la clique représentée par Vance et Donald Trump. Que l’Europe se lance enfin dans une nouvelle économie planificatrice. Pour ce faire, il est impératif que l’opinion européenne prenne conscience du fait que le continent est esseulé sur le plan politique et militaire (et dans une certaine mesure économique). L’opinion doit progressivement être convaincue que l’Europe, toute l’Europe, est seule, isolée, et qu’elle ne peut en définitive ne compter que sur elle-même pour garantir sa sécurité. En effet, pour être opératoire, l’économie de guerre doit se développer sur la majeure partie du monde développé. Et ce phénomène économique ne peut s’accomplir sans une participation hardie de l’Europe.
Toutes les élites du monde savent très bien à quoi s’en tenir. Toutes réagissent pourtant comme si elles avaient été surprises par l’insolence de Vance, notamment la Norvège (dont le Premier ministre s’est dit surpris par les non-dits du vice-président sur la guerre à l’Est) qui se trouve en première ligne devant la terrifiante Russie. Surprises par son ingérence dans les affaires européennes et par ses silences quant au conflit en Ukraine. Le Monde du 14 février a très bien décrit cette atmosphère fabriquée : « Ce silence prolonge en effet l’incompréhension et la confusion qui règnent autour de l’initiative du président Trump visant à mettre fin à la guerre en Ukraine. Un épais brouillard entoure les intentions de Washington ; entre les déclarations publiques du secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, et celles de J. D. Vance et les interviews suivies de démentis, les postures contradictoires se sont multipliées. M. Pistorius (ministre allemand de la Défense) a regretté cette “cacophonie”, soulignant que, si l’on s’attache aux faits, il ne s’est rien passé en matière de négociation depuis l’entretien téléphonique avec Vladimir Poutine, le 12 février. »
Ursula von der Leyen, la grande patronne de l’U.E, a dit avoir essayé d’« écouter la substance » des remarques américaines plutôt que de céder à “l’indignation”. Elle dit avoir retenu de tout cela que l’Europe doit se préparer à assumer davantage sa propre défense. L’hebdomadaire Le Point résume la situation sans dévoiler l’entourloupe : « Il faut croire que la portée des propos américains a un tout autre poids que les mille et un discours des dirigeants français sur la nécessité d’une autonomie stratégique européenne. »
Nous voyons clairement l’avenir. Et d’abord le futur économique. Toutes les élites appuyant sur la pédale d’accélérateur. Représentants américains, représentants européens et représentants chinois (désireux, comme les autres, du développement de l’économie de guerre en Europe).
Le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a ainsi saisi l’occasion de ce flottement diplomatique pour se présenter en défenseur de l’ordre international et du multilatéralisme. Il est même d’avis que « toutes les parties concernées » par le conflit en Ukraine participent au processus de “paix” : « Cela se passe sur le sol européen, et l’Europe doit jouer un rôle important dans ce processus. ». A l’Europe, donc, de produire des efforts énormes pour modifier la donne internationale si elle le souhaite sincèrement… Comment aujourd’hui pourrait-elle ne pas le souhaiter ?

DERNIER ARGUMENT AU PROFIT DE L’ENDETTEMENT LOURD DES MEMBRES DE L’U.E

La position (apparente) de retrait des Etats-Unis en Europe a fait son effet. Du moins donne-t-elle un argument de poids à von der Leyen pour annoncer un assouplissement des critères budgétaires encadrant l’euro afin de permettre aux Etats membres de s’endetter davantage pour financer cet effort de défense. Le ministre fédéral allemand de la Défense, Boris Pistorius, a immédiatement rebondi sur l’annonce de cette réforme cruciale : « Nous, Européens, devons prendre la part du lion des dépenses de l’OTAN […] Moins de promesses, plus d’action. »
Bien évidemment, Volodymyr Zelensky a profité du scandale provoqué par les propos de Vance (mêlant condescendance et désinvolture à l’égard de l’Europe) pour noircir davantage la situation et mettre en garde les Etats européens contre un nouveau Munich (1938).
Mais c’est peut-être la doyenne de l’école d’affaires internationales de Science Po qui aura le mieux résumé la nouvelle donne : « Il ne faut pas sous-estimer l’Europe. Peut-être que l’initiative des Américains va nous aider à prendre des décisions pas faciles, comme investir davantage dans notre défense, ou mettre en place l’union des marchés de capitaux. »

L’ACCÉLÉRATEUR TRUMP

Finalement, Trump et son équipe participent au changement de paradigme stratégique européen. Un changement exhorté par les experts européistes depuis plus de deux ans ! Et un changement qui était freiné jusque-là par la frilosité allemande, par une Allemagne industrieuse dont les grands dirigeants économiques étaient encore, il y a quelques mois, allergiques à l’endettement du pays. Il aura fallu aller jusqu’à ce deus ex machina américain pour que les élites économiques allemandes acquiescent à cette véritable réforme constitutionnelle, de nature quasi religieuse. […]

François-Xavier ROCHETTE.