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n°3661 du 14/5/2025 (Papier)

Editorial

Léon XIV dans les pas de François : Vatican II plus que jamais au programme !

LE SUCCESSEUR de François a donc été élu, le 8 mai 2025, au quatrième tour de scrutin, après à peine vingt-quatre heures. Beaucoup pensaient que, compte tenu du nombre des électeurs (133 au total) venant d’un très grand nombre de pays (70 en tout), le conclave s’étendrait sur plusieurs jours et qu’il serait difficile d’atteindre rapidement le minimum requis, soit 89 voix, correspondant aux deux tiers des votants. Or, il n’en a rien été. Comme si l’élection de l’Américain Robert Francis Prevost, qui a pris le nom de Léon XIV, avait été programmée. Beaucoup d’observateurs ont affirmé que Léon XIV sur le fond plaçait ses pas dans ceux de François mais qu’en revanche sur la forme il serait différent. De fait, Robert Francis Prevost, né le 14 septembre 1955 à Chicago dans l’Illinois, a été un très proche collaborateur de Bergoglio qui l’a créé cardinal le 30 septembre 2023 et qui l’a nommé la même année « préfet de la Congrégation des évêques », un poste influent et stratégique s’il en est.
C’est à ce titre qu’il a démis de ses fonctions, en plein accord avec François, deux prélats conciliaires conservateurs : Mgr Joseph Edward Strickland, évêque de Tyler au Texas en 2023 et Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon en 2025. Cela en dit long sur l’orientation fondamentalement progressiste du successeur de François malgré des apparences plus conservatrices et pondérées. Le futur Léon XIV avait ainsi approuvé les positions de François concernant la communion sacramentelle donnée aux divorcés remariés. Et il ne s’était nullement opposé publiquement aux bénédictions de paires homosexuelles également autorisées par Bergoglio, même s’il a tenu ici et là des propos quelque peu ambigus sur le sujet, comme savent si bien le faire les modernistes qui multiplient les équivocités volontaires.

SON ADHÉSION pleine et entière à Vatican II et aux réformes disciplinaires, liturgiques, pastorales et doctrinales qui l’ont suivi ne fait également aucun doute. Lors de son discours au « Collège des Cardinaux », le 10 mai, il a ainsi déclaré de manière claire et explicite : « Et à cet égard, je voudrais que nous renouvelions ensemble, aujourd’hui, notre pleine adhésion au chemin que l’Eglise universelle suit depuis des décennies dans le sillage du Concile Vatican II. » Par conséquent, il n’y a aucun changement sur le fond à attendre. D’ailleurs, Léon XIV, du fait de son âge (69 ans), n’a connu pour ainsi dire que l’église conciliaire et post-conciliaire, contrairement à ses prédécesseurs. En effet, le Pape Pie XII est mort quand il avait à peine trois ans. Au moment de l’ouverture de Vatican II, il avait sept ans et, à sa clôture en décembre 1965, il avait seulement dix ans. Lorsque Paul VI — qu’il a cité élogieusement à la fin de son discours aux cardinaux, ce qui est là aussi un signe fort —, a promulgué la nouvelle messe, le 3 avril 1969, il avait treize ans. Il a été ordonné prêtre dans le nouveau rite en 1982 et fait évêque, également dans le nouveau rite, en 2014.
Léon XIV partage également les positions de François sur le climat, le réchauffement climatique, sur les migrants — il a par le passé fustigé dans des déclarations et dans des tweets la politique de Trump à l’égard des immigrés clandestins aux Etats-Unis — et il a approuvé les déclarations de son prédécesseur qui s’est rendu à Lampedusa, à Lesbos, à Marseille et qui, chaque fois, a appelé énergiquement l’Europe à accueillir davantage de migrants, rappelons-le, pour la plupart mahométans, et à faire preuve de davantage d’ouverture et de générosité. D’ailleurs, dans son premier et bref discours, sur le balcon de la basilique saint-Pierre, le 8 mai au soir, Léon XIV a appelé à construire des ponts, a appelé au dialogue, à une « Eglise ouverte », proche des périphéries. On sait ce que tout cela veut dire pour les dignitaires conciliaires. Dans cette même allocution, il s’est réclamé explicitement d’une « Eglise synodale », attachée à la collégialité conciliaire, s’inscrivant là aussi, de manière très claire, dans la stricte et totale continuité de Bergoglio.

C’EST PAR AILLEURS tout un symbole que soit élu sur le siège de Pierre un Américain le jour du quatre-vingtième anniversaire de la capitulation allemande, le 8 mai 1945. Car le principal vainqueur de la Seconde Guerre mondiale n’est autre que les Etats-Unis d’Amérique et non la vieille Europe qui est sortie très affaiblie de ce conflit. A ce propos, si Robert Francis Prevost se réclame du Pape Léon XIII, c’est uniquement pour ses positions sur la question sociale et singulièrement pour sa célèbre encyclique Rerum novarum le 15 mai 1891. Mais il est bien certain qu’il ne suivra nullement Léon XIII dans son rejet très clair et motivé doctrinalement de la franc-maçonnerie et de l’américanisme. Non plus que sur son adhésion à la doctrine catholique traditionnelle rejetant la liberté religieuse, l’œcuménisme libéral, la collégialité et la soumission à la synagogue. A peine élu, Léon XIV a en effet reçu les félicitations chaleureuses du B’nai B’rith, puissante organisation mondiale judéo-maçonnique.
On peut aussi penser que le choix d’un Américain ne tient pas au hasard. Les finances du Vatican étant en grande difficulté et les donateurs états-uniens étant plus nombreux et beaucoup plus riches que partout ailleurs dans le monde, c’est très probablement un gage qui leur a ainsi été donné et cela témoigne symboliquement d’un nouveau recul du Vieux Continent.

S’IL POURSUIVRA selon toute vraisemblance les grandes orientations de François sur le fond, Léon XIV sera en revanche assez différent sur la forme, et donc d’autant plus efficace dans ses desseins. Le style très provocateur, brut de décoffrage d’un Bergoglio multipliant les excentricités et les incongruités (un jour il s’était même affiché avec un nez rouge de clown, tout en étant en soutane blanche !)  avait en effet indisposé et crispé une frange des conservateurs, certains prélats, ce qui ne s’était quasiment jamais vu jusque-là, se permettant même de le critiquer, de s’en démarquer publiquement, sans toutefois aller plus loin dans leur distanciation que le fait d’afficher certains réserves purement verbales. Léon XIV sera probablement beaucoup plus habile et apparemment conservateur, sinon traditionnel, sur la forme (il a ainsi loué les formes de piété populaire, a prononcé en latin avec solennité et gravité sa bénédiction le 8 mai, a revêtu des ornements beaucoup moins sobres que François, lequel s’était même promené en pantalon en fauteuil roulant quelques jours avant de mourir dans la basilique saint-Pierre !), tout en restant tout autant révolutionnaire et moderniste sur le fond, ce qui sera d’autant plus redoutable. Léon XIV a ainsi déjà décidé de ne plus loger à la résidence Sainte-Marthe, contrairement à François, et d’occuper les « appartements pontificaux » comme Jean-Paul II et Benoît XVI. Contrairement à son prédécesseur, il a fortement insisté sur son titre de « vicaire du Christ », de « successeur de Pierre », alors que François se définissait surtout, voire seulement, comme « évêque de Rome ». Cette différence est loin d’être totalement anecdotique. Il entend s’affirmer haut et fort.
Il ne faut pas oublier non plus que Léon XIV est docteur en droit canon et qu’il pourrait donc se montrer beaucoup moins complaisant que son prédécesseur avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Bergoglio ne se souciait guère en effet des questions juridiques et canoniques. Il en ira probablement tout autrement avec Léon XIV qui pourrait se montrer beaucoup plus exigeant sur ce point et ne pas accorder facilement des facilités à l’œuvre fondée par Mgr Marcel Lefebvre, alors même que la FSSPX n’a aujourd’hui plus que deux évêques relativement âgés, Mgr Fellay (67 ans) et Mgr de Galarreta (68 ans, et en mauvaise santé. Fin avril, ce dernier a dû annuler sine die diverses cérémonies de confirmation prévues de longue date en Bretagne). Il sera en tout cas intéressant de voir comment évoluent les relations dans les années qui viennent entre Léon XIV et Ecône. D’autant que le successeur de François pourrait rester longtemps, du fait de son âge, peut-être quinze à vingt ans, et qu’il aura donc a priori le temps de poursuivre à sa guise les réformes conciliaires et d’imprimer sa marque.

LA CRISE DE L’EGLISE, on le voit, n’est donc pas derrière nous. Il faut se garder de toute illusion, de tout sentimentalisme, de tout optimisme déconnecté du réel et de la doctrine et s’interdire de voir les choses non telles qu’elles sont mais telles qu’on voudrait qu’elles soient. Tant qu’on se réclamera du funeste conciliabule Vatican II, rien ne pourra être redressé. De plus, la perte de la Foi — et des principes moraux qui lui sont consubstantiels — est aujourd’hui quasiment universelle, plus profonde et dramatique que jamais. Nous vivons à n’en pas douter des temps apocalyptiques, antéchristiques et eschatologiques.
Dans les ténèbres actuelles, qui s’éternisent, s’obscurcissent encore, et dont on ne voit pas l’issue, à vue humaine, plus que jamais, il faut envers et malgré tout garder et faire croître en soi la Foi, l’Espérance et la Charité. En conservant les pieds sur Terre. Et les yeux levés au Ciel.

RIVAROL,<jeromebourbon@yahoo.fr>.

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Billet hebdomadaire

L’épuration ethnique à Gaza ou l’expression d’un racialisme sioniste ?

« Israël continue d’infliger des souffrances inimaginables aux personnes vivant sous son occupation, tout en étendant rapidement la confiscation des terres dans le cadre de ses aspirations coloniales plus larges », a averti, vendredi, le Comité spécial de l’ONU chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits humains des Palestiniens.
« Ce à quoi nous assistons pourrait très bien être une autre Nakba [la “catastrophe”] » dans les territoires palestiniens.

Comité ad hoc des Nations unies, mai 2025.

Pas de miracle cette semaine à Gaza, pas même la moindre amélioration dans les décombres palestiniens qui, bien au contraire, s’enfoncent dans les ténèbres.
Nous avons parlé, la semaine dernière dans RIVAROL, de l’arme de la faim employée par l’actuelle direction sioniste pour affaiblir, désespérer et pousser à l’exil l’ensemble des Gazaouis qui ne seront pas morts de faim. Une arme qui n’est pas exclusive puisque le pouvoir en place en Israël ordonne, impitoyablement, des bombardements constants sur l’enclave palestinienne. Las, le tapis de bombes et de missiles fut encore plus meurtrier ces derniers jours, comme si les cris, les S.O.S., les appels à l’aide des humanitaires, et les condamnations incessantes (mais tardives) des représentants politiques de nombreux pays ne faisaient que raviver le feu exterminateur de Tsahal.
C’est donc avec une vive inquiétude que l’on a observé le Conseil des ministres des Affaires étrangères informels à Varsovie le mercredi 7 et le jeudi 8 mai. Non pas pour ce que les diplomates allaient dire, mais pour ce que leurs propos allaient provoquer à l’encontre des victimes palestiniennes.
Si les ministres et les Etats restent inactifs, vissés sur leur fauteuil, certains d’entre eux se sont enfin exprimés sur la situation horrible vécue par les Palestiniens. Comment, en effet, rester muet devant cette situation apocalyptique ?

LES MASSACRES ENFIN CONDAMNÉS

« Nous avons vu des images horribles, il faut que cela cesse ! », a enfin osé Elina Valtonen, la patronne de la diplomatie finlandaise, qui ne s’était jamais, ou si peu, exprimée, sur le sujet jusque-là (alors que les images horrifiques des victimes palestiniennes existent et circulent depuis plus d’un an et demi).
Son homologue autrichienne, Beate Meinl-Reisinger, a, quant à elle, déclaré, plus sobrement, que « le blocus de l’aide humanitaire mis en place par Israël se poursuit ». De son côté, le Néerlandais Caspar Veldkamp voit la situation sanitaire des Palestiniens se détériorer jour après jour.
Davantage véhément, le ministre belge Maxime Prévot déclara qu’il était temps « que l’Union européenne et l’ensemble de la communauté internationale se réveillent. […] Ce à quoi nous assistons, a-t-il poursuivi, est une honte absolue. […] Cesser volontairement toute aide humanitaire, tout accès à la nourriture, aux soins de santé, à l’électricité, à l’eau, comme stratégie de guerre, est totalement inacceptable. »
Le 6 mai, à la veille de cette réunion, le Français Jean-Noël Barrot avait assuré devant l’Assemblée nationale que « Gaza est au bord de l’effondrement, du chaos et de la famine », appelant à un cessez-le-feu immédiat et à un accès à l’aide.
Néanmoins, tous ces responsables politiques, qu’il serait téméraire de soupçonner d’antisémitisme, qui ne peuvent plus se taire devant la famine planifiée et la destruction intégrale de Gaza, n’ont pas fait réagir, du moins dans le bon sens, l’actuelle direction de l’Etat sioniste. Pourtant, dans le même temps, six pays européens, dont l’Irlande et l’Espagne, avaient publié une tribune commune condamnant le « plan de conquête » du gouvernement Netanyahou, qui prévoit « d’établir une présence israélienne prolongée » à Gaza, ce qui reviendrait à « franchir une nouvelle ligne rouge » et « mettrait en péril toute perspective d’une solution viable à deux Etats ».
En réalité, la solution à deux Etats, comme la solution multiethnique, sont devenues improbables dans un futur proche comme dans un futur plus lointain. Les chiens aboient, la caravane d’importation passe. Rien ne perturbe les fanatiques en place à Tel-Aviv qui se sentent, probablement à raison, invulnérables, intouchables. Quant à la honte, ils ne la connaissent point.

L’ÉPURATION ETHNIQUE EST-ELLE REDEVENUE UNE OPTION STRATÉGIQUE ?

Longtemps, nombre de Juifs sionistes et d’observateurs, vivant alors dans un monde où la solution génocidaire n’était plus envisageable pour l’accaparement des terres au profit d’une seule unité ethnique (toute vie humaine étant, du moins sur le papier, déifiée), pensaient que la démographie des Palestiniens, exponentielle, allait submerger, infailliblement, l’ensemble du territoire israélien.
Hier encore, personne ne pensait qu’une autorité sioniste, même fanatique, pouvait outrepasser l’interdit d’une humanité consciente d’elle-même malgré sa diversité, ses différences et ses antagonismes. Le fait colonial et l’apartheid étaient ce qu’il y avait de plus inacceptable aux yeux des masses et des élites. Qui pouvait croire, il n’y a même pas deux ans, qu’une entité, dirigée fanatiquement par une minorité de psychopathes, numéroterait ses abattis avant de se mettre en ordre de marche pour raser l’entièreté de l’habitat de 2,2 millions d’individus dans un gigantesque projet d’épuration ethnique ? On ne pouvait l’imaginer. On ne pouvait penser qu’un ensemble d’individus confondant génocide et indicible, à juste titre, pouvait vivre sous le joug satanique d’une infime minorité d’énergumènes désireux d’ensevelir sous le feu, l’acier, la poussière, la fumée, un peuple qu’il considère comme ontologiquement différent.

UNE MOUVANCE RACIALISTE MÉCONNUE

L’historiographie de la Seconde Guerre mondiale a évidemment été un argument sioniste en 1948, un argument en faveur de la création de l’Etat d’Israël. Mais comme nous le savons, la naissance du projet sioniste (politique) précède le vingtième siècle, précède les activités d’un Herzl. Il est par ailleurs une grande affaire qui a été soutenue par une multitude de courants juifs, dont une mouvance raciale qui cessera ses activités éditoriales à la fin des années 1930. Or cette mouvance, qui n’a jamais été condamnée puissamment par les grands historiens et intellectuels du monde entier, selon le chercheur André Pichot (spécialiste des idéologies racialistes), a alimenté, dans une certaine mesure, l’esprit du sionisme révisionniste, faction qui inspirera le Likoud et Netanyahu dont le père vénéré, Bension (1910-2012), fut tout simplement le secrétaire particulier de Jabotinsky (le fondateur du sionisme révisionniste).

DES THÉORICIENS RADICAUX

Parmi les “théoriciens” racialistes qui ont milité aux côtés de Jabotinsky, on trouve notamment Kadmi-Cohen (né Isaac Cohen) qui eut une influence non négligeable dans la mouvance sioniste de son temps. Il faut le citer pour essayer de comprendre les motivations qui animent certains sionistes aujourd’hui qui se sont engagés dans une stratégie de destruction intégrale de la bande de Gaza. Il est fort probable qu’une idéologie racialiste dite artificielle selon le mot d’André Pichot abreuve d’une manière sous-jacente la « vision du monde » de certains responsables sionistes. Lisons Kadmi-Cohen, ami de Jabotinsky et puissant lobbyiste sioniste sous la Troisième République en France. « Cet orgueil de la tribu, ce souci de préserver la race de toute adultération s’observe chez les Juifs d’une façon remarquable. […] L’histoire de ce peuple, telle qu’elle est consignée dans la Bible, insiste à chaque instant sur la défense de s’allier avec des étrangers. […] C’est donc bien dans cet amour exclusif, dans cette jalousie, pourrait-on dire, de la race qu’est concentré le sens profond du Sémitisme (sic), et qu’apparaît son caractère idéal. Le peuple est une entité autonome et autogène. » La tribu serait donc un Tout en voie de perfectionnement par l’endogamie. « Il y a un peuple hébreu, écrit-il encore, en deça et au-delà de la vie ; la mort n’existe pas, le présent non plus. Entre le passé et le futur, il n’y a pas de cloison étanche imperméable, et les futurs Juifs, à naître dans l’avenir, ne feront pas autre chose, en mourant, que de joindre leur peuple. Les Juifs ne sont pas une partie d’un vaste Tout qu’ils réintègrent en mourant, mais ils sont un Tout à eux seuls, défiant l’Espace, défiant le Temps, défiant la Vie, défiant la Mort. Dieu peut-il être en dehors de ce Tout ? S’il existe, nécessairement il se confond avec ce Tout. » (Nomades. Essais sur l’âme juive, 1929.) Que vaut donc la vie d’un non-Juif, qui est nécessairement en dehors de son Tout, selon Kadmi-Cohen ? […]


François-Xavier ROCHETTE.